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Observateurs des élections au Togo : une impression paradoxale

Politique
 Les missions d’observation internationales et tous les autres partenaires du Togo ont déclaré à l’unanimité que les élections législatives du 14 Octobre dernier avaient été libres, justes et transparentes. Ils ont félicité le peuple Togolais pour la maturité dont il a fait preuve tout au long de ce processus et pour le climat de calme qui a régné pendant toute la durée du scrutin et du dépouillement. La Conférence des Eglises de Toute l’Afrique (CETA) s’est fortement mobilisée pour accompagner ce processus de consultation démocratique en déployant sur tout le territoire près de 60 observateurs nationaux et une douzaine d’observateurs internationaux. Nous étions deux français envoyés pour cette mission par la CEVAA et le DEFAP et nous en revenons avec une impression paradoxale.

Après un temps de préparation et de formation dans les locaux de la CETA à Lomé nous sommes partis dans la région centrale, à près de 500 km au Nord de Lomé, dans deux préfectures différentes, celle de Sotouboua et celle de Tchamba. Avec le support des grilles d’observation qui avaient été mises au point par une coalition d’organismes de la société civile (la CODEL) dont la CETA fait partie, nous avons suivi tout le processus du scrutin dans de nombreux bureaux de vote, de l’ouverture des bureaux à la fermeture, puis nous avons assisté au dépouillement. Ensuite nous avons suivi l’acheminement des urnes jusqu’à la CELI (Commission des Elections Locale Indépendante) qui, dans chaque préfecture, était chargée de récolter les résultats de chaque bureau de vote (144 pour Tchamba et 199 pour Sotouboua). Chaque urne scellée contenant les fiches des résultats du scrutin et les bulletins était ouverte devant les sept membres de la CELI, les résultats enregistrés et notés sur un état récapitulatif puis envoyés directement par internet à la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante) à Lomé. Cet enregistrement des résultats a duré toute la nuit et jusqu’à la fin de la journée du lundi dans la plupart des préfectures.

Premières constatations :

Nous avons été frappés du sérieux de la plupart des membres des bureaux de vote et leur investissement pour un bon déroulement du scrutin. D’une façon générale les procédures de vote dans les bureaux ont été suivies avec application et le scrutin s’est déroulé dans le calme et sans agitation, dans des conditions matérielles pourtant souvent difficiles. Nous avons également été impressionnés par l’implication de toute la population. Le taux de participation a été très élevé (85%) et nous avons vu combien ce vote était important pour tous ceux qui y participaient. Avant même l’ouverture à 7h00 du matin de longues files étaient formées devant les bureaux de vote et le temps d’attente, debout, souvent au soleil, était parfois de plusieurs heures. Il était visible que ce scrutin revêtait une importance toute particulière, en premier lieu certainement pour effacer le souvenir prégnant de la mascarade électorale et des terribles massacres qui ont suivi l’élection présidentielle de l’actuel président Faure Gnassingbe Eyadéma en 2005. Par ailleurs, l’enjeu était, pour l’opposition, de parvenir à avoir la majorité absolue au sein de la nouvelle assemblée nationale et de pouvoir alors proposer une modification de la constitution qui permette un rééquilibrage des pouvoirs entre le président de la république et le gouvernement. Aujourd’hui la quasi-totalité des pouvoirs sont entre les seules mains du chef de l’état.

Nous avons pu constater l’implication de tous pour parvenir à une bonne tenue de ces élections dans la transparence, le calme et sans violence. Le dépouillement s’est, dans la plupart des lieux, effectué dans des conditions difficiles, à la lumière de bougies et de lampes torches, mais n’a pas donné lieu à de fortes contestations. Dans la plupart des bureaux de votes, tous les membres du bureau et les divers délégués des différents partis présents ont signé la fiche de résultats, manifestant ainsi leur accord sur la régularité des résultats affichés. Dans les deux préfectures où nous étions pour suivre l’enregistrement des résultats, les procédures nous ont également semblé être correctement respectées dans l’ensemble.

Les autres observateurs de la CETA, et aussi ceux d’autres organismes que nous avons croisés, ont, pour la plupart, fait des constations similaires, à quelques exceptions près.

Les lieux plus sensibles ont été les villes plus importantes où l’opposition est majoritaire ou plus forte. Cela a été particulièrement difficile et tendu dans les deux CELI de Lomé et notamment celle de Lomé Centre qui devait recevoir 750 urnes et où l’enregistrement des résultats n’a pu s’achever que le mardi soir dans une grande confusion. Les présidents et rapporteurs des bureaux de vote sont restés dehors, à coté de leurs urnes pendant 3 jours et deux nuits ! C’est au sujet de ce qui s’est passé à cette étape du scrutin, et tout particulièrement dans les CELI de Lomé, que les contestations sont les plus vives, d’autant que ce sont les lieux de vote très majoritairement favorables à l’opposition.

Nous avons pu passer toute la journée du mardi dans la CELI de Lomé Centre et nous avons constaté que les procédures d’enregistrement n’étaient plus toujours faites devant des personnes de partis différents comme cela était normalement prévu et que l’élimination des bulletins nuls était faite de façon extrêmement rigoureuse, ce qui, de fait, défavorisait l’opposition dans ces bureaux de vote qui lui sont acquis. Les résultats de cette CELI de Lomé Centre qui concernent l’élection de 5 députés n’ont toujours pas été promulgués une semaine plus tard et sont toujours en cours de vérification.

D’après les résultats que nous avons observés, dans la quasi-totalité des 750 bureaux de vote de cette circonscription, l’UFC menait avec près de 80 à 85% des voix et devrait donc obtenir la totalité des cinq sièges. Il est pour nous très clair que, si ce n’était pas le cas, les résultats de cette circonscription auront été truqués.

Quelques réflexions :

A la suite de ces 8 jours passés et de tout ce temps d’observation nous repartons avec une conviction paradoxale.

A part la situation de Lomé et de quelques autres lieux signalés par d’autres observateurs, nous n’avons pas observé et nous n’avons pas été informés d’irrégularités pouvant modifier significativement le résultat. C’est pourquoi, en ce qui concerne le déroulement formel de ce scrutin, nous sommes en accord avec l’ensemble des déclarations des diverses organisations ayant envoyé des observateurs nationaux ou internationaux pour dire que globalement les résultats proclamés correspondent aux suffrages exprimés dans les urnes.

Mais nous ne pouvons pas dire pour autant que ces élections soient justes et que le RPT a légitimement obtenu la majorité des sièges à l’assemblée nationale, et ce pour au moins les trois raisons suivantes :

.Le découpage électoral

Même si le Togo n’est certes pas le seul pays où il en soit ainsi, le découpage électoral est très favorable au pouvoir en place. Il faut dans certaines circonscriptions du Nord, favorables au RPT, environ 10 000 électeurs pour un siège de députés alors qu’il en faut 100 000 dans certaines du sud, favorables à l’opposition. Par exemple, dans la région de Kara, la circonscription d’Assoli a 2 sièges de députés et compte 22 937 électeurs alors que la Préfecture du Golfe à Lomé compte, elle, 277 861 électeurs pour le même nombre de sièges. Dans ces circonstances il est clair que la majorité absolue de sièges pour le RPT ne signifie pas qu’il ait en réalité la majorité des voix des togolais.

· La peur

Les massacres qui ont suivi les élections de 2005 ont certainement fait bien plus de morts que les 700 reconnus, sans parler de tous les blessés et les brimades plus ou moins violentes qui les ont accompagnés. Nous avons senti combien tout ce déchaînement de violence, dont beaucoup n’arrivent toujours pas à parler, est encore présent et pesant. Ce souvenir prégnant a d’ailleurs certainement permis qu’il n’y ait eu aucun incident lors de ce scrutin qui, comme la campagne électorale qui l’a précédé, s’est déroulé dans un très grand calme.

Mais la peur de représailles est tenace. Une personne qui nous a accompagné a insisté pour qu’on lui fasse une attestation officielle qui justifie le fait qu’elle n’ait pas pu voter car elle redoutait ce qui pourrait lui arriver si cela s’apprenait.

Dans ce climat de peur encore très présent et que l’on connaît bien dans tous les pays ou la dictature règne ou a régné, des rumeurs ont circulé comme quoi, par exemple, des caméras filmaient les votes et qu’il fallait ‘bien’ voter sinon cela se saurait et alors...

On nous a fait part aussi de pressions plus directes ou d’achats de votes, bien possibles dans la situation de réelle survie que nous avons constatée chez la plupart des familles togolaises.

Le fait que dans la majorité des bureaux de vote les résultats soient, en général, soit 70 à 90% pour le RPT, soit 70 à 90% pour l’opposition, nous paraît être un signe de la réalité de cette peur et de la pression qu’elle exerce sur le vote.

· Le système électoral

C’est, en premier lieu, un système de consultation de la population bien complexe et étranger à l’immense majorité de la population. En particulier dans les campagnes (des régions qui ont massivement voté pour le RPT) la très grande majorité des électeurs ne savent pas lire. Le bulletin de vote unique ne comporte que les sigles des listes électorales auprès desquels il faut apposer son empreinte. Nous avons vu combien cette procédure était étrange et difficile en particulier pour les personnes âgées. Nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que nombreux ont dû poser leur doigt sur le sigle qu’on leur avait auparavant montré, qu’ils reconnaissaient et sur lequel on leur a dit d’appuyer.

C’est aussi une question culturelle que l’on ne peut évacuer. Le système électoral est destiné à solliciter le vote personnel. Mais comment s’articule réellement le droit coutumier ou l’appartenance communautaire à cette conception occidentale de l’expression individuelle ? Nous avons vu, l’un et l’autre, entrer dans plusieurs bureaux de vote des chefs du village qui allaient librement dans le bureau et parlaient aux uns et aux autres alors que l’accès à ces bureaux était par ailleurs extrêmement règlementé et que normalement ils ne devaient pas y pénétrer.

Là encore le vote massif pour tel ou tel parti dans la plupart des bureaux nous interroge sur l’adéquation de ce type de scrutin.

En conclusion :

Ces remarques veulent souligner que nous sommes conscients que beaucoup de choses se sont jouées en amont ou à coté du seul déroulement du vote. Dans une des CELI dans laquelle nous étions, il y a eu à un moment un affrontement dont nous n’avons pas pu connaître l’objet. Tous les membres de la CELI sont alors partis, hors de vue des observateurs, dans un bureau à coté pour discuter... ou négocier ?

Ils sont ensuite revenus et ont repris l’enregistrement des résultats comme si de rien n’était.

Nous ne pouvons jamais, de l’extérieur, observer que le dessus de l’iceberg et porter un avis que sur le plan formel du déroulement du processus électoral.

Mais cela ne reflète pas l’ensemble de ce qui se joue à ce moment là. C’est pourquoi nous avons voulu faire part de cette conviction contradictoire qui nous habite au retour de cette mission d’observation des élections législatives au Togo.

Tous les observateurs ont déclaré que le processus a globalement été régulier.

(Il faudrait d’ailleurs peut-être aussi s’interroger sur la marge réelle de liberté d’un certain nombre d’observateurs, notamment ceux de l’Union Européenne qui a énormément investi dans la réalisation de ces élections et qui attend de pouvoir enfin reconnaître un pouvoir légitime au Togo pour reprendre la coopération interrompue depuis plus de 10 ans ou ceux de certains pays, dont le notre, quand on connaît en particulier le rôle et les propos de la France notamment au moment de la mort d’Eyadéma père ou de la soi-disant élection de son fils en 2005.)

Mais si nous partageons l’avis des observateurs sur le déroulement formel de ces élections, nous comprenons en même temps la profonde frustration que nous avons ressentie chez tous ceux qui, notamment dans les rues de Lomé, se sentent dépossédés d’une victoire qu’ils avaient tant espérée et qu’ils sont certains d’avoir obtenue. C’est la première fois que tous les partis avaient accepté de participer au scrutin et l’espoir était immense.

Nous avons le sentiment paradoxal d’un scrutin juste et d’une fausse victoire !

Mais en même temps nous pensons que la tenue de ces élections est un tournant fondamental et incontournable pour l’histoire du peuple togolais.

L’avenir démocratique de ce pays ne peut pas se jouer sans un passage aux urnes quelles que soient les limites d’un tel mode de scrutin dans la réalité économique, culturelle et politique dans laquelle il se trouve.

La réussite du processus formel, dans le calme et avec la participation de tous est extrêmement importante, un premier pas insuffisant et insatisfaisant mais incontournable dans la marche vers la démocratie. Comme le recommande la CODEL, dont est membre la CETA, dans la conclusion de son communiqué :

« Les élections législatives du 14 octobre constituent sûrement une étape cruciale dans la vie de la nation togolaise. Cela dit, elles ne sauraient à elles seules résoudre les problèmes urgents auxquels le pays est confronté en matière de gouvernance, de promotion de l’Etat de droit, de développement et de cohésion nationale. »

Nîmes, le 21 Octobre 2007 Anne-Sophie DENTAN et Philippe VERSEILS