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L’OTR et la traque macabre des vendeurs de « boudè » : Un massacre qui laisse indifférents, même ceux qui s’émeuvent des lynchages de voleurs

Togo - Societe
La famille du jeune tué à Agoè sous intimidation. Agbanti Gbandi est un jeune Togolais de 26 ans, au chômage. Il a tout essayé pour avoir un gagne-pain. « Mon frère a eu son permis de conduire, et comme il n’a pas encore de voiture, il va souvent à la recherche de petits jobs pour subvenir aux besoins de sa famille », a témoigné à nos confrères de Liberté, la sœur d’Agbanti. Selon cette dernière, il revenait encore d’une recherche de job lorsqu’il a été atteint par deux balles dans une traque de revendeurs de carburant dit boudè. Ecroulé, il sera abandonné longtemps au sol (les témoins avaient peur de subir le même sort en s’approchant de lui) avant d’être récupéré par quelques jeunes et évacué sur moto à l’hôpital. On était, selon ses proches, le 08 septembre 2016. Trois semaines plus tard, Agbanti Gbandi, père d’un enfant de neuf mois, rend l’âme, des suites de ses blessures.
La veille de son décès, le jeune homme croyait encore revivre ; et il tentait de rassurer ses amis, via Whatsapp : « Mes amis, je suis encore jeune et Dieu ne me lâchera pas comme cela. Mon temps n’est pas encore arrivé pour que je meure. J’ai un petit garçon qui ne me connaît même pas encore. Je ne vais pas les abandonner ainsi », leur a-t-il envoyé. La méchanceté termina par avoir le dessus. Il finira ainsi ses jours sous des balles assassines d’une meute.

Selon les proches, après avoir abandonné leur victime dans le sang, les agents de l’OTR se présenteront à l’hôpital pour prendre en charge une petite partie des dépenses. Sa famille s’est battue pour le sauver, le déplaçant entre-temps du CHU-SO à l’une des cliniques les plus équipées et chères de la capitale. Mais, depuis jeudi dernier, pour lui, c’est fini !

On apprend par ailleurs que depuis l’ébruitement de l’affaire dans la presse, certains responsables au sein de l’Office Togolais des Recettes du Rwandais appellent la famille pour l’intimider et la contraindre au silence. Le comble de l’ignominie. Si l’on peut estimer que le Rwandais n’a aucun lien de sang avec les Togolais et qu’il se fout royalement que ses agents les abattent froidement comme des gibiers. Mais à la tête de l’OTR, se trouvent des Togolais qui font aussi dans l’intimidation de la famille de la victime. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les éléments chargés de faire la traque du carburant illicite tuent impunément ! A Lomé, sur la route d’Aného, dans le Bas-mono, à Aképé…les missions de la traque des produits pétroliers illicites tirent sans ménagement sur les présumés vendeurs de ce qu’on appelle généralement «boudè», faisant des victimes. Dans le cas du jeune Agbanti, ses proches estiment qu’il revenait même d’une recherche de job. On se rappelle encore le cas émouvant du frère d’un confrère journaliste de la TV2, Vincent Borma qui a été poursuivi jusqu’à chez lui avant de se voir tiré dessus par des individus qui l’auraient assimilé à un vendeur de «boudè». Si on se met à répertorier le nombre de personnes tuées dans cette fameuse campagne paramilitaire contre les carburants illicites, on en compterait des dizaines. Plus choquant, jamais personne ne s’en émeut. Le procureur de la République, qui préfère se mettre au service de ses réseaux d’amis, souvent peu recommandables, ne juge pas utile de se saisir, ne serait-ce que pour situer les responsabilités. Et les morts se succèdent.

L’activité de vente de produit pétroliers, hors des autorisations des services compétents, est interdite par la loi. Mais il est une réalité, cela constitue une activité génératrice de revenus pour plusieurs centaines de personnes. Debout devant les bouteilles d’essence, ou parfois légèrement à distance, on peut reconnaître jeunes, femmes et parfois des mineurs. Derrière ces personnes, des milliers de Togolais vivent de ce business. Et des millions de personnes s’approvisionnent en carburant sur ce marché noir. Presque la totalité des fonctionnaires de la police et de l’armée (en dehors des officiers qui parfois ont des bons d’essence gratuits) s’approvisionne sur ce marché. A Kovié, le village de Kodjovi Adédzé, le patron des douaniers, il n’y a pas de station d’essence et on y vent et achète, en toute illégalité, du «boudè». Même s’il y en avait, combien des frères d’Adédzé s’y présenteraient ? On l’a toujours dit, le commerce du carburant illicite n’est pas le seul prohibé au Togo. Il y a aussi celui de la drogue, de croupions de dinde, des sachets plastiques, etc. Et ces derniers produits ne sont pas moins dangereux pour la santé publique que celui pour lequel on tue froidement les jeunes sans emploi. Et pourtant, le gouvernement laisse faire et se rend parfois même tacitement complice de la poursuite de ces activités. Jamais autant d’animosité envers ceux qui (et ils sont très nombreux) continuent de vivre de ces activités autant illicites que la vente du carburant illicite. D’où la question que se posent plusieurs observateurs : pourquoi une telle sauvagerie dans le cas des jeunes qui ne cherchent qu’à manger à leur faim ?

Les morts dans les violences autour de la vente du «boudè», commencent par être trop nombreux. Ailleurs, un seul cas devrait être un scandale. Et pousser toutes les parties prenantes à revoir leur copie afin d’éviter d’éventuelles pertes en vies humaines ultérieurement. Au Togo, on a l’impression que cela est devenu un amusement pour les agents des douanes et les brutes de compères qui les suivent, de tirer sur les pauvres gens. Ils prennent souvent plaisir à balancer les bombes lacrymogènes dans les maisons des citoyens et même dans les véhicules. Il y a quelques semaines, au port, ils ont balancé un gaz dans un véhicule personnel à l’arrêt. La voiture ne tentait pas de leur échapper ni ne contenait des bidons de carburant frelaté. Comment des êtres normaux, qui plus est, des fonctionnaires, peuvent-ils s’amuser à envoyer un explosif dans un véhicule civil avec pour seul argument qu’ils ont « cru » (sic) que des bidons de carburant s’y trouvaient. Les exemples de ces genres d’abus sont légion. Dans la zone de Bè, c’est devenu leur jeu de balancer des grenades dans les maisons, juste au passage, sans qu’ils n’aient aucune opération à faire ni au sein ni autour desdites maisons.

Il faut le dire, les violences gratuites et disproportionnées lors des missions des services des douanes commencent par faire trop. Qui des responsables des services des douanes rirait ou applaudirait de voir un de ses enfants, frères, neveux, cousins, proches, tomber sous les balles des fonctionnaires sous prétexte qu’ils luttent contre une concurrence déloyale ? La banalisation de la violence des cortèges de l’OTR est inquiétante.

Au Togo, les principales représentations diplomatiques occidentales avaient entre-temps sorti un communiqué pour s’émouvoir des lynchages des présumés voleurs. En août 2015, les deux ministres en charge de la Justice et de la Sécurité ont sorti un communiqué pour dénoncer « avec la dernière énergie » le lynchage d’un Ivoirien soupçonné de vol à Lomé. Ils ont mis en garde ceux qui se livraient à ces lynchages. Mais presque jamais, les mêmes personnes, y compris les représentations diplomatiques ne semblent s’émouvoir du sort de ces jeunes livrés à la cruauté des hommes en treillis qui, parfois, se trouvent même de connivence avec ceux sur qui ils ouvrent le feu.

Dans leur lettre, les évêques du Togo ont dénoncé ce qu’ils appellent « nationalisation de l’indifférence », face à la situation sociopolitique du pays, faite d’injustice, de mauvaise foi, de détournement des biens publics. Face au sort de ces vendeurs, il y a bel et bien une « nationalisation de l’indifférence ». En avril 2013, le prêtre catholique Pierre-Marie-Charnel Affognon d’Aného s’émouvait de l’assassinat des deux élèves de Dapaong. Il écrivait ceci : « Ce fait horrible, grave, inhumain, intolérable et indigne de nos valeurs traditionnelles et chrétiennes m’oblige à vous adresser cette lettre ouverte. Je vous prie et je vous supplie, très humblement mais avec insistance, de bien vouloir prendre les dispositions idoines qui s’imposent afin que de telles violences des Forces de l’ordre contre des citoyens aux mains nues cessent immédiatement et définitivement, que des actions concrètes officiellement envers les parents et les familles de nos illustres disparus qui portent certainement ce deuil de la façon la plus pragmatique ».

« Excellence, un pays qui tue pour un « oui » ou un « non » ses fils ou filles s’oppose gravement au commandement de Dieu qui interdit le meurtre ou l’homicide volontaire. Aussi de tels actes sont sources de malédictions et pour les auteurs et pour toute la société togolaise », avait averti le prélat. En vain !


Mensah K.