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Enquête exclusive/Danyi : Exploitation humaine dans les ateliers de coiffure et de couture

Togo - Societe
Le calvaire et le cri de détresse des apprentis. La société togolaise dans son ensemble est minée par certains problèmes dus à la méconnaissance volontaire ou non des textes régissant le fonctionnement des institutions. Que ce soit dans le secteur public, parapublic ou privé, les premiers décideurs semblent fouler aux pieds les dispositions officielles qui réglementent l’exercice de leurs activités. Si dans le secteur public, les autorités politiques et les syndicats essaient mollement de rappeler les travailleurs à l’ordre, dans le secteur privé, c’est carrément un laisser-aller total. Un cas assez curieux suscite indignation et révolte. C’est celui des apprentis dans les salons de coiffure et de couture dans la préfecture de Danyi.
Deux catégories d’apprentis sont distinguées : ceux dont les patrons sont membres des syndicats, c’est-à-dire le Syndicat National des Coiffeurs et Coiffeuses du Togo (SYNACOIFTO) et le Syndicat des Couturières et Tailleurs du Togo (SYNCTACTO) d’une part, et ceux dont les patrons sont membres des Chambres Régionales des Métiers (CRM) d’autre part.

Spécifiquement chez les apprentis couturiers et tailleurs, en dehors du coût d’apprentissage qui varie entre 60.000 et 90.000FCFA, l’apprenti est tenu de verser à son patron des frais supplémentaires. Ces frais sont désignés sous différentes appellations. Ainsi, on a le droit d’entrée (5000F), les frais de signature du contrat (7000F), les frais d’achat de la fiche de contrat (3000F)… en plus de biens en nature (boissons...).

L’exécution de l’engagement du maître-artisan est une des principales sources de discorde entre les tuteurs légaux des apprentis et les patrons d’atelier. « Je me suis rendu compte que mon neveu était incapable de faire ou de me dire quelque chose de concret par rapport à la couture après avoir passé 6 mois dans un atelier. Quand j’ai commencé par chercher à comprendre, je me suis rendu compte qu’ils ne faisaient rien à l’atelier. Leur patron passait le plus clair de son temps hors de l’atelier à s’occuper d’autres choses, prétextant que les plus anciens (seniors) parmi les apprentis pouvaient s’occuper des plus jeunes », s’indigne un parent à Apéyémé.

En effet, des apprentis relatent avoir été maintes fois abandonnés seuls dans les ateliers par leurs patrons pendant plusieurs jours, ces derniers s’absentant pour des raisons inconnues. « Nous sommes dans un secteur d’activité où nous ne travaillons pas à plein temps. Nous ne pouvons pas rester à l’atelier quand il n’y a rien à faire », soutient de son côté un maître-artisan rencontré à Elavanyo. Un argument qui tend à légitimer l’abandon régulier des apprentis à eux-mêmes alors qu’on sait que la coupe et la confection des modèles se fait beaucoup plus en papier kraft pour la couture et sur des mannequins en plastique avec des mèches pour la coiffure.

En plus de cette situation, selon des témoignages recueillis auprès de plusieurs apprentis, les maîtres et maîtresses d’ateliers exploitent beaucoup plus leurs apprenants pour leurs activités privées hors du cadre de l’atelier. Travaux champêtres, corvées d’eau, travaux ménagers, recherche du bois de chauffe, fabrication du gari. « Suivant le contrat, nous devons être à l’atelier de lundi à vendredi, soit cinq jours dans la semaine. Mais quelquefois, nous faisons à peine trois jours par semaine à l’atelier. Les autres jours sont consacrés aux travaux dans le champ de notre patron. Nous partons le matin et revenons dans la soirée. Pendant ce temps, l’atelier est fermé. Ou bien on fait une rotation sur plusieurs jours pour que les clients puissent trouver quelqu’un à qui s’adresser s’ils viennent. Dans ce cas, certains restent à l’atelier et d’autres vont au champ et vice versa », déclare une apprentie. Sa camarade en rajoute en ces termes : « le plus grave, c’est que nous sommes tenues d’assurer notre propre alimentation et nos repas quand nous allons dans son champ. La patronne nous a dit que nous devons considérer les champs comme l’atelier et puisque ce sont nos parents qui assurent nos repas à l’atelier, il doit en être ainsi également au champ ».

A la question de savoir pourquoi elles acceptent ces conditions, la réponse est sans équivoque : « chez nous ici, le patron ou la patronne peut refuser de te présenter à l’examen même si tu as bouclé la durée prévue par le contrat. Pour se justifier, les patrons disent aux gens que l’apprenti n’a pas été assidu pendant son apprentissage ou bien ne maitrise pas encore les choses. Or, ce refus de présenter l’apprenti à l’examen est plutôt une punition due à un acte de désobéissance au patron ou à la patronne. Donc tout le monde s’arrange pour ne pas indisposer son patron. Par ailleurs, le contrat prévoit que le patron puisse laisser des petits temps aux apprentis afin qu’ils puissent se livrer à leurs petites activités génératrices de revenu (jobs). Si un apprenti refuse d’aller au champ pour le compte du patron, ce dernier peut refuser de lui accorder son temps de job. La stratégie est que le patron emmagasine les commandes et c’est au moment de libérer l’apprenti pour le job qu’il les fait sortir pour justifier le refus ».

La réglementation de l’apprentissage au Togo est régie par plusieurs dispositions légales. Ainsi, la loi N. 2006-10 du 13 décembre 2006 portant code du travail stipule dans son article 92 que : « le contrat d’apprentissage est un contrat de type particulier liant étroitement la formation et le travail. Par ce contrat, un artisan ou un chef d’entreprise agricole, industrielle, commerciale ou de services s’engage à assurer ou à faire assurer une formation professionnelle, méthodique et complète à une personne qui s’oblige en retour à se conformer aux instructions qu’elle reçoit et à exécuter les ouvrages qui lui sont confiés en vue de sa formation ». Bien avant cela, le décret 2003-238-PR du 26 septembre 2003 stipule en son article 17 que « le contrat d’apprentissage ou le maitre-artisan est tenu de confier à l’apprenti exclusivement des tâches ou des travaux correspondant au métier inscrit au contrat ainsi que les travaux pratiques demandés par le centre de formation ».

Certes, la préfecture de Danyi est une zone où l’agriculture est la principale activité. Mais ce qui s’y passe en matière de formation professionnelle est une grave violation de cette disposition qui vise à donner à des citoyens togolais une formation capable de leur assurer une prise en charge pérenne et une indépendance financière dans le futur. C’est d’ailleurs l’une des causes de l’exode rural massif observé chez les jeunes, préférant aller suivre leurs formations à Kpalimé ou à Lomé.


De notre envoyé spécial à Danyi, Kossi Ekpe