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Enfants sorciers : Le calvaire des mineurs considérés comme des « suppôts de satan » dans la région centrale

Togo - Societe
Le phénomène des enfants dits sorciers a pris des proportions inquiétantes ces dernières années dans la région centrale au Togo. Accusés d’être des suppôts de Satan, ils sont victimes des violences et de maltraitance. Parfois renvoyés de leurs familles, ils sont contraints à vivre dans la rue.
La sorcellerie est un phénomène très ancien et revêtant différentes réalités en Afrique, selon les communautés. Appelée sous plusieurs vocables selon les zones, c’est dans les villages et les hameaux qu’elle est fortement présente dans notre pays. Jadis, elle ne concernait uniquement que des adultes. Aujourd’hui, des enfants en sont les principaux acteurs. Dans une région centrale très pratiquante, ils sont devenus à leur corps-défendant l’«incarnation » d’une croyance dont ils sont les premières victimes.

AMPUTE A 13 ANS

A LamaTessi, à environ une vingtaine de km au sud de la ville de Sokodé, nous croisons Atamana, amputé d’un bras. Ce jeune homme qui rêvait d’une carrière de footballeur nous raconte comment son rêve a été brisé en Octobre 2012 alors qu’il n’avait que 13 ans. Accusé par son demi-frère d’être à l’origine de son accident de circulation, il a été ligoté lors des interrogatoires au moyen d’attaches en caoutchouc. «J’ai été frappé à tour de rôle par mon frère, ses enfants et le charlatan afin d’avouer que je suis sorcier et responsable de l’accident », raconte le jeune homme.

Ligoté et séché au soleil, il a été déplacé au moyen d’un bâton mis sous ses pieds attachés, et fut transporté sur les épaules comme le sont les gibiers au retour de la chasse. Au 3ème jour, il fut amené en brousse où il à été détaché dans la soirée. La circulation sanguine s’était arrêtée; l’ordre lui a été intimé de courir. Dans l’impossibilité de le faire, il fut frappé davantage puis abandonné sur place.

« Ce n’est que tard dans la nuit complètement épuisé et affamé que j’ai été retrouvé par une connaissance qui a alerté ma mère. Celle-ci m’a conduit à l’hôpital. Malheureusement. Il était trop tard pour mes membres. J’ai ainsi été amputé » raconte-t-il.

Quelques minutes plus tard, nous croisons la mère d’Atamana au marché de la localité. A côté de son étalage, Mme Adjoua, le voile sur la tête, la cinquantaine environ, a accepté non sans gêne de nous parler. Celle qui a divorcé de son défunt mari, et après un court séjour au Nigéria, nous raconte comment un charlatan avait indexé son fils comme étant sorcier ; avec son lot de traitements inhumains et dégradants. « J’ai énormément dépensé pour épargner la vie de mon fils. Plus de 700 000 F sans compter l’appui fort inestimable que nous a apporté l’ONG CREUSET TOGO », confie-t-elle. Une somme qu’elle épargnait pour agrandir sa maison précise-t-elle.

Ces souvenirs lui feront faire une nuit blanche, dit-elle. Mais elle l’assure, elle a pardonné aux « bourreaux » de son fils. Sur les accusations de sorcellerie portées contre son enfant, elle soutient n’avoir rien remarqué depuis le retour de celui-ci auprès d’elle. « Je sais seulement qu’il est clairvoyant. Il est capable de me prévenir de ce qui va se passer » indique-t-elle. Au quartier Mobakomé de Koma, en plein centre ville de Sokodé, le vieux enseignant retraité, Kpakpadina croit dur comme fer que son petit fils est possédé. « Comment ne pas y croire quand la personne dit des choses et ça se réalise ? C’est lui-même qui l’avoue. Quand il envoûte ça se réalise », assuret-il. Selon lui et d’après les aveux de son petit fils, celui-ci possède trois sortes de sorcellerie : une reçue de sa mère, une autre de ses oncles et la dernière de ses camarades. « Il avait entretemps programme manger un de mes enfants, c’est là où le secret est dévoilé. Il restait trois jours quand le pot aux roses a été découvert et il a cité des noms. Il nous a dit l’endroit où ils font le marché », relate le plus sérieusement le sexagé- naire. Finalement l’enfant sera chassé du domicile familial. Après avoir erré plusieurs jours dans la rue, il fut recueilli par CREUSET TOGO, une ONG spécialisée dans la prise en charge des enfants sorciers de la région.

De fait, la question devient préoccupante dans la région. Pour preuve, sur 21 dossiers connus par le tribunal pour enfants de la ville de Sokodé ce trimestre, 17 sont relatifs aux enfants sorciers. A défaut de faits tangibles pour étayer les accusations souvent portées à l’encontre de ces créatures immatures, sont invoqués des faits surréalistes. Ainsi par exemple, être né avec un handicap ou une anomalie, faire pipi au lit, voler, faire une fugue etc… peuvent constituer d’éléments suffisants pour être considéré comme possédé par le « mauvais esprit. » Mais ces « signes » ne font pas encore de l’enfant un sorcier. Seule une autorité spirituelle est habilitée à valider les soupçons de la famille inquiète.

Un fond de commerce lucratif pour les marabouts

C’est ainsi que les enfants accusés de sorcellerie sont souvent conduits chez des charlatans ou des pasteurs notamment d’églises de réveil pour des cérémonies d’exorcisme. Sous l’effet de menace et de torture, ils sont contraints d’accepter les faits qui leurs sont reprochés. Conduits chez les charlatans ou religieux, les enfants reçoivent quotidiennement des coups à l’aide de bâtons flexibles et de fouets, conçus à cet effet. Dans ces lieux, ils subissent des traitements horribles à la lisière d’actes de torture : piment dans les yeux, cicatrisation, ordalie, autres violences physiques dont la suspension à un arbre …

Pour le chef canton de Koma, M. OuroAkondo Ali, qui affirme que sa chefferie traite au moins 2 cas de sorcellerie des enfants tous les trimestres, il a été obligé de renvoyer un marabout de son canton parce qu’il torturait les enfants. Cependant, il reconnait avoir recours à « son marabout Alaza » qui ne frappe pas les enfants pour infirmer ou confirmer ces accusations. « Dès fois, des enfants ont peur du public mais chez moi aucun enfant ne s’est jamais dédit. Certains sont jugés sorciers d’autres non », indique -t-il fièrement.

L’affaire des faux marabouts qui torturent les enfants défraie souvent la chronique au tribunal de Sokodé comme nous le confirme le juge Serge Nanouli, du tribunal des enfants : « J’ai eu gérer des dossiers des faux gué- risseurs qui utilisent des méthodes non recommandées pour pouvoir exorciser les enfants. Certains vont même plus loin en utilisant des objets tranchants pour amputer un membre de l’enfant ou à leur enlever la vie ». Dans la région centrale, entre 25 à 90% des cas des maltraitances sont liés aux enfants dits sorciers.

Malgré tout, le recours des marabouts persiste car c’est une activité très lucrative. « Ça m’a coûté plus de 500 000 F pour exorciser mon petit fils », raconte Kpakpadina qui reconnait aujourd’hui que le « faux marabout » qui, après avoir essayé vainement d’exorciser l’enfant à distance a finalement décidé de faire le déplacement de la maison pour dit-il « déminer et purifier la maison ».

« Ils étaient au nombre de 7 et ils ont passé 5 jours ici à ma charge. Des chèvres, pintades, … chaque jour il y a quelque chose à acheter ». Les 5 jours que l’équipe de marabouts a passé à la maison ont donné lieu à un semblant de sérénité. Mais pas pour longtemps. « Au 10ème jour après leur départ, nous avons vécu le pire des nuits. J’ai dû appeler pour leur dire que le travail que n’a pas été fait ».

Kpakpadina en conclue qu’il est difficile de chasser « l’esprit mauvais ». « Aucun charlatan si puissant soit-il, n’arrive à le chasser. Sinon c’est annuler le 3ème œil qui résoudrait le problème », conclut-il.

LEGISLATION INEXISTANTE

Le législateur n’a pas prévu de disposition sur la sorcellerie. De fait, les tribunaux traitent avec beaucoup de difficultés de cette question, basée sur de l’abstrait, des croyances et superstitions ; avec des faits difficilement probants. Cependant, le Togo a ratifié divers instruments internationaux et régionaux dont la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’enfant en 1990. Celuici stipule en son article 4 alinéa 1 que : « Dans toutes actions concernant un enfant, entreprises par une quelconque personne ou autorité, l’intérêt supérieur de l’enfant sera la considération primordiale ». Quant à l’article 21 alinéa 1 il stipule « Qu’il faut prendre toutes les mesures appropriées pour abolir (éliminer) les coutumes et les pratiques négatives, culturelles et sociales qui sont au détriment du Bien-être, de la dignité, de la croissance et du développement normal de l’enfant, en particulier les coutumes et pratiques préjudiciables à la santé, voire à la vie de l’enfant... ».

Se basant sur ces textes, dans une affaire de sorcellerie, le juge, s’il est saisi, peut et doit donc chercher tout acte qui est prévu et puni par la loi notamment les violences physiques, les traitements inhumains et/ou dégradant surtout sur un mineur, ...

Dans ces conditions, si le juge constate qu’il y a eu par exemple violence physique sur la personne accusée de sorcellerie, il doit sanctionner l’auteur et les complices de l’acte délictueux. Lorsque l’affaire de sorcellerie implique un mineur, la loi est encore plus sévère compte tenu de sa fragilité.

Généralement, souligne le juge Nanouli, quand ces situations de maltraitance avérées se présentent, nous retirons les enfants des mains des personnes qui les maltraitent pour les confier à des familles ou structure d’accueil dignes de ce nom. Une ordonnance de placement qui est une mesure éducative, permet de retirer l’enfant des mains des personnes qui les maltraitent pour les confier à une famille digne de ce nom, note-t-il.

A Sokodé, l’ONG CREUSET TOGO joue bien ce rôle. Actuellement, elle accueille au sein de son centre 25 enfants dont 8 accusés de sorcellerie. Grâce à son équipe pluridisciplinaire, elle apporte assistance morale et sociale à ses enfants en veillant à leur plein épanouissement. Parallèlement, elle travaille avec les familles de ces enfants pour déceler l’origine du problème. Ensuite, CREUSET Togo œuvre auprès des familles pour que celles-ci malgré l’existence du problème acceptent de recevoir de nouveau l’enfant.

« Le plus souvent nous échouons sur ce point car un enfant dont le Conseil de famille a décidé de son exclusion, nous ONG, il nous est difficile de faire changer de décision à cette dernière. Nous souffrons beaucoup sur ce point à cause du refus des parents », a confié M. Nabédé Bawou, animateur de projet au sein de CREUSET TOGO.

Mais si les conditions à un retour de l’enfant en famille sont réunies, CREUSET TOGO appuie sa réintégration. Dans le cas contraire, l’enfant est gardé au centre pendant que les tractations se poursuivent pour son retour en famille.