« Ce jour 25 mai de 06 h à 15 heures, les forces de défense et de sécurité ont mené une opération de prévention sécuritaire dans les quartiers Hédzranawoé, Wuiti et Agoè-Zongo. Lors de cette opération, des actions de contrôle et de perquisition ont été conduites dans le cadre de la légalité républicaine et sur réquisition du Procureur de la République. Elles visent à protéger nos populations et leurs biens dans un contexte où la recrudescence de la criminalité et des menaces terroristes dans le monde en général et dans notre sous-région en particulier devient de plus en plus inquiétante. Au cours de cette opération, une cinquantaine de personnes ont été interpellées. Aussi, un nombre conséquent de véhicules et plusieurs centaines de motos sans pièces ou sans plaque ont été saisis, ainsi que de l’armement dont 03 fusils AK47 et leurs chargeurs, des pistolets, des munitions de guerre, des explosifs et des détonateurs pyrotechniques ainsi que 12,5 kg de cannabis. Les personnes interpellées ont été conduites au fichier central de la gendarmerie nationale pour identification. Pour des raisons liées à l’investigation de la police judiciaire, ceux-ci ainsi que le matériel saisi seront présentés à la justice à l’issue des enquêtes approfondies. Le ministre de la Sécurité et de la Protection civile remercie les populations des localités concernées pour leur compréhension et leur collaboration. Il invite l’ensemble de la population togolaise à rester vigilante face à cette situation et à participer aux côtés des autorités compétentes aux actions de prévention sécuritaire des forces de défense et de sécurité », a renseigné le communiqué signé du ministre de la sécurité et de la Protection civile, Yark Damehane.
Qu’une opération de prévention sécuritaire destinée à protéger les citoyens et leurs biens soit menée est à saluer et le ministre de la sécurité est dans son rôle. Cependant, les méthodes utilisées et le blocus des quartiers avec les désagréments subis par les populations constituent des dérives arbitraires qu’on ne saurait admettre dans un pays dit démocratique et respectueux des droits de l’homme.
A ce qu’on sache, le Togo n’est pas un pays en état d’urgence. En droit public, « l’état d’urgence est un état de crise qui permet aux autorités administratives de prendre des mesures exceptionnelles en matière de sécurité qui sont susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés des personnes. La déclaration de l’état d’urgence donne la faculté au ministre de l’Intérieur ou au représentant de l’Etat dans le département , d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et à l’heure fixés par arrêté ; d’instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ; d’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics ».
Le ministre de la Sécurité justifie l’action des forces de sécurité et de défense par une réquisition du Procureur de la République. Qui a eu connaissance de cette réquisition, comment peut-on concerner plusieurs quartiers à la fois ? Pourquoi avoir eu recours aux forces de défense ? Est-ce que les forces de sécurité étaient insuffisantes ? Où étaient les unités spéciales de la police et de la gendarmerie ? Si tant est que c’est sur la base d’une réquisition que les opérations ont été menées, pourquoi c’est le ministre de la Sécurité qui s’exprime en lieu et place du Procureur de la République ?
Dans la Constitution togolaise, l’article 28 précise : « Le domicile est inviolable, il ne peut faire l’objet de perquisition ou de visite policière que dans les formes et conditions prévues par la loi. Tout citoyen a droit au respect de sa vie privée, de son honneur, de sa dignité, de son image ». Le Procureur peut-il émettre une réquisition qui permet de perquisitionner des centaines de maison à la fois, et ceci, dans plusieurs quartiers sans que le pays ne soit en état d’urgence ? Ce 25 mai, plusieurs Togolais vivant dans ses quartiers ont vu leurs domiciles pris d’assaut par les forces de sécurité qui n’étaient munies d’aucun papier. Certains ont dû renoncer à se rendre à leur lieu de travail. D’autres, pour défaut de pièce d’identité, ont été gardés à la gendarmerie nationale jusqu’à hier soir. Si les autorités sécuritaires ont bouclé ces quartiers, c’est sur la base des renseignements précis; en d’autres termes, les cibles devraient être au préalable bien identifiées avant l’action. Mais ce qui s’est passé ce mercredi ressemble plus ou moins à une méthode hasardeuse, une loterie qui consiste à ramasser les citoyens dans un filet dans le but de rechercher des malfaiteurs, ceci en toute violation des droits des populations, notamment l’inviolabilité du domicile, le droit d’aller et de revenir.
Une prise d’otage à grande échelle qui a causé des traumatismes aux citoyens. Hier, c’étaient les quartiers Bè et Nyékonakpoé, Kodjoviakopé qui ont été victimes de ces pratiques hasardeuses, aujourd’hui c’est le tour des quartiers de la banlieue nord de Lomé. Jusqu’où au nom de la prévention contre la criminalité et le terrorisme, les autorités sécuritaires peuvent-elles aller ? La question est d’autant plus préoccupante que connaissant le Togo, il n’est pas exclu qu’un matin, des individus débarquent aux domiciles des citoyens pour les contraindre à poser des actes attentatoires à leur dignité ? Pendant qu’on y est, pourquoi a-t-on différé la présentation des armes saisies sous prétexte de la continuité des enquêtes par la police judicaire ? Que cache réellement cette prise d’otage des Togolais dans leurs quartiers ?
La lutte contre la criminalité et le terrorisme doit être soutenue et encouragée; mais elle ne saurait se faire en violation des dispositions de la Constitution et surtout des droits fondamentaux des citoyens.
Mensah K. (L’ALTERNATIVE)
|