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Relecture du discours du 26 avril : Urgence sociale, décentralisation…ce que Faure a manqué de dire

Togo - Politique
Quatre mois après son précédent discours à la télévision nationale, Faure Gnassingbé s’est de nouveau adressé « aux Togolais » mardi dernier, veille de la célébration de la fête nationale, le 27 avril. Pas de surprise, aucune annonce spéciale, sinon une litanie d’auto-satisfecit saupoudrée de quelques vagues évocations d’intention. Retour sur un nième discours, un de plus.
Quelques classiques dans le discours de Faure Gnassingbé. Présenter le Togo comme une démocratie, « démocratie apaisée » pour reprendre son propre terme. Il ne manque surtout pas « de saluer à nouveau la bravoure et le sens de l’engagement de tous nos compatriotes qui ont l’exaltante mission de veiller sur l’intégrité du territoire national et sur notre sécurité ». Il n’a jamais manqué de saluer dans ses discours les corps habillés. Et ils sont les seuls dont il a pris l’habitude de reconnaître le service rendu à la Nation.

Cette fois encore, le paragraphe n’a pas manqué dans le discours. Et l’autre classique dans les interventions publiques de Faure est les cours de civisme. « La citoyenneté, c’est aussi l’acceptation de l’autre, le respect des différences. La diversité des religions, des langues et des cultures ne doit pas être un prétexte pour alimenter des conflits. C’est pourquoi je lance un appel à toutes et à tous, pour la préservation et la promotion de notre modèle social républicain, qui est basé sur la recherche permanente du mieux-vivre ensemble et sur la nécessité de faire de nos différences le ciment de notre unité nationale », conseille M. Gnassingbé.

Lutte contre la pauvreté et décentralisation sont quelques grands sujets évoqués par le fils du père. « Entre 2006 et 2012, une première vague de réformes politiques, économiques et sociales a permis au Togo de réaliser des progrès importants en terme de réduction de la pauvreté et d’amélioration du bien-être. Cet élan s’est poursuivi après 2012 à travers la mise en œuvre de la Stratégie de croissance accélérée et de promotion de l’emploi », a-t-on entendu. Ici, Faure se félicite de la mise en œuvre de la fameuse Scape. Et pourtant, en janvier dernier seulement, les partenaires au développement du Togo se sont montrés inquiets au sujet de la mise en œuvre insatisfaisante de la fameuse stratégie (Scape).

Ils ont dit constater « que la question de l’insuffisance des ressources pour le financement de la Scape est évoquée de façon récurrente dans le rapport, alors que la discussion globale sur le financement de la stratégie est demeurée de faible intensité en 2014 et que la perspective d’un programme avec le FMI n’a pas progressé » et que « globalement, les résultats demeurent quantitativement inférieurs aux cibles de la Scape, notamment celles du scénario accéléré, et insuffisants en rythme et en qualité, au regard du défi démographique du pays et de son ambition d’émergence ». Les partenaires ont même fait savoir que les recommandations qu’ils émettaient en 2015 sont les mêmes qu’ils avaient déjà faites dans une revue précédente. Comme quoi, en matière de mise en œuvre de la Scape, non seulement les choses ne sont faites dans les normes, mais aussi les autorités togolaises ne font pas d’effort pour faire évoluer la situation. Le ton du discours de Faure Gnassingbé est, lui, à l’opposé de celui des partenaires du Togo.

« Si l’impact des premières réformes a surtout été ressenti dans les milieux urbains, celles qui ont été amorcées en 2012 ont davantage contribué à réduire la pauvreté en milieu rural, permettant ainsi un rééquilibrage progressif au sein de l’espace national.

Les différents programmes mis en œuvre ont créé des dynamiques d’auto-prise en charge au sein des populations à la base et méritent donc d’être consolidés, pour renforcer la lutte contre l’exclusion économique et sociale », s’est félicité celui qui dirige le Togo depuis 11 ans après 38 ans de pouvoir sans partage de son père. Seulement, Faure Gnassingbé a oublié (ou il a préféré feindre de ne pas savoir) que sous son deuxième mandat, entre 2010 et 2015, l’extrême pauvreté a grimpé à Lomé de façon fulgurante et le nombre de personnes exposées au phénomène a triplé. Peut-être justifie-t-il cela par le fait d’avoir mis l’accent sur les milieux ruraux pendant la même période, après s’être occupé, dans un premier temps, des populations urbaines. Aujourd’hui la situation a-t-elle effectivement évolué en milieu rural ou urbain ? Pas si sûr. La preuve, quelques minutes après Faure va évoquer une « urgence » sociale.

« Dans le souci de consolider davantage les progrès que nous avons réalisés dans la lutte contre l’exclusion sociale, j’ai engagé le Gouvernement dans un vaste programme d’urgence de développement communautaire.Grâce à ce programme, nous mobiliserons d’importantes ressources additionnelles pour répondre à la demande sociale qui est de plus en plus pressante », a-t-il déclaré. Mais il y a quelques chose d’inquiétant à remarquer. Si après 11 ans de multiples et variés programmes dits de développement, il nous faut retourner dans un programme d’ « urgence », cela veut tout simplement dire que la situation s’est considérablement détériorée. Dans un centre hospitalier, lorsqu’un patient est admis aux urgences, c’est que son pronostic vital est engagé. Il faut qu’il soit réanimé. Et il faut se poser la question de savoir ce qui a pu arriver au patient pour qu’il se retrouve en situation de détresse.

Faure lui-même se félicite dans le même discours que depuis 2006, sous lui alors, le Togo a retrouvé le chemin du développement. Entre-temps, on nous fait applaudir à rompre les phalanges que nous sommes devenus enfin « Pays Pauvre Très Endetté », et désormais le pays dispose(ra) d’assez de ressources pour investir dans son développement. Et des années plus tard, au lieu de parler de développement on replonge dans l’urgence. On a déjà connu un Programme de Développement, Communautaire (PDC), on a même connu un Programme de Développement Communautaire Plus (PDC +). Là, on nous annonce carrément un programme d’urgence. Il n’y a aucune fierté à dire que nous sommes comateux.

L’autre sujet sur lequel Faure était attendu est la décentralisation. Il annonce que la mise en œuvre « a été amorcée, conformément à la feuille de route établie », et se réjouit que c’est « une chance pour la démocratie participative et une réelle opportunité pour le développement local ». Il annonce aussi que le gouvernement « tiendra naturellement compte des contributions constructives des uns et des autres ». C’est ici que le bât blesse. Car l’expérience nous a montré que ce qui est « constructif » pour la majorité des Togolais ne l’est toujours pas pour Faure et les siens. Cela fait des années que les Togolais demandent par exemple les réformes, mais Faure et les siens n’en veulent pas. Les pays de la CEDEAO aussi ont voulu faire passer une réforme sur la limitation de mandat. Ce qui a paru constructif pour la majorité des pays ne l’a pas été pour Faure Gnassingbé. Et Faure Gnassingbé aurait pu, pour montrer sa bonne foi, annoncer par exemple le mode de collecte et de prise en compte des « contributions des uns et des autres », par exemple un dialogue politique, une (nouvelle) consultation nationale…Il s’est gardé de préciser comment il compte tenir compte de l’avis « des uns et des autres ».

« Le moment venu, il appartiendra à l’Assemblée nationale de retenir les options qui nous guideront dans le parachèvement du processus de décentralisation et dans l’organisation des élections locales », s’est-il contenté d’annoncer. Et cela devient inquiétant. Le souvenir du sort qu’a connu le projet de loi sur les réformes politiques à l’Assemblée est encore frais dans les esprits. S’achemine-t-on vers un nouveau blocage à l’Assemblée ? Ce n’est pas exclu. L’allure qu’a prise le processus laisse croire que la Constitution actuelle doit être révisée. Elle a prévu les préfectures. Mais le document sur la décentralisation qui a fuité laisse croire par exemple que l’entité préfecture est en voie d’être supprimée.

Pour que la loi sur la décentralisation ne soit pas anticonstitutionnelle, il faudrait modifier la loi fondamentale. Et c’est là que risque d’intervenir le blocage. Le pouvoir n’ayant pas la majorité qualifiée pour opérer une réforme constitutionnelle, il est fort à craindre un prochain bras de fer à l’Assemblée, au détriment même de la décentralisation, si le pouvoir introduit un texte qui reçoit pas l’assentiment de la classe politique de l’opposition. Mais ce blocage peut être anticipé et évité si un consensus national est acquis autour du processus avant même l’introduction du projet de loi à l’Assemblée. Faure devrait en être conscient et annoncer comment il prétend anticiper cette situation. Il se contente plutôt de faire de vagues déclarations d’intentions. « Je suis pour ma part convaincu que le succès attendu est à notre portée ». Espérons que la magie aura lieu !

Maxime DOMEGNI (L’ALTERNATIVE)