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Changement climatique et sécurité alimentaire : Notre pain, qui es aux cieux…

Togo - Societe
L’irrégularité des pluies cette année au Togo a durement affecté la production agricole. Sur les marchés, les prix des denrées flambent. Face aux champs qui jaunissent et les graines qui pourrissent dans le sol, paysans et consommateurs craignent une famine. Et se tournent vers le ciel.
« Que Dieu veuille bien pardonner nos péchés et surtout qu’il pense aux animaux, oui ne serait-ce qu’aux animaux qui ont besoin de feuilles verte,…pour nous envoyer la pluie », lance Huberte Dévi à une cliente qui vient se renseigner sur les prix du maïs auprès d’elle. Commerçante de céréales au grand marché d’Adidogomé (dans la périphérie de Lomé) depuis des années, veuve d’un technicien agricole, née dans une famille de paysans, elle maîtrise les cycles de croissance d’une plante et les enjeux liés aux saisons. La situation de cette année particulièrement la préoccupe.

« Mon oncle, au village, vers Atakpamé, m’a récemment raconté que lorsqu’il se rend dans son champ et qu’il voit son état, faute de pluie, il sent subitement sa tension monter. De peur de faire une crise, il s’abstient désormais de s’y rendre. Il préfère rester chez lui, et prier pour que la pluie tombe. On dit dans notre culture que la pluie qui n’est pas tombée, ne reste pas bloquée, au ciel ; elle finira par tomber un jour. Et même si dans les jours, semaines ou mois à venir, elle se décide à tomber, vous imaginez, les dégâts sont déjà faits », se désole-t-elle, se remettant « à Dieu ».

« En pays Akposso, nous n’avons jamais vu cela de par le passé. Au départ, quand les pluies tardaient, nous accusions les auteurs des chantiers de route dans la région (Ndlr : des idées reçues font croire que les entreprises de travaux publics empêchent souvent la tombée de la pluie, pour faire évoluer leurs chantiers), mais on constatera plus tard que même dans les milieux où il n’y a pas de travaux, il ne pleut pas. Les pluies sont rares. Et si vous rentrez effectivement dans le marché, le maïs coûte très cher. Alors que normalement les nouvelles récoltes de maïs devraient déjà être déversées dans les marchés, et on devrait déjà commencer la semence du haricot; ce qui n’est pas le cas actuellement, et les champs sont secs », relate KodjoKougblénou, enseignant et agriculteur dans l’Amou.

« Quand vous voyez les exploitations de la région Maritime jusqu’à Blitta (Ndlr : moitié Sud du pays) vous vous rendrez compte que véritablement on a un sérieux problème cette année en ce qui concerne le changement climatique. Et vous allez vous tenir la tête », confirme, TegbaToyi, producteur et administrateur de la Centrale Togolaise des Organisations Paysannes (CTOP). A peine revenu d’une tournée nationale auprès de ses collègues paysans, il a pu mesurer l’ampleur des dégâts : « Dans la zone de Notsè, à une centaine de kilomètres au nord de Lomé, c’est maintenant, en août, que les paysans sont en train de semer le riz, alors que normalement déjà autour de la mi-juin, cela devrait être fait. On sème aujourd’hui, mais on ne sait même pas quand la pluie va s’arrêter. Lorsque vous circulez, vous voyez par exemple des champs de maïs sans épis, les tiges sont là, tout est sec. Quand vous allez dans les zones de Notsè, Atakpamé, tout est sec, la sécheresse est au top ! », témoigne-t-il.

Si le cas d’Atakpamé, Notsè et leurs environs retient l’attention, c’est que ces deux villes sont situées dans la région nourricière du Togo, les Plateaux qui, avec ses nombreuses montagnes et forêts, est traditionnellement l’une des plus arrosées du Togo. Mais plus au Sud, la situation n’est pas aussi verte. « Dans les zones de Tabligbo et Vogan, sud-est du pays, il y avait deux ou trois pluies, suivies d’un mois et demie à deux mois de sécheresse. Dans ces conditions, aucune plante ne peut résister et donner son potentiel de rendement escompté », explique M. Toyi.

A la maison du paysan, à Lomé, siège de la faîtière des organisations paysannes du Togo, les responsables des lieux craignent « des jours difficiles », croisant les doigts que la deuxième moitié Nord du pays, généralement plus aride, puisse secourir le reste du pays. Là aussi, même avec une situation plus clémente cette année, la zone n’est pas totalement à l’abri de la sécheresse.

Grise mine au marché

Dans les marchés, les prix des denrées, à eux seuls, témoignent de la situation. Le maïs qui est pour les Togolais ce que le riz est pour les Chinois, est devenu rare et très coûteux. Dans cette période de l’année, le consommateur a le choix entre le maïs dit « ancien », conservé des campagnes agricoles précédentes (plus sec et plus cher) et le maïs dit « nouveau », de la saison en cours, (moins sec et moins cher). Les couches vulnérables de la population se jettent sur le nouveau, du fait de son prix abordable. Mais voilà, sur le marché actuellement à Lomé, il coûte 600 francs CFA le bol, contre 300 FCFA il y a un an. Non seulement le prix a connu un taux d’augmentation de 100%, mais aussi pour l’avoir, « il faut se lever tôt », commente un consommateur. Pendant ce temps, le bol de « l’ancien » revient à 700 FCFA, avec une augmentation de 75%.

Plusieurs autres denrées aussi sont introuvables sur le marché, peut-être parce que n’ayant pas été abondamment récoltées au cours de la saison. « Regardez sur mon étalage, je n’ai pas de haricot rouge par exemple. Je n’en ai même pas vendu cette saison. Car je n’en ai pas trouvé auprès de mes fournisseurs. Le soja par exemple, je l’ai vendu une seule fois en début de saison, et je n’en vends plus, parce que le risque de s’endetter est grand. Même si tu en trouves, il te reviendra cher, et ce n’est pas évident que tu puisses dégager des marges dessus », explique la commerçante Huberte Dévi, très anxieuse pour la suite de l’année et préoccupée par la situation de ses enfants dont la benjamine tout fraîchement admise au BAC2. Les légumes adémé, gombo, très prisées des Togolais, se font rares.

La sécheresse en cours cette année frappe de plein fouet les paysans, surtout ceux de la partie Sud du pays. Sur dix Togolais, sept sont agriculteurs selon les statistiques officielles du ministère en charge de l’agriculture. Ils sont souvent cités aussi comme la couche la plus vulnérable de la population. Et leurs greniers constituent leurs fortune et assurance. Plusieurs sont obligés de contracter des prêts au début de chaque saison pluvieuse pour lancer leurs activités champêtres, espérant une récolte conséquente pour rembourser (en espèce ou en nature) et dégager des marges devant leur permettre de faire face aux besoins de leurs ménages. Avec l’imprévisibilité de la pluie, leur situation déjà précaire se retrouve plus aggravée. Pire, eux-mêmes se retrouvent obligés de s’approvisionner en produits de base sur les marchés, à des prix très élevés pratiqués et manipulés par des spéculateurs. « Les pics des prix que vous constatez sur les marchés ne profitent pas aux paysans, mais aux commerçants spéculateurs », rappelle Serge Mensah, Assistant en communication à la CTOP.

Dans un pays où le salaire minimum, difficilement appliqué d’ailleurs, est fixé à 35.000 FCFA, il n’y a pas que le paysan qui est sensible à la hausse des prix des denrées de base. Les ménages sont sensibles à la hausse des prix des produits alimentaires de base. La « Plate-forme Action Contre la vie chère » qui regroupe plusieurs organisations de la société civile togolaise avait même organisé deux jours de manifestation les jeudis et vendredi derniers dans les encablures de la Primature pour dénoncer, entre autres, la hausse du prix des denrées alimentaires.

Par ailleurs, le Togo étant très dépendant de l’extérieur en viande, on constate depuis quelques années la création de fermes avicoles qui ambitionnent de combler le déficit. Mais avec la chute de la production céréalière (qui rentre dans l’alimentation des volailles) de cette année, les prévisions financières de toutes ces fermes risquent d’être fortement compromises, et le prix des volailles augmenté.

Une agriculture dépendante des humeurs du ciel

Dans son livre « Destructions massive, Géopolitique de la Faim », Jean Ziegler a bien prévenu que l’Afrique ne pouvait pas continuer à pratiquer l’agriculture en comptant sur la pluie, « comme il y a quatre cents ans ». C’est exactement la situation togolaise où l’activité agricole est presque exclusivement dépendante des humeurs du ciel. Bien qu’étant un pays côtier, plus arrosé que ses voisins sahéliens du Nord, le Togo est encore loin de maîtriser l’eau. En dehors de quelques projets d’aménagement de terrain irrigué d’envergure très limité, l’écrasante majorité des paysans pratiquent leurs activités, en espérant qu’il pleuve. « Le paysan est à la merci de la bonté de Dieu. Il sème, si Dieu est clément, il lui donne la pluie et si n’est pas clément… (il termine la phrase avec un soupir)», déplore le responsable d’organisation paysanne M. Toyi. « Il faut un débat public et ouvert sur la question de la maitrise de l’eau dans notre pays», recommande-t-il.

Il cite en exemple le Burkina Faso qui, même en étant pays sahélien et désertique, tire mieux profit de son agriculture au point d’alimenter ses voisins dont le Togo en plusieurs produits maraichers (tomate, oignon), parce qu’ayant une meilleure maîtrise de l’eau. Et pourtant, des promesses ne manquent pas. Dans le cadre du Programme National d’Investissement Agricole et de Sécurité Alimentaire (PNIASA) qui brasse plusieurs dizaines de milliards depuis 4 ans, il est prévu l’aménagement de plus de 1600 hectares de terres à des fins d’irrigation. A un an de la fin du programme, « combien de mètres carrés ont été aménagés ? Peut-être pas un seul», dénonce une source.

« Aujourd’hui, il n’y a pas de calcul à faire, il faut réfléchir à l’adaptation aux changements climatiques. Il faut développer les approches qui permettent au producteur de rentabiliser son activité, même s’il sème le maïs et qu’il ne pleut pas. L’adaptation aux changements climatiques suppose qu’on a des variétés qui s’adaptent à la longue sécheresse, des variétés à cycle court, des types de pratique agricole qui puissent permettre de conserver l’humidité du sol le plus longtemps possible », suggère TegbaToyi. S’il le dit, c’est qu’il a des success stories venant du Sahel.

« Le paysan togolais obtient 1,5 tonne de récolte de maïs à l’hectare, en situation normale. Et parfois, cela descend même jusqu’à 800 kilos. Mais pour les mêmes efforts, le paysan burkinabè obtient jusqu’à 6 tonnes », compare-t-il. En pointant du doigt la très faible productivité de l’agriculture togolaise, ce dernier craint que la récolte (qu’il espère relativement bonne) de la partie Nord du pays ne puisse suffire pour combler le besoin alimentaire de tout le pays. Ce qui pourrait créer une famine dans le pays.

« La famine est déjà là. Imaginez, les gens ont fait des prêts dans les coopératives agricoles qu’ils ont investis dans leurs champs qui n’ont pas produit. Là, ils sont totalement désemparés. Ici, la famine a déjà commencé. Nous sommes très inquiets », s’alarme KodjoKougblénou qui, lui aussi, à ce jour, ne voit de recours que d’adresser des « Notre père, qui es aux cieux… ». Comme quoi, avec le changement climatique, chaque goutte de pluie tombée, au bon moment, au bon endroit, devient la garantie du pain quotidien.

Maxime DOMEGNI (L’ALTERNATIVE)