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NOS CERTITUDES

Togo - Opinions
Sénouvo Agbota ZINSOU
NOS CERTITUDES

Hier soir, 8 juillet 2014, l’Allemagne a écrasé le Brésil, cinq fois champion du monde et pays organisateur du Mondial par sept buts à un. Un mythe est peut-être tombé: cinq étoiles piétinées dans la boue! Leçon?

 Mon intention n'est pas de faire la liste ou une liste des mythes, de nos certitudes qui persistent ou qui tombent et de les analyser. Mais je crois, à tort ou à raison, que celle qui nuit le plus à notre société est celle du mythe de l'intellectuel, perçu, non pas comme un mythe, mais comme une certitude absolue et immuable. Lorsque j'étais petit, alors que la lutte pour l'indépendance battait son plein, on parlait à côté de moi d'un militant déterminé de l'Ablodé. Quelqu'un disait de lui : «  Quand nous aurons l'indépendance, il sera ministre. Il le mérite pour tous les sacrifices auxquels il a consenti. Un autre demandait, ironique et sceptique : « Celui-là ( il le désignait par son nom, avec une mimique d’ironie teintée de mépris) ? Est-il lettré? Quel diplôme a-t-il ? ». N’entend-on pas des propos, des échanges de ce genre aujourd’hui ? Genre : «  Quand nous aurons la démocratie…Quand notre parti sera au pouvoir… ».

Combien de certitudes fondées sur la pensée commune, sur des mythes y a-t-il dans le simple échange sur le militant de l’Ablodé? Naturellement, nous vient à l'esprit le mythe qui qualifierait automatiquement un lettré pour des fonctions de ministre ou équivalent, c'est-à-dire de leader dans notre société. Et quand on pense que dans notre société, des personnes ont été raillées parce qu'elles parlaient ou parlent mal le français alors qu'elles occupent des fonctions de dirigeants ou y prétendent, on comprend que ce qui est pris pour signe de l'appartenance à l’élite est le beau parler français. J'avais assisté un soir à un spectacle de théâtre au Centre Culturel Français de Lomé, dans les années 70, au cours duquel un spectateur avait voulu faire une blague comme celles que l'on fait souvent dans nos spectacles populaires de concert-party, en ewe-mina. C'était une représentation de La visite de la vieille dame de Friedrich Durrenmatt, jouée par une troupe dite mixte, c'est-à-dire composée d'Africains et d'expatriés, pour la plupart coopérants français, dirigée par un fonctionnaire de l’OMS, médecin de son état, qui, dans une conversation privée, m'avait confié qu'il faisait de la médecine pour vivre, mais que ce qui le passionnait c'était le théâtre. Le spectateur intervenant en plein spectacle risquait de troubler une belle tirade que la salle écoutait fascinée, religieusement. Un autre spectateur) l’avait sévèrement réprimé : « Tais-toi, ignorant. Ici c'est le beau français! Ce n'est pas le concert-party. » Si je suis d'accord que l'intervention supposée venue du concert-party est mal placée ici, je ne suis pas sûr que la hiérarchie établie par le second spectateur qui placerait le théâtre en français au-dessus du concert-party soit absolument incontestable. Ne nous trouvons-nous pas en face de genres qui ont leurs particularités, chacun devant être respecté par tous, exactement comme dans la société, chacun à son niveau, selon ses talents peut être utile sans qu’on ait besoin d’établir une hiérarchie entre les citoyens ? Mais, le plus comique de la situation est que, quand quelques jours après j'ai raconté cette histoire à un ami français, il a rigolé et m'a dit: « Le beau français écrit par un Suisse de langue allemande? » Il s’agissait d’ailleurs de la traduction en français d’une pièce écrite en allemand( Der Besuch der alten Dame). Mais, combien de spectateurs le savaient ? Et nos compatriotes s’extasiaient devant ce beau français, même conscients que l’acteur qui débitait si admirablement la belle tirade n’en était pas l’auteur et que, une fois la scène quittée, il pourrait parler comme l’autre spectateur « ignorant ».

Ainsi, derrière la certitude du beau français, lui-même comme signe d'appartenance à l'élite intellectuelle, cette appartenance elle-même,  comme preuve de la capacité à bien analyser les situations et à prendre les bonnes décisions pouvant éclairer notre société, que d'ignorances, que de faiblesses du jugement, que d'erreurs passent inaperçues? Le problème n'est pas non plus que le Suisse allemand ne puisse pas écrire en bon français. Personne n'est à l'abri de certitudes, fondées ou erronées, pas plus mon ami français qu'un autre.

Mais, m'adressant à nos concitoyens, aussi bien à nous qui avons la prétention d'appartenir à l'élite intellectuelle qu'à ceux qui n'ont pas ( heureusement, peut-être) cette prétention ou même cette vanité, dirai-je qu'il nous faut assez de discernement pour savoir que ces certitudes, loin de nous faciliter la tâche au moment de la décision, déjà fondées sur des préjugés, ne font que nous enfoncer dans l'erreur? A part les certitudes du diplôme universitaire, du maniement des langues étrangères, du titre, de la distinction honorifique...combien d'autres, de l'argent, du nom que l’on porte, de la richesse etc. peuvent cacher des préjugés et donc être sources de comportements regrettables?
Dire que, campés sur ces certitudes-là nous nous querellons, nous nous défendons, nous suons sang et eau, nous nous croyons fondés à régler des comptes d’ego à nos adversaires, mais aussi, parfois, à nos rivaux du même bord, sans jamais admettre que nos arguments pourraient être biscornus ! Dire que gonflés de ces certitudes-là nous réfutons toute idée de critique et d’autocritique ! Dire que ces certitudes-là étouffent, écrasent certains d'entre nous, surtout ceux qui ne discernent pas ce qui se cache derrière elles! Dire que la peur d’apparaître aux yeux des autres comme n’ayant pas les signes extérieurs de l’appartenance à l’élite dirigeante, la classe de ceux qui demain, « quand nous aurons la démocratie, quand notre parti sera au pouvoir »,  ne seront pas reconnus comme  qualifiés pour occuper  des postes de responsabilité, dire que cette hantise nous tourmente, nous chagrine, nous met sous pression, nous somme de produire ici et maintenant les preuves de ce dont nous sommes capables !

Nous arrive-t-il par exemple de nous demander si derrière le nom, le titre, les diplômes, bref, derrière le personnage à « la carte de visite particulièrement chargée »1 (éminent professeur, savant de renommée mondiale, juriste hors pair, bienfaiteur de l'humanité…), il ne se cacherait pas un vil escroc, un cupide marchand de soupe, un intriguant mesquin et sans scrupule, un magouilleur et même simplement un pauvre con ? Car tous les titres, tous les attributs sont bons, s’il ne manque pas à celui qui les détient celui, très simple, d’honnête homme...Je ne fais allusion à personne, évidemment.
 
Agbetō xõõvi ! Xõvi ! xõvi ! Tete le mōdji ma yi !( Bêtise humaine, ôte-toi de mon chemin!)
Sénouvo Agbota ZINSOU