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Sauvez votre vie, mon capitaine !

Togo - Opinions
David Kpelly
Mon capitaine, voici une semaine que, sur un coup de colère à la militaire, vous avez décidé, avec un groupe de collègues sans grades, de confisquer le pouvoir que le peuple malien, souverain depuis maintenant deux décennies, avait décidé de confier à un frère en qui il a confiance. Une semaine qui paraît aussi longue qu’un siècle, parce que votre intrusion intempestive a carrément paralysé un peuple habitué à bouger au jour le jour pour trouver sa pénible pitance. Une semaine sans activités dans la vie d’un peuple dont la majorité est composée de commerçants, d’agriculteurs et d’ouvriers payés à l’heure, mon capitaine, c’est presque une éternité de misère et de soupirs.

Mon capitaine, vous avez, dites-vous, arraché le pouvoir au président démocratiquement élu parce que vous lui reprochez sa mauvaise gestion de la rébellion au Nord de notre pays, son indulgence vis-à-vis de rebelles qui se plaisent à exécuter vos collègues d’armes, vos frères et amis. Il vous envoie vous faire assassiner sans vous donner des armes, alors que vos supérieurs hiérarchiques corrompus, restés dans les casernes avec leurs familles, détournent vos primes et salaires, dites-vous. Votre revendication était légitime. Mais vous vous êtes très rapidement décrédibilisé, en vous plaignant dans l’un de vos premiers communiqués de la misérable condition dans laquelle vous vivez, vous les officiers de bas niveau, vos femmes qui ne travaillent pas et qui sont des ménagères, vos enfants qui n’étudient pas – peut-être même votre incapacité à entretenir des maîtresses... C’est un malaise profond qui vous rongeait, on peut vous comprendre, mais cela ne vous autorise pas à prendre un pays démocratique en otage à un mois des élections. Vous avez agi sous le coup de la colère, une révolte personnelle contre votre minable condition. La colère est humaine, mais elle n’est pas une bonne conseillère, dit l’adage. Voilà une semaine que vous avez commis le forfait fatal, et il faut maintenant surpasser la colère, et analyser tous les contours de votre acte.
Mon capitaine, vous avez commis un coup d’Etat dans un pays qui a appris à librement choisir son dirigeant depuis vingt ans, un pays qui n’est plus aujourd’hui prêt à supporter un dirigeant qui s’impose à lui, un pays si fier de sa démocratie qu’il en abuse des fois. Vous avez destitué un président qui ne constitue en rien une menace pour la démocratie malienne, un président qui était prêt à s’en aller tranquillement à la fin de son mandat. Peut-être avez-vous, avant d’agir, pensé aux récents coups d’Etat dans les pays voisins du Mali, notamment la Guinée Conakry et le Niger. Erreur. La Guinée était au bord de l’implosion à la mort d’un président qui avait trop duré au pouvoir, avec une classe politique non structurée et des institutions sans aucune crédibilité. Le Niger s’était retrouvé devant un Mamadou Tandja fou qui s’amusait à dissoudre toutes les institutions qui osaient l’empêcher de briguer un mandat de trop. Et dans ces deux cas, les coups d’Etat, sans être de bons, étaient la meilleure approche de solution devant le chaos. Mais vous, mon capitaine, vous avez touché à un président qui, même s’il est plus ou moins désavoué à l’intérieur de notre pays, dispose d’un pouvoir légitime et légal, et est auréolé sur le plan international.

Mon capitaine, à peine avez-vous commis le forfait que vous vous étiez retrouvé devant un peuple dégoûté, vous accusant d’avoir lacéré sa démocratie acquise au prix de son sang. Un peuple vous demandant de retourner dans votre caserne pour que l’ordre constitutionnel soit rétabli. Vous avez buté sur une classe politique et une communauté internationale qui, comme si elles s’ étaient concertées, vous ont désavoué à l’unanimité. Même la rébellion que vous avez promis de calmer, et qui justifie votre prise du pouvoir, ne veut pas négocier avec vous, ne vous trouvant pas légitime et soutenu par la communauté internationale. Personne, mais alors personne, mon capitaine, n’a approuvé votre acte. Pas même la Chine et la Russie. Quel malchanceux pestiféré vous êtes, mon capitaine !

Mon capitaine, pour vous leurrer, vous avez commencé à encombrer la chaîne nationale de télévision de ridicules déclarations de soutien, où des groupes de deux à trois hères emballés dans des vestes aussi amples que ces robes que portent les femmes enceintes de chez moi, et qu’on appelle future maman, avec des cravates aussi larges que le voile d’une nouvelle mariée afghane, vous lisent des déclarations bourrées de fautes au nom d’associations et syndicats inexistants. Cette méthode, mon capitaine, est trop désuète pour impressionner aujourd’hui. C’étaient des dictateurs loufoques, analphabètes et impopulaires comme Eyadema et Mobutu qui avaient trouvé cette ridicule méthode pour flouer la communauté internationale qui ne les croyait même pas. Vous ne pouvez donc pas fonder votre putsch sur cette cocasserie.

Mon capitaine, sachez que vous êtes assis sur une bombe à retardement qui explorera dans quelques jours. Dans trois jours, le mois tirera à sa fin. Et vous ne serez pas en mesure de payer les fonctionnaires. Le Mali fait partie des pays africains qui dépendent terriblement des aides de l’Occident. Et tous les partenaires viennent de suspendre leurs aides. Les banques nationales n’ouvrent pas. Le pays est même menacé par la famine et la sécheresse. Les fonctionnaires maliens ne sont plus habitués aux retards de salaires, eux dont la majorité vit au jour le jour, et ils n’hésiteront pas à se jeter dans les rues pour manifester contre vous, appuyés par les privés que votre putsch a paralysés depuis une semaine. Qui connaît la virulence des Maliens peut déjà vous garantir cette révolte populaire incontrôlable qui vous attend juste dans quelques jours, et contre laquelle vous ne pourrez lutter qu’avec des coups de balles assassins qui mettront à vos trousses la justice internationale. Et on voit mal votre voix aussi cassée que celle d’un mauvais chanteur à une veillée funèbre de village vous défendre devant les juges de la cour pénale internationale.

Mon capitaine, écoutez ce proverbe africain qui stipule que le fleuve se plaint de courir pour une éternité parce qu’il n’a jamais eu un bienfaiteur pour l’arrêter. Vous courez dans le vide depuis une semaine, mon capitaine, et la Cedeao vient de vous demander de vous arrêter. Ignorez, mon capitaine, la honte, et retournez dans votre caserne. Je parie que vous jouez au P.M.U, comme c’est l’un des plus grands loisirs de nos militaires, considérez donc que c’est une mise perdue. Reprenez votre pauvre vie de capitaine et contentez-vous de savourer les plats copieux de votre ménagère de femme – elles préparent mieux que les femmes des bureaux, avant que le pire ne vous arrive. Parce qu’il vous arrivera, le pire, très bientôt si vous vous obstinez à garder ce pouvoir que vous ne maitrisez pas. Vous recevez déjà des menaces de la communauté internationale, et vous savez qu’elle n’hésitera pas à vous liquider, comme vous ne coûtez pas cher, ni devant votre peuple, ni devant la face du monde.

Mon capitaine, vous avez, dans un de vos communiqués, autorisé tous les Maliens à dire ce qu’ils pensent de votre acte, à vous critiquer s’ils le veulent bien. Ceci est la voix d’un fils que le Mali a adopté depuis quatre ans, qui vous aime comme un frère, et aime votre patrie comme la sienne.