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MAITRE AGBOYIBO EST SUR UNE PENTE DANGEREUSE

 MAITRE AGBOYIBO EST SUR UNE PENTE DANGEREUSE


Ces derniers jours, une “anecdocte” a fait beaucoup de bruit dans la classe politique togolaise. Il s'agit de celle que Maître Agboyibo aurait racontée lors de la réunion du 25 août dernier du “Dialogue inter-togolais”. Jusqu'à présent, il était très difficile de savoir ce qu'il avait effectivement déclaré. Heureusement, dans sa lettre du 9 septembre au Premier Ministre, le CAR a précisé la pensée de Maître Agboyibo. On peut alors mesurer le danger que celle-ci représente.

En effet, il y est écrit : « dans les pays confrontés à une discrimination politique, raciale, ethnique ou autre (tels que le Burundi ou l’Afrique du Sud), la solution a toujours consisté à préparer la voie des élections libres en libérant d’abord l’Etat confisqué par un partage équitable du pouvoir. ». Et plus loin : « Maître Agboyibo conclut que la discrimination est le mal capital du Togo et qu’elle est visible partout, notamment dans les administrations. Pour guérir ce ‘’ cancer’’, il faut accéder à la notion de partage du pouvoir, au-delà des partis en se plaçant au niveau des régions et des communautés, bon nombre de ces partis politiques n’étant que des sigles ; toute autre solution reviendrait à traiter la migraine à la place du cancer comme précédemment. Le partage du pouvoir se ferait de la base au sommet entre les régions et communautés représentées par les formations politiques en qui elles se reconnaissent et instituerait une forme de transition qui devrait déboucher sur la mise en place d’un Etat démocratique …»

Examinons d'abord le diagnostic établi par Maître Agboyibo et ensuite le remède qu'il prescrit.

D'après lui, il y aurait un mal togolais dû à une discrimination. Il se défend d'avoir dit qu'il s'agit d'une discrimination ethnique. Et pourtant, quand on lit ses propos, il est difficile d'en avoir une autre compréhension. Laissons de côté la « discrimination politique » qui ne veut pas dire grand'chose, car lorsqu'un parti est au pouvoir, on l'a rarement vu appeler ses opposants à venir le partager (sauf en cas « d'union nationale », qui traduit toujours une trahison des partis de l'opposition, à moins que ces partis poursuivent tous, en réalité, les mêmes buts). Laissons de côté aussi la « discrimination raciale », qu'on peut difficilement invoquer au Togo. En effet, il n'est pas nécessaire d'être doté d'une perspicacité extraordinaire pour se rendre compte que la population du Togo, à part quelques expatriés immigrés, est composée d'une seule et même race, mais avec plusieurs ethnies. Il n'y a pas non plus aujourd'hui au Togo trace d'une discrimination religieuse. Ainsi donc, quand on a fini de faire le tour des différentes possibilités que Maître Agboyibo évoque dans son propos, une seule peut être retenue : « il y a aujourd'hui une discrimination ethnique au Togo, avec le pouvoir confisqué par une ethnie, les Kabyès ». C'est bien là le fond de sa pensée, bien qu'il prenne soin de le camoufler.

Il est vrai que le pouvoir en place fait jouer un rôle particuler aux Kabyès : les forces de répression sont composées à plus de 90% de Kabyès. Il est donc compréhensible que le ressentiment que la population a légitimement contre le régime se retourne parfois aussi contre les Kabyès. Mais c'est aux démocrates de toutes origines, de lutter contre cette tendance et d'aider la population à distinguer entre le régime d'un côté et l'ethnie Kabyè de l'autre. Car, en dehors des forces de répression et de certains intellectuels Kabyès qui occupent des postes « juteux », surtout après le soulèvement du 5 octobre 1990 – mais il n'y a pas que des intellectuels Kabyès qui occupent de tels postes - , on peut difficilement dire que ce régime est au service de l'ethnie Kabyè. Il suffit de parcourir le pays Kabyè pour s'en convaincre : l'ethnie Kabyè n'est pas mieux lotie que les autres. Toutes sont victimes de la politique de ce régime qui affame toute la population, ne lui permet pas d'avoir les moyens d'instruire ses enfants, et de se soigner en cas de maladie, etc.

Est-ce à dire que ce régime n'est pas régionaliste et ethniciste ? Nullement. En réponse aux constructions hasardeuses de Sey-Sandah Lantam-Ninsao , qui voulait nous convaincre que ce régime n'est pas régionaliste, j'ai eu l'occasion de montrer que ce régime nie les droits des citoyens en tant qu'individus . Tout est fait en tenant compte des origines régionales et ethniques de ces derniers, dans les plus petites choses comme dans les grandes, de l 'attribution de bourse aux étudiants, comme dans la nomination d'un Premier Ministre. En ce qui concerne ce dernier poste, notons que depuis sa création, aucun Kabyè, ni même un originaire du nord, n'a été nommé pour l'occuper. Tous les Premiers Ministres nommés par Eyadéma sont du sud (il n'est pas facile de déterminer la limite entre le nord et le sud, mais dans certains cas l'origine régionale ne souffre d'aucun doute). Pouquoi un Moba, un Bassar, un Kabyè, un Tchokossi, etc. ne peut pas devenir Premier Ministre, sous le prétexte qu'Eyadéma, un originaire du nord, est déjà Président de la République ? Pourquoi, au lieu d'appliquer des critères d'attribution de bourse d'étude indépendants de l'origine régionale et ethnique, un étudiant originaire du sud du pays doit-il être écarté du bénéfice de cette aide, sous prétexte d'un « rattrapage du sud par le nord » (en fait on fait payer à ce jeune le fait que les colons, venus par la mer, se sont d'abord installés dans le sud, bien que ce jeune, né plusieurs dizaines d'années plus tard, n'y soit pour rien) ? C'est en ce sens que ce régime est régionaliste et ethniciste, non pas parce qu'il est là au bénéfice d'une région ou d'une ethnie mais parce qu'il nie, en pratique, les droits individuels des citoyens de la République, tous égaux devant la loi, pour les remplacer par des « droits » de régions, d'ethnies, etc., toutes entités qui n'ont rien demandé et dont la plupart n'existent pas comme structures organisées.

Pour étayer son diagnostic, Maître Agboyibo fait référence à l'Afrique du Sud. On peut avoir des désaccords sur la manière dont les processus se sont déroulés en Afrique du Sud (par exemple, jusqu'à maintenant, les populations noires qui ont été chassées de leurs terres par la force par les colons blancs n'ont toujours pas retrouvé leurs biens), mais il est une chose sur laquelle on peut facilement être d'accord : la situation qui était celle de l'Afrique du Sud n'a rien à voir avec celle du Togo. Où sont les « bantoustans » au Togo ? Où est la constitution légale (par la loi) de citoyens de seconde zone ? Où sont les « pass » pour se rendre dans les « villes Kabyès » (comme pour les villes blanches d'Afrique du Sud) ? En Afrique du Sud, le pouvoir était composé uniquement de blancs, à l'exclusion de tout membre de la majorité noire, quelle que soit par ailleurs la position de ce dernier. Qui peut dire que nous avons une situation analogue au Togo ?

Au contraire de ce que semble indiquer la référence à l'Afrique du Sud, depuis ses origines jusqu'à maintenant le pouvoir togolais a toujours été « partagé » entre les différentes ethnies du pays, au sens où l'entend Maître Agboyibo, c'est à dire qu'il est exercé par des gens provenant de toutes les ethnies. C'est un groupe pluriethnique qui a installé ce régime dans les années 60-70. C'est un groupe pluriethnique qui l'a toujours exercé et qui a donc inocculé au peuple togolais le « cancer » qui le ronge. Que le partage entre les différents membres de ce groupe n'ait pas été équitable, est une autre histoire. Mais il y a bien eu et il y a toujours partage. Maître Agboyibo oublie-t-il qu'il a lui-même partagé ce pouvoir ? N'a-t-il pas été membre du Comité central et député du RPT, alors parti unique, jusqu'au soulèvement populaire du 5 octobre 1990 ?

Ayant constaté que le diagnostic établi ne correspond en rien à l'état du malade, il ne faut pas attendre de notre docteur une thérapie adéquate.

Pour Maître Agboyibo il faut désormais qu'il y ait un partage du pouvoir entre les régions et les ethnies. Une permière difficulté : comment représenter ces entités, puisqu'elles ne sont pas organisées en tant que telles ? Maître Agboyibo a la réponse : « Le partage du pouvoir se ferait de la base au sommet entre les régions et communautés représentées par les formations politiques en qui elles se reconnaissent ». Peut-être Maître Agboyibo joue-t-il sur le terme « formations politiques », mais à ma connaissance, au Togo, il n'y a pas d'autres formations politiques que les partis politiques. Là est tout le danger ! Les partis politiques ne seront plus des partis nationaux (ou à vocation nationale) mais des partis ethniques. Comme il est d'ethnie Ouatchi et Président du CAR, peut-être Maître Agboyibo estime-t-il qu'il est dores et déjà le chef de la « communauté » Ouatchi, organisée dans le CAR ? Mais à ma connaissance, le RPT, l'UFC, la CDPA, etc. (pour ne citer que les plus importants) ne sont pas des partis ethniques. Doivent-ils faire une épuration dans leurs rangs pour atteindre une « pureté ethnique » ?

Avec de telles conceptions, un danger menace le Togo : le chaos. Qui décidera quelle part doit revenir à telle ou telle ethnie ? Ce sera la guerre à l'infini. Il suffit de voir ce qui se passe au Burundi, au Congo démocratique, en Côte d'Ivoire, etc. pour s'en convaincre.

Rappelons qu'en 1990-1991, le peuple togolais, toutes ethnies confondues, avait entrepris une oeuvre de salut national, en se mettant en mouvement pour chasser le régime qui l'opprimait et l'exploitait depuis environ un quart de siècle. Si ce mouvement n'a pas pu aboutir c'est parce qu'un groupe d'hommes s'était farouchement opposé à ce que le régime fût chassé (notamment en déclarant que si le régime était chassé il y aurait un vide politique). Maître Agboyibo était de ce nombre. S'ils s'y étaient opposés, ce n'est pas parce qu'ils ne voulaient pas de changement, mais ils voulaient un processus maîtrisé afin que le changement se fît à leur bénéfice. Il est symptomatique que les mêmes, n'ayant pu accéder au pouvoir de cette manière, parce que les choses ne se sont pas déroulées comme ils l'avaient bénoîtement espéré (Eyadéma qui avait, et a toujours la puissance armée, et à qui ils avaient fait l'amabilité de le laisser en place, ne va quand même pas tranquillement leur céder son fauteuil), viennent aujourd'hui proposer qu'il y ait un partage du pouvoir sur une base ethnique. Que cela risque d'entraîner le Togo dans une chaos dont nous avons déjà des exemples en Afrique ne les gêne pas. Seul leur désir d'arriver au pouvoir leur importe.

Tous les démocrates, tous ceux pour qui le sort du peuple togolais compte avant tout, tout ceux qui considèrent que le plus important c'est de préserver ce peuple, doivent tout mettre ne oeuvre pour empêcher que de telles conceptions aient même un début d'application au Togo. Ce que le peuple togolais reproche à ce régime ce n'est pas d'être Kabyè (ce qui d'ailleurs n'est pas la réalité), mais de l'avoir affamé, en le spoliant de ses richesses depuis près de 40 ans.

La question qui est aujourd'hui posée au Togo n'est pas la composition ethnique du pouvoir, mais quel gouvernement, en rendant les richesses de la nation à la nation, va permettre au peuple togolais de vivre décemment, de se soigner en cas de maladie, d'instruire ses enfants, etc. Alors, qu'un gouvernement qui prend des mesures allant dans ce sens, soit à 100% de telle ou telle ethnie, ou un mélange de différentes ethnies, n'a aucune importance. S'il défend ainsi le peuple, ce dernier, toutes ethnies confondues, le reconnaîtra comme le sien.


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Sey-Sandah Lantam-Ninsao : « Réflexions sur les préjugés concernant la dictature togolaise et leurs conséquences désastreuses sur la lutte pour la démocratisation des moeurs politiques au Togo » et « Contribution à la recherche de nouvelles stratégies pour le combat patriotique contre la dictature et la restauration constitutionnelle au Togo »

G. HOME : « La dictature togolaise est une dictature militaire, régionaliste et ethniciste mais aucune région, aucune ethnie n'est responsable » et « Les raisons du piétinement de l'opposition face à la dictature ne sont pas celles avancées pour justifier la candidature de Dahuku Péré »


Le 26-09-04,
G. HOME.