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LE VIRUS DE VẼTƐ-ME

Togo - Opinions
LE VIRUS DE VẼTƐ-ME1
 
Les argots, en particulier celui des gbevṹviwo ( petits chiens sauvages ) ou si vous voulez des petits voyous de Lomé, évoluent très vite. Il est donc possible et même évident que l'argot des petits voyous, argot nommé akpogbe, ait inventé un autre mot pour désigner ce qu'ils appelaient dans les années 80-90, vἕtε-me, une hybridation du français vente et du mina vἕtε, signifiant petite culotte, ce qui donne quelque chose de peu clair pour une oreille honnête, non pas que le rapprochement entre le mot français et le mot mina soit vraiment difficile à faire, mais parce que ce que le mot hybride lui-même traduit une activité assez obscure. Les gbevṹviwo disaient par exemple d'un objet qu'ils détenaient mais dont l'origine n'était pas claire et qu'ils avaient mis en vente : «  Mi sōe do vἕtε-me ». Jouant sur l'ambiguïté de l'assonance, ils pourraient aussi bien vous faire entendre, qu'ils l'ont mis dans la petite culotte, ou qu'ils l'ont vendu. C'est selon la disposition de votre oreille.

Ce qui me frappe en poursuivant le jeu de l'hybridation, c'est qu'on peut arriver à se demander s'il n'y aurait pas une parenté, lointaine ou proche, entre le fait de mettre quelque chose en vἕtε-me et le mettre quelque part en tapinois, au sens où Clément Marot parlait de son valet de Gascogne qui lui a volé sa bourse, qui,
Gourmand, ivrogne et assuré menteur
Pipeur, larron, jureur, blasphémateur
[...]se leva plus tôt que de coutume
Et me va prendre en tapinois icelle
Puis la vous mit très bien sous son aisselle
Argent et tout cela se doit entendre
Et ne crois point que ce fût pour le rendre...2
Sous leur aisselle ou à l’aine, dans leur petite culotte ( vἕtε-me), dans tous les cas, en catimini, certains de nos honorables concitoyens, honorables, donc qui ne sont ni menteurs, ni pipeurs, ni larrons, « au demeurant les meilleurs fils du Togo » ( je paraphrase toujours Marot ), hommes et femmes de valeurs et libres, donc pas valets de Gascogne, ni valets d'aucune sorte, ont ce qu'ils ont à vendre bien caché et ne sont prêts ni à le montrer, ni à le rendre, répétant en secret ou en public comme la Mama Goalier de mon avant-dernier article : « Me lii ke. Nye me tsō ge a na kpō o! » ( je le tiens, je ne le rendrai jamais! ) Évidemment, ce n'est pas en public que vous les surprendriez en train de mettre sous l'aisselle ou en vἕtε-me ce qu'ils ont à vendre.

Il existe une autre expression que j'ai retenue de l'akpogbe, la langue des gbevṹviwo qui eux-mêmes ne se désignaient pas comme de petits chiens sauvages, mais de petits charognards, aklaviwo. Ils disaient : «  aklaviwo descend grand ma » ( Les petits charognards sont descendus au grand marché ).

Bien entendu, répétant ici cette expression, je ne fais nullement allusion aux gens qui, il y a quelques mois, avaient incendié les grands marchés de Kara et de Lomé, car ceux-là doivent plutôt être de grands charognards, mais, c'est la beauté et la suavité de leur langue qui me plaît et que je voudrais partager avec vous. Maintenant, si vous voulez y trouver des sens à appliquer à notre société, eh bien, je ne vous l'interdis pas.

Vἕtε-me! Quoi? Veut-on dire que nous sommes maintenant devenus capables de tout monnayer, de tout mettre en vente, non seulement nos semblables, nos compatriotes comme au siècle de l'esclavage ( je ne parle pas des petites trahisons, juste les petites trahisons inévitables dont nous avons besoin pour nous nourrir, s'il vous plaît ) mais, nous-mêmes, notre âme, notre conscience. Bien sûr que je l'avais cru, autrefois et je l'avais écrit dans mon roman Yévi et l'éléphant chanteur 3
Oui, Yévi Golotoé, pour remplir son petit ventre tout ballonné, est capable de tout vendre, au besoin assassiner tout le monde, employant ruse, coups bas,  mesquineries, violence. Mais, Yévi n'est qu'une araignée, un insecte méprisable et nul n'a le droit d'identifier nos honorables compatriotes à ce sale petit insecte. Mais si une armée de Yévi « descend grand ma », il y aura danger, dites-vous, danger sur la place publique, danger plus grave que celui que causeraient les aklaviwo qui se contenteraient, eux, en envahissant le marché, de mettre en « vἕtε-me » les petits produits de leur larcin, danger plus grave encore que l'incendie des marchés de Kara et de Lomé par les grands charognards, danger toujours plus grave de destruction des valeurs dévorées par les flammes.

Le sous-titre « un vrai conte » de Yévi et l'éléphant chanteur n'est pas gratuit, car par la magie que lui prête le conte, je veux dire par son pouvoir maléfique, le héros de notre histoire sait  se hisser, quoi qu’il arrive, là où il a prévu de parvenir, mettant tout en « vἕtε-me »... Et sa magie dévastatrice est telle que rien ne saurait lui résister. Un seul Yévi ! Qu'arrivera-t-il s'ils sont cinq, dix, vingt, tous pris du virus de vἕtε-me, à descendre dans l'arène, à fondre sur le pays?

Moralité de la fable. A quoi ça sert? Quelqu'un a réagi une fois à l'un de mes articles en me faisant remarquer que pour régler les problèmes du Togo, on n'a pas besoin d'écrire deux cents pages. Cela m'avait d’abord fait rire. Pour être court, c'est admirablement court, non? Et j’étais prêt à lui répondre que même en dix mille pages, on n’a pas fini de raconter les problèmes dont souffre la société togolaise. Disons plutôt objectivement : on n'a pas fini de peindre les mœurs sociales et politiques de la gent togolaise, gent spéciale et complexe s'il en est. Sérieusement ou en riant. Mais aujourd'hui, je donne raison à ce compatriote et je le remercie. Moi aussi, je me suis posé, quelquefois, cette question. Depuis que le conte existe, Yévi est resté le même et finit toujours écrasé dans un coin de mur. Ce qui ne l'empêche pas de réapparaître dans le prochain épisode, accumulant toujours ce qu'il peut dans son ventre, non, en vἕtε-me. Est-ce encore la peine de le raconter ? En ce sens, faites couler votre salive, écrivez, si vous voulez, des milliers et des milliers de pages! Des dizaines, des centaines de milliers même ! Ce n'est pas Yévi qui se donne ( inutilement ?)de la peine. C’est vous, les malheureux conteurs.
Sénouvo Agbota ZINSOU
 
1.La graphie m’a posé quelques problèmes.
2. Clément Marot, Au roi pour avoir été dérobé, in Lagarde et Michard, XVI siècle, Bordas, p. 23-24
3. Saz Yévi et léléphant chanteur, éd. A.3, Paris 2003