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Face aux nouveaux géants mondiaux, l’intégration régionale en Afrique s’impose

Togo - CHRONIQUE - Finances et Economie
Tant que l’Afrique restera divisée, elle ne sera pas capable de tirer le meilleur parti de la concurrence entre ses partenaires.
Les partenariats conclus par l’Afrique s’élargissant rapidement, l’intégration régionale devient primordiale. Tant que l’Afrique restera divisée, elle ne sera pas capable de tirer le meilleur parti de la concurrence entre ses partenaires. Afin d’acquérir la masse critique indispensable pour les négociations, les pays d’Afrique doivent coordonner plus efficacement leurs politiques et déléguer une partie de leur souveraineté au niveau supranational. Les initiatives engagées dans le cadre de l’Union africaine, dont le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) et le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), doivent être renforcées et menées à bien.

Il faut donner un nouvel élan à l’intégration régionale. Un agenda clair a été établi pour l’intégration économique de l’Afrique dès les années 60 (Grant et autres, à paraître). Toutefois, même si un échéancier a été arrêté, les progrès sont lents et les dates butoirs ne sont pas respectées. Les communautés économiques régionales continuent de pâtir de l’instabilité politique, du manque de diversification économique, de l’appartenance à des groupements multiples dont les zones de compétence se chevauchent, de l’insuffisance des moyens financiers ainsi que d’une mise en œuvre déficiente des protocoles et décisions définis conjointement, entre autres (chapitre 3).

Les partenaires traditionnels ont un rôle à jouer dans l’intégration économique régionale, puisqu’ils ont pour objectif déclaré de faciliter le développement économique de l’Afrique et le financement des groupements régionaux, notamment. Dans le cadre de leur loi sur la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA), les États-Unis ont instauré des plateformes régionales pour la compétitivité des échanges afin d’aider les sous-régions africaines à profiter des accès préférentiels accordés par cette loi. L’Union européenne négocie, quant à elle, des accords de partenariat économique avec des groupes infrarégionaux et est un grand pourvoyeur d’aide au développement au niveau régional, dans le but spécifique de renforcer l’intégration régionale.

De leur côté, les partenaires émergents participent au financement et à la construction de l’infrastructure de transport, ce qui permet de s’attaquer à l’un des obstacles majeurs à l’intégration régionale. Mais plus largement, si le programme d’intégration économique régionale reçoit un soutien explicite des partenaires émergents, à ce jour, la plupart des engagements s’opèrent au niveau bilatéral.


La Chine, l’Inde, le Brésil et l’intégration régionale de l’Afrique

- Le Forum pour la coopération sino-africaine (Focac), qui a défini la politique de la Chine en Afrique en 2006 et demeure le cadre régissant les relations entre ces deux blocs, fait référence à l’Union africaine et aux groupements régionaux, mais ne mentionne rien de précis quant à l’aide chinoise à ces institutions. La Chine a soutenu certaines initiatives africaines d’instauration de la paix et de la sécurité, telles que l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad) et le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). Elle apporte aussi son assistance à certaines activités de l’Union africaine, et depuis peu, les fonctionnaires chinois témoignent d’une volonté croissance de s’engager auprès de l’Afrique à un niveau plus multilatéral, afin d’appuyer l’intégration régionale. Pourtant, l’aide de la Chine demeure essentiellement bilatérale, et très concentrée sur le développement de l’infrastructure.

- Lors du sommet Inde-Afrique d’avril 2008, la déclaration de Delhi a clairement indiqué que l’Inde entendait renforcer son partenariat avec l’UA et les groupements régionaux. Nul ne sait encore comment cette volonté va se manifester et à ce jour, la coopération indienne revêt dans une large mesure la forme de formations techniques et d’investissements dans le secteur privé. 

- Lorsqu’il était encore aux affaires, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva était l’un des plus ardents défenseurs du développement de l’Afrique sur la scène internationale, et a fait de nombreuses visites sur ce continent, accompagné de représentants du secteur privé. Cependant, la coopération entre le Brésil et l’Afrique passe toujours essentiellement par des relations bilatérales. En juillet 2010, toutefois, la Cedeao et le Brésil ont organisé un sommet spécial des chefs d’État à Sal (Cap-Vert).

Au-delà des déclarations d’intentions, on peut craindre que les acteurs économiques, anciens et nouveaux, ainsi que leurs homologues africains ne nuisent à l’intégration régionale en concluant des accords commerciaux bilatéraux. Asche (à paraître) affirme que cette crainte se justifie pour les relations avec les trois grandes puissances : l’Union européenne, les États-Unis et la Chine. Des accords bilatéraux sont acceptables pour les investissements tant que les politiques d’investissement ne sont pas harmonisées dans les groupements africains et tant que les agences de promotion de l’investissement servent les intérêts nationaux. Cependant, pour ce qui est du commerce, dans la mesure où les groupements régionaux africains s’efforcent de se transformer en unions douanières dotées de tarifs extérieurs communs, l’Afrique doit conclure des accords régionaux, et non bilatéraux. Or, ce n’a pas été le cas de l’Accord sur les échanges, le développement et la coopération (ACDC) conclu entre l’UE et l’Afrique du Sud, par exemple. Les négociations commerciales de la décennie passée entre l’UE et d’autres pays d’Afrique subsaharienne étaient censées être conduites avec les communautés régionales dans le but de favoriser l’intégration, mais elles ont en fait été supplantées par des négociations bilatérales. Les communautés économiques régionales (CER) africaines se composent de deux catégories de pays. Ceux qui sont classés parmi les pays les moins avancés (PMA) n’ont pas besoin de signer les accords proposés par l’UE pour pouvoir continuer de bénéficier des préférences commerciales européennes. En revanche, ceux qui sont classés parmi les pays à revenu intermédiaire (PRI) seront les perdants du commerce avec l’UE s’ils ne signent pas d’accord de partenariat économique, et se trouveront ainsi de nouveau assujettis à des droits de douane considérables, à l’instar du Cameroun, de la Côte d’Ivoire ou du Ghana. Faute d’un consensus entre ces deux catégories de pays au sein des groupements régionaux, les PRI ont décidé de signer des accords individuellement, en violation des traités régionaux, ou en petits sous-groupes, comme l’ont fait le Botswana et d’autres pays d’Afrique australe. La Commission européenne (CE) a accepté de dissocier les négociations et de négocier avec des pays individuellement lorsque « la dynamique complexe du groupement » entrave la conclusion d’un accord régional, mais seulement sur une base provisoire (Commission européenne, 2010)30.

Sur le papier, la Chine a une attitude plus favorable à l’intégration régionale, mais dans le fond, elle procède de la même manière, car les traités bilatéraux requièrent des concessions sur les droits de douane. Malgré les aspirations ambitieuses de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), qui a proclamé un marché commun le 1er juillet 2010 et a proposé une gigantesque zone de libre-échange englobant la CAE, le Marché commun d’Afrique australe et d’Afrique orientale (Comesa) et la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC), les communautés économiques régionales de l’Afrique risquent de dépérir à moins que les dirigeants africains ne leur apportent un soutien résolu et ne les inscrivent en tête de la liste des priorités des pourparlers commerciaux, y compris avec la Chine.

En fin de compte, c’est aux pays africains qu’il revient de gérer l’impact de cette présence des partenaires émergents de façon à tirer parti de la coopération internationale pour le développement, des IDE et des autres modes de financement proposés. In fine, les puissances économiques émergentes ne peuvent pas façonner l’intégration régionale africaine à la place de l’Afrique. Ces puissances n’aspirent pas à développer la solidarité entre les pays en développement et à favoriser la bonne santé économique de l’Afrique, mais à répondre à leurs propres besoins économiques et politiques (Kimenyi et Lewis, ibid.). Comme l’expliquent Le Pere et Sheldon (2007), les relations avec les puissances émergentes offrent certes des perspectives de croissance économique, mais il est impératif que les pays africains se dotent de la capacité d’élaborer des politiques favorables à la croissance, des systèmes de gouvernement inclusifs et démocratiques, une gouvernance politique et d’entreprise plus performante, un système de règlement des conflits opérationnel et des pratiques du travail plus compétitives.

Au niveau infrarégional, les pays doivent se concerter sur les priorités nationales et régionales et éviter les « guerres d’incitations » dans lesquelles chacun surenchérit pour ravir à l’autre l’aide et les investissements. En se coordonnant mieux, les pays d’Afrique auront plus de poids dans les négociations (UN-OSAA, 2010). De la même manière, il convient de mettre en application la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide ainsi que le Programme d’action d’Accra pour les programmes régionaux africains. Sachant qu’aucun pays ne peut négocier seul avec les puissances émergentes à propos de l’intégration régionale, les pays doivent s’associer et définir une stratégie commune claire pour leurs relations avec leurs partenaires émergents. Ils doivent dresser une liste des priorités régionales pour le financement et les investissements des donneurs. Du point de vue du financement, nombre de projets africains sont trop modestes pour susciter l’intérêt des puissances émergentes. Seuls les grands projets régionaux seront en mesure de retenir l’attention de ces partenaires.


Les fonds souverains : une ressource inexploitée pour l’Afrique ?

Les fonds souverains mis en place par les puissances économiques émergentes s’intéressent de plus en plus au monde en développement, et y recyclent leurs excédents.
Cette situation offre une opportunité inestimable, car ces investissements ouvrent des perspectives stables à long terme, ce qui correspond au type de financement nécessaire dans les pays en développement. Cependant, Turkisch (à paraître) étudie les bases de données historiques sur les transactions de ces fonds et montre que l’Afrique reste sous-investie par les opérateurs, en dépit d’opportunités non négligeables. Les investissements dans l’infrastructure africaine prévus dans les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) des Nations Unies ne sont financés qu’à moitié et l’Afrique va donc rester fortement tributaire des financements extérieurs. Or, un pour cent à peine des actifs de ces fonds souverains suffiraient à combler ce déficit de financement. Ces fonds, qui misaient essentiellement sur les ressources naturelles, sont en train de se diversifier, et leur présence est particulièrement notable en Afrique du Nord et en Afrique australe, où ils investissent dans les télécommunications et les médias. Dans les autres régions de l’Afrique, ils acquièrent des biens fonciers.
Cependant, malgré des rendements substantiels, les fonds souverains se heurtent à des obstacles spécifiques en Afrique, auxquels il convient de remédier. Certains de ces obstacles sont structurels et requièrent des mesures à long terme, comme c’est le cas pour remédier à l’absence de technologies de base. De plus, les piètres notes attribuées à la dette souveraine de ces pays, ainsi que les carences du cadre réglementaire, ajoutent à la perception que les rendements sont volatils. Il existe aussi des freins à court terme à l’investissement en Afrique. Ce continent devrait déployer des politiques plus volontaristes et coordonnées pour attirer les fonds souverains et coopérer avec eux. La communauté internationale et les principales institutions financières pourraient aussi contribuer à drainer des fonds vers l’Afrique en élaborant davantage d’instruments destinés à attirer l’investissement et à atténuer les incertitudes grâce à la collecte et à la diffusion d’informations pertinentes. Il semble en particulier que l’absence de cibles d’investissement importantes et liquides dissuade les fonds souverains d’investir plus massivement. La coordination régionale doit donc ouvrir des opportunités d’échelle liées à l’investissement dans l’infrastructure de plusieurs pays, avec à la clé les avantages découlant de l’accès à des marchés multiples.
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[*] Initialement publié sur africaneconomicoutlook.com.