Vous etes sur la version ARCHIVES. Cliquez ici pour afficher la nouvelle version de iciLome.com
 1:54:42 PM Vendredi, 29 Mars 2024 | 
Actualité  |  Immobilier  |  Annonces classées  |  Forums  |  Annuaire  |  Videos  |  Photos 


Chronique et épilogue d’un samedi de colère à Niamtougou

Togo - Societe
Nous sommes au 11 mai 2013. Cette date est liée au décès de la légende du reggae, Bob Marley. Mais à Niamtougou, une histoire commence, faite de colère et de casses. La cause immédiate : l’arrestation et le transfèrement de monsieur TADOUNA Apeta Epiphane, professeur volontaire de philosophie à l’Institut Polytechnique Brungard de Niamtougou. Un enseignant volontaire, est l’étudiant qui, après un baccalauréat, une licence ou une maîtrise, en chômage, accepte de dispenser des cours dans un établissement scolaire, rémunéré par l’établissement à l’heure ou, sur la base d’un contrat, à chaque fin de mois. Le taux le plus élevé est de 700F CFA de l’heure et la rémunération la plus élevée est de 50 000F CFA par mois. Pour les causes de son arrestation, plusieurs versions circulent, qu’on peut résumer en leurs points communs.

Monsieur TADOUNA A. Epiphane aurait traversé la route internationale bloquée par la sécurité parce que le président Faure se rendait à l’aéroport. Seulement, il l’aurait fait après le passage du cortège présidentiel pour aller au cours (d’autres disent pour des photocopies). La police serait intervenue. Le policier aurait giflé monsieur TADOUNA A. Epiphane qui aurait répliqué. D’autres disent que c’est le policier qui a violenté l’enseignant. Sa moto fut saisie puis gardée au commissariat de Niamtougou. Monsieur TADOUNA A. Epiphane serait allé réclamer sa moto au commissariat et c’est seulement là, on l’a accusé d’ « outrage au représentant de l’autorité publique. ». Rappelons que l’outrage à un représentant de l’autorité publique dûment constaté (agressé un agent des forces de l’ordre en poste par exemple) est passible d’une peine de prison de deux (2) ans : article 140 du code pénal.

La scène se déroule le mercredi, 8 mai 2013. Monsieur TADOUNA A. Epiphane est gardé à vue puis déféré à la prison civile de Kara le vendredi 10 mai 2013.

Entre-temps, Mme la chef de canton serait intervenue auprès du juge Olivier BATCHOUANG et du commissaire sans succès. Le préfet de Doufelgou aurait entrepris également des démarches aux fins de libération de TADOUNA, sans succès.

Le samedi matin, la population se rend chez le préfet et le supplie de faire libérer le detenu. Le préfet entreprend des démarches à « travers des coups de fils » soutenu par celui de Kara et obtient la libération de monsieur TADOUNA A. Epiphane. Accompagné du juge, le préfet se rend à Kara pour récupérer l’enseignant. Les formalités de libérations sont remplies par le régisseur de la prison de Kara et l’enseignant monte dans la voiture du préfet. Destination, Niamtougou et le dénouement certain de l’histoire.

Pendant ce temps, à Niamtougou, la police rassure la population qui s’était rendue au commissariat attendre le retour de l’enseignant, surnommé « Djindjawid », qu’il serait libéré avant 9 heures. La population rentrait chez elle lorsque des policiers ont chargé, lançant des gaz lacrymogènes. C’est seulement là que les populations auraient sonné le cor de guerre et attaqué les policiers et gendarmes qui se sont enfuis abandonnant les gaz lacrymogènes, récupérés par les manifestants et brandis comme des trophées de guerre.

Pendant que le préfet ramenait monsieur TADOUNA A. Epiphane, le juge de Niamtougou l’arrête et reprend le prisonnier pour la prison civile de Kara à nouveau. Pourquoi ? Le préfet pense que c’est un zèle du juge. Le lendemain, dimanche 12 mai 2013, on apprendra que c’est le ministre de la sécurité, M. YARK, rentrant du Ghana, qui aurait exigé par l’intermédiaire du procureur de Kara, BEKETI, que monsieur TADOUNA A. Epiphane soit retourné à la prison. Entre temps le juge avait refusé de céder aux injonctions du directeur général de la police qui exigeait également que l’enseignant ne quitte pas sa prison. Une fois de retour à la prison, il y a eu altercation entre le juge et le régisseur. Les formalités de libération de monsieur TADOUNA A. Epiphane avaient été remplies et le sieur TADOUNA était libre. Il fallait donc une autre inculpation pour le ramener en prison. Inculpation que le juge n’avait pas.

A Niamtougou pendant ce temps, le commissariat était saccagé. Deux voitures de la gendarmerie et une de la police saccagées. Les bureaux dévastés et mis au feu par une population (jeunes, femmes, enfants) en colère. On dénombre 9 blessés dont un capitaine, transportés à l’hôpital. La colère monte au fil des heures. La requête de la population est simple :"libérez Djindjawid et vous serez libres. Vous ne le libérez pas, vous ne serez pas libres ». Cette requête est scandée en chœur par une foule furieuse.

Au passage, certains expriment leur colère :

« Vous avez pris nos terres. On ne sait plus où cultiver. Ce sont vos soldats qui cultivent aujourd’hui nos champs. Construisez des usines et employez les jeunes de Niamtougou. Faure, qu’est-ce que la population de Niamtougou t’a fait à ton père et à toi ? »

Il faut rappeler que l’occupation de 245 hectares pour l’aéroport n’a pas été indemnisé. Les palmeraies et les champs sont cultivés par les militaires de la base chasse (la majorité des Kabyè) et les paysans sont privés de terres cultivables. Les palmeraies familiales sont exploitées par les mêmes militaires qui revendent l’huile de palme aux autochtones.

« Notre imbécile de frère ministre, Gilbert Bawara suit comme une bête, il est où quand on jette ses frères injustement en prison ? »

« Djindjawid n’a rien. Vous ne lui avez pas donné du travail alors ne lui donnez pas la prison. »

« Ça suffit : on ne veut plus des bidons de tchouc : Faure, ton père et toi, vous avez suffisamment insulté la population de Niamtougou. Libérez nos terres et gardez votre boisson. On n’en veut plus. »

Vers 13 heures, le préfet de la Kozah, le colonel BAKALI vient intervenir. La population répète son attente : la libération de Djindjawid. Il repart sur un échec.

Les manifestants continuent de brûler tout ce qui leur tombe sous la main : chaises, moto (une moto), fauteuils, lits, couverts. Certains mettent feu à l’une des voitures abîmée. D’autre éteignent l’incendie avec du sable. Certains tentent de piller. D’autres les en empêchent. Mais il y en a qui s’enfuient emportant quelques effets : calendriers. On signale des ordinateurs emportés.

Les policiers, les gendarmes et les bérets rouges, présents durant tout ce temps, ne réagissent pas. Ils discutent même parfois avec des manifestants.

On apprend que le ministre de la sécurité est arrivé à l’aéroport. Un groupe des manifestants s’y rend.

On raconte qu’il y a eu une chaude altercation entre le ministre YARK et le juge BATCHOUANG.

Finalement, autour de 17h30, monsieur TADOUNA Apeta Epiphane dit Djindjawid, arrive au commissariat monté dans une camionnette et d’un signe des deux mains, fait comprendre à tous ceux qui ont depuis le matin exigé sa libération, que tout est fini. Il est accueilli en triomphateur puis porté jusqu’à son domicile par une foule heureuse, enfin.

Certains manifestants éteignent eux-même les feux puis nettoient la route. Les camions, plus de 700, peuvent à présent partir.

Mais que de gâchis ! Que de pertes ! Il se trouve que des policiers de Kara sont arrivés la veille en renfort. Ce qui signifie qu’ils s’attendaient à une manifestation : mais pourquoi en être arrivé là ? On aurait pu éviter toute cette casse, toute cette débauche d’énergie.

Reportage de Bakoulikoumbo