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La mort de l’assassin Narcisse DJOUA

Togo -
 Par Vénavino d’Alvez

Yoma Narcisse DJOUA, l’officier togolais de sinistre réputation est mort le jeudi 16 août 2007, à 59 ans, au Pavillon militaire du CHU de Lomé-Tokoin, des suites d’une longue maladie. Il avait défrayé la chronique dans les années 1990 avant d’être victime de la disgrâce de ses mandataires : la famille Gnassingbé. Sa réputation d’assassin s’est établie dès les années 1980 ; nommé préfet à Mango en 1981 par le dictateur Eyadéma, il avait pour mission le commandement et l’élargissement des réserves de la faune de l’Oti et de la Kéran... réserves favorites de chasse du dictateur Eyadéma. Il y organisa la plus sanglante boucherie humaine que connut le Togo.

On disait qu’il préférait aux hommes les animaux qu’il préservait pour la passion de chasse de son maître Eyadéma. Sa charge était de constituer et de préserver une réserve de chasse personnelle pour le dictateur qui n’y invitait que ses amis. C’est là que se forgea la réputation de tueur du boucher DJOUA, aux méthodes barbares. De 1981 à 1990, ayant pour mission d’élargir la réserve de chasse, il opéra le déplacement forcé de la population de la zone abusivement accaparée et massacra plusieurs centaines de récalcitrants qui ne voulaient pas abandonner leurs terres ancestrales. Ces méthodes avaient été décriées en leur temps par les organisations internationales des droits de l’homme et avaient défrayé la presse internationale.

Parmi ses nombreux méfaits, l’un des plus odieux fut de suspendre vivant, à l’aide d’une corde, un braconnier surpris dans la réserve à un hélicoptère, et après avoir survolé la ville de Mango, d’avoir précipité le pauvre homme dans le vide. Après le soulèvement populaire du 5 octobre 1990, il fut spécialement appointé par le dictateur Eyadéma en tant que commandant du Régiment commando de la Garde présidentielle (RCGP) pour organiser la répression des manifestations populaires. A la tête des Pigeons, l’unité d’élite qui, à l’origine, avait été prétendument formée par la France pour combattre les trafiquants de drogue fut finalement dédiée aux basses besognes du régime RPT. Avec cette escouade, Déjoua fit trembler de peur tout le Togo.

La barbarie avait laquelle il opérait occupa une part importante des rapports sur la violation des droits de l’Homme et les crimes et assassinats commis par l’armée lors de la Conférence nationale de juillet – août 1991 mais, bénéficiant de la bienveillante protection d’Eyadéma, il ne fut nullement inquiété. Agissant en toute impunité et devenu intouchable, il se convertit dans les actes de grand banditisme. C’est ainsi que Djoua dégénéra en transformant les unités sous ses ordres en de véritables gangs mafieux spécialisés dans l’assassinat de pauvres citoyens pour les voler. Il sema une insécurité qui se généralisa dans le pays, tout particulièrement dans la capitale Lomé, centre du pouvoir économique.


LES CRIMES DU CHEF DE GANG NARCISSE DJOUA

C’est l’assassinat de Kokou Laurent AGBEMAVO, huissier de justice, le 16 juin 1994 par le gang commandé par le Lieutenant-colonel Yoma Narcisse DJOUA qui le conduisit à sa perte. Cet huissier togolais installé à Abidjan, en Côte d’Ivoire, était en transit le 14 juin 1994 à Accra, avant d’aller à Lomé pour affaires. Il ne se doutait pas qu’il était filé par un certain BAWA Dabré Oumarou. A Lomé, il acheta une voiture de marque BMW, le 15 juin, et se rendit à la Banque où il retira 7 millions de F CFA. Le matin du 16 juin, le corps de Kokou Laurent AGBEMAVO était découvert derrière le magasin du concessionnaire SCOA-auto, bras liés dans le dos, corde au cou, visage tuméfié et ensanglanté. De toute évidence, il avait été atrocement torturé avant d’être tué. Le 17 juin, Bawa Dabré Oumarou, membre du gang était arrêté à Accra, au Ghana, juste après avoir revendu la voiture volée à la victime. La rapidité de l’arrestation démontra, de toute évidence, qu’il était filé par la police ghanéenne.
L’enquête sur ce meurtre nous apprendra plus tard que c’est le Major POULI, un adjoint de DJOUA, qui fut chargé d’exécuter cette basse besogne. Il sera arrêté, jugé et condamné à une peine de prison.

Bien que les autorités togolaises aient mis tout en œuvre pour étouffer l’affaire, en laissant notamment s’évader de prison le principal témoin de l’affaire, Bawa Dabré, six jours après qu’il leur ait été remis par les autorités ghanéennes, cette affaire devint un scandale d’Etat qui empoisonna les relations au sein de l’institution sous-régionale qu’est la CEDEAO. Jusque là les autorités togolaises accusaient les ghanéens d’entretenir une opposition armée sur son sol, ces derniers saisirent l’occasion que leur offrait cette affaire pour apporter la preuve de la réalité mafieuse des personnalités au sommet de l’Etat togolais.

Si l’assassinat de Laurent Kokou Agbemavo fut le crime de trop qui mit fin aux œuvres du gang dirigé par Yoma Narcisse DJOUA, cela n’a pas empêché qu’il soit promu du grade de Commandant à celui de Lieutenant-colonel. Au regard du dictateur Eyadéma il avait fait ses preuves et conforté son statut d’homme de main indispensable aux services de la bande des Gnassingbé. Principal chef de l’armée après Eyadéma, c’était chez lui que tous les officiers même ceux qui étaient censés être ses supérieurs hiérarchiques prenaient leurs ordres : le Général Bonfoh, chef d’Etat Major de l’armée togolaise et son adjoint, le Colonel Tidjani, qui avait remplacé le Colonel Tépé, sommairement exécuté par lapidation le 25 mars 1993.


LES TENTATIVES DE DJOUA CONTRE SON PARRAIN EYADEMA

Ce fut également Djoua qui orchestra l’assassinat, le 25 septembre 1994, par un commando de tueurs dont il faisait lui-même partie, de Akué ATCHA KPAKPO, le directeur général de l’ASECNA-Togo. La nuit du dimanche 25 septembre, vers 21 heures, ledit commando de tueurs, fort de 8 personnes dont 7 en treillis, Djoua pilotant lui-même les opérations sous un déguisement, fit irruption au domicile du directeur-général de l’Asecna-Togo, à Tokoin-Wuiti. Ce quartier de Lomé était pourtant militairement sécurisé puisqu’abritant le siège du RPT, le parti du dictateur Eyadéma, et les domiciles de nombre de ses dignitaires. Brutalisant au passage son épouse et ses enfants, ils fouillèrent de fond en comble le domicile ; le bruit avait réveillé M. Akué qui leur demanda ce qu’ils voulaient. Bousculé par un membre du commando il fut sommé de les suivre ce qu’il refusa. Le chef du commando donna alors l’ordre de le tuer ; Akué Atcha-Kpakpo, fut fauché par une rafale d’arme automatique. Atteint à la tempe, à la poitrine, il s’écroula devant sa famille.

De source informée, cette affaire inaugurait une nouvelle évolution de la carrière mafieuse de Djoua qui, devenu très ambitieux et revanchard après sa mise en accusation dans l’affaire de l’assassinat de l’huissier de justice Agbémavo, décida de fomenter un coup d’Etat visant à assassiner Eyadéma et à prendre le contrôle de l’Etat togolais. Il aurait alors pris la décision d’assassiner Akué ATCHA KPAKPO qui avait refusé de s’associer à un projet d’attentat contre l’avion présidentiel d’Eyadéma en ne voulant pas ordonner une extinction des feux de l’aéroport. L’échec du complot sonna la descente aux enfers de Djoua qui, arrêté, fut mis en détention au camp militaire du RIT.

C’est de sa prison qu’il fomenta un autre complot visant à renverser Eyadéma, début avril 1995. Ayant réussi, selon des sources proches du Camp RIT à convaincre le Capitaine FAYA, son remplaçant à la tête de la Garde présidentielle et son adjoint, le Lieutenant TABATE de faire partie de la conjuration, le complot préparé par personne interposée par DJOUA alors qu’il était détenu dans un lieu secret, aurait été découvert par les services secrets français.

Les informations publiées à la suite des investigations de la presse indépendante avaient indiqué que ces exécutions extrajudiciaires seraient survenues après la découverte d’un complot visant à l’élimination physique du dictateur Eyadéma. Celle-ci aurait été programmée à l’occasion de sa participation aux cérémonies de clôture des manœuvres militaires franco-togolaises qui, prévues dans la Préfecture du Haho, dans la deuxième quinzaine du mois de mars, avaient été reportées sine die. Le Général français Jean-Pierre HUCHON, arrivé à Lomé le 7 avril 1995, aurait alors été dépêché au Togo par les autorités françaises pour en informer Eyadéma qui le décora lors de son séjour.

Longtemps muettes, les autorités togolaises avaient enfin fait publier par les médias publics (Togo presse, Radio et Télévision), le 20 avril 1995, un communiqué non signé sur cette affaire. Une vive tension régnait alors dans la capitale, soumise à un état de siège non officiellement décrété avec un impressionnant déploiement militaire en hommes et en matériels de guerre. Il y eut alors une répression sanglante dans les rangs de l’armée togolaise où plus de 40 soldats avaient été sommairement exécutés après que le Capitaine FAYA, le Lieutenant TABATE ainsi que d’autres officiers et quelques civils également impliqués, eurent été arrêtés.


LA DECHEANCE DE L’HOMME DE MAIN DES GNASSINGBE

Habitué à répandre le sang d’innocents togolais, Djoua entraînait ceux qui le suivaient dans une chute toute aussi sanglante. La fin de son heure de gloire venait de sonner. Laissé libre même après l’assassinat de Laurent Kokou Agbémavo, il fut alors soumis à de dures conditions de détention après sa déportation à la prison de Kara où son état de santé commença à se dégrader. A la mort d’Eyadéma, on assouplit ses conditions de détention et il fut libéré après avoir purgé une peine d’emprisonnement, uniquement pour l’assassinat de l’huissier de justice Laurent Kokou Agbémavo. On annonça alors son retour à Lomé où il fit encore parler de lui de façon rocambolesque. Le 17 janvier 2006, on apprit qu’il se rendit, en voiture, à la Présidence de la République où, déjouant la vigilance des gardes, il pénétra dans le bureau de Faure Gnassingbé où il resta plus d’une heure à téléphoner à partir du combiné téléphonique de Faure et repartit tranquillement chez lui sans être inquiété, cela afin de prouver qu’il pouvait encore tout se permettre . Toujours est-il qu’arrêté et conduit à la Gendarmerie nationale, il y a été détenu pendant plusieurs jours avant d’être relâché, sur les ordres de Faure Gnassingbé, à ce qu’il semble.


L’histoire raconte qu’il sombra progressivement dans la déchéance, accablé par la maladie et d’insurmontables difficultés financières. Mais la mort de Yoma Narcisse DJOUA soulève avec plus qu’acuité que jamais la question de l’impunité au Togo. Car cet officier, responsable de crimes aussi odieux qu’atroces, est mort de sa belle mort sans avoir été ni arrêté, ni jugé pour les trop nombreuses exécutions extrajudiciaires qu’il a commises contre les innocentes populations togolaises.

C’est pourquoi, il faut saisir l’occasion de l’annonce du décès de ce spécimen personnalisé de la dictature des Gnassingbé pour appeler les togolais et les organisations qui se réclament de la démocratie à poursuivre avec encore plus de détermination, le combat contre l’impunité au Togo. Au contraire de certains leaders politiques qui l’admettent avec légèreté, il serait illusoire de croire que l’alternance politique et des élections transparentes puissent être organisées par Faure Gnassingbé, héritier des crimes commis contre les Togolais.

La rédaction letogolais.com