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Ce n’est pas de cette façon que nous allons nous en sortir

Togo - Opinions
Appelée pour pallier l’incapacité de l’élite politique togolaise à résoudre nos problèmes, et alors qu’elle semblait plutôt bien partie pour accomplir sa mission, la CEDEAO est devenue par un retournement de situation dont nous, Togolais, avons le secret, le bouc-émissaire idéal, le souffre-douleur de nos échecs à répétition. Cette CEDEAO, dont notre national de « Timonier » a été cofondateur dans les années fastes, c’est un peu notre mur des lamentations à nous ; elle encaisse en silence toutes nos turpitudes pour ne pas dire toute notre lâcheté. Ce qui nous épargne la douloureuse épreuve du miroir. Dès qu’il y’a un problème on crie au drame et on appelle la Communauté Internationale au secours pour prétendre se passer d’elle dès qu’on croit voir pointer l’illusion d’une victoire. Cette attitude semble être le seul point commun entre ceux qui dirigent et ceux qui aspirent à diriger. Pourtant maître Dégli nous avait prévenus à travers le témoignage sans concession qu’il a fait sur les couacs de l’élite politique dans le cadre de la transition post-conférence Nationale (Togo : La tragédie africaine ; Editions Nouvelles du Sud, 1996-97).

À ceux qui aujourd’hui encore crient au complot des facilitateurs contre le Togo, je pense que la lecture ou la relecture de l’ouvrage de maître Yaovi Dégli ferait beaucoup de bien. Voici ici un extrait de la mise en garde de maître Dégli : « À la demande faite par les forces démocratiques de voir Paris apporter son assistance au Togo en vue d’élections honnêtes, les hommes politiques de l’Hexagone répondaient par la nécessité pour l’opposition de désigner un candidat unique. C’était comme si l’opposition demandait qu’on lui donnât la recette indispensable à sa victoire. (…). Les forces démocratiques, incapables de s’organiser seules pour faire aboutir le processus démocratique, confrontées à la terreur et l’insécurité organisées par le Général, commençaient à nourrir une grosse amertume… » (page 163). Plus de vingt ans après ce constat, nous voilà retombés dans le même travers que maître Dégli qualifiait de « parfaite illustration de l’ambiguïté des sentiments du colonisé face à son maître ».

Les accusations à peine voilées de complotisme contre Nana Akufo ou Alfa Kondé sont dans le meilleur des cas de l’ingratitude pour ne pas parler d’indignité. Si nous n’avons pas la démocratie, sauvegardons au moins notre dignité, car chacun de nous en a bien une. Je ne voudrais pas m’attarder sur les appels du pied que certains lancent au Président Buhari du Nigéria comme si ce dernier serait un supérieur hiérarchique de Nana Akufo et de Alfa Kondé. On donne l’impression que c’est d’elle-même que la CEDEAO s’est invitée dans notre « crise » pour jouer les redresseurs de torts. Si c’est vraiment le cas, alors de quoi se plaint-on aujourd’hui, puisque selon les uns et les autres la mission est en passe d’être réussie si elle ne l’est déjà ! Je rappelle que la feuille de route a fait l’unanimité pour diverses raisons avant d’être remise en cause quand elle a été rattrapée au moment de sa mise en œuvre par notre incapacité à aller à l’essentiel.
A mon avis nous avons tendu un piège à la CEDEAO, laquelle, curieusement, y est tombée comme une novice, sans doute en croyant ainsi redorer son blason après les accusations de complicité qu’elle a subies lors de l’arrivée au pouvoir de l’actuel Président du Togo à la mort de son père en 2005.

Dans l’une de mes tribunes que j‘avais intitulée « Nous avons le choix », j’attirais l’attention sur le fait qu’aucune personnalité extérieure ni aucune institution issue de la communauté internationale ne sauraient régler nos problèmes à notre place. En fait rien d’original, si l’on veut, car tout le monde ou presque le dit ; c’est bien malgré elle que la C14 s’est engagée dans le processus du dernier dialogue, lequel dialogue dès le début avait toutes les allures d’un aberrant malentendu. Toute la C14, dans une unité de façade qui ne trompait que ceux qui le voulaient, toute la C14 donc chantait à l’unisson qu’elle n’accepterait les propositions (d’aucuns parlent de Directives) des facilitateurs que si ces propositions sont conformes (ou conformées ?) à l’intérêt du peuple tel que défini par la C14. Ce qui conduit à des lapsus qui interrogent sur l’état d’esprit dans lequel les représentants de la C14 abordent les négociations. Ainsi le 17 novembre dernier avant de se rendre à l’aéroport pour prendre l’avion pour Conakry en vue de l’ultime concertation chez Alfa Kondé, le Chef de file de l’opposition avait cru devoir s’excuser devant les manifestants de ne pas pouvoir rester avec eux car il devait « malheureusement » se rendre à Conakry. Pourtant les images du voyage maladroitement diffusées sur les réseaux sociaux (toujours eux) ne laissaient rien apparaitre de contraignant, bien au contraire. Le site republicoftogo s’en était bien amusé. Qu’à cela ne tienne, Alfa Kondé et Nana Akufo qui ont bien flairé le danger de mise à l’écart vers lequel la C14 se manœuvrait avaient fait crépiter les appareils téléphoniques entre Conakry, Accra et Lomé pour assurer les arrières notamment des députés sortants qui risquaient de se retrouver hors-jeu après le 20 décembre.

Puisque la coalition n’avait de cesse de répéter qu’elle n’était pas dans le boycott du scrutin en lui-même, il fallait donc lui trouver une porte de sortie dans l’immédiat quitte à voir avec le pouvoir comment répartir les sièges de « façon consensuelle » une fois que le dernier bureau de vote aura fermé ses portes le 20 décembre. Entre Africains on peut toujours s’arranger. D’où l’idée de faire prolonger le recensement de quelques jours. Cette « concession » arrachée au dernier moment au pouvoir togolais par les facilitateurs n’était donc pas destinée à la partie de la population ayant suivi le mot d’ordre de boycott du recensement. C’était en fait une porte de sortie pour les Leaders de l’opposition devant leur permettre de se faire inscrire sur le fichier électoral sans perdre la face et, in fine, pouvoir se porter candidats aux législatives. A partir de ce moment les délégués de la C14 auraient dû prendre conscience, s’ils l’avaient pu ou voulu, que la date du 20 décembre était inscrite dans le marbre et qu’il ne servait à rien de marchander là-dessus. Le Chef de fil de l’opposition aurait dû utiliser les quelques quatre heures d’avion durant le voyage retour pour mener une concertation avec ses collègues et prendre une décision claire et se mettre d’accord sur la façon dont ils devaient présenter le résultat de leur voyage aux militants.

Alors qu’il n’était pas présent à la rencontre de Conakry, c’est maître Tchassona du MDC qui semble avoir décodé le message des facilitateurs, notamment sur la réouverture du recensement. Mais s’il sait bien déchiffrer les messages codés, maître Tchassona n’est pas un téméraire, même pas pour un siège de député. Après son appel aux populations à se faire recenser « à titre conservatoire », la logique aurait été qu’il aille jusqu’au bout en présentant des listes de candidats là aussi à titre conservatoire. Mais il a été obligé de jeter l’éponge au dernier moment face aux menaces de tous ordres y compris de mort proférées à son encontre sur les fameux réseaux sociaux par certains excités qui criaient à la trahison. Accusé également de traîtrise par ses pairs de la C 14 dont des membres éminents ont dit publiquement que son cas sera « réglé » (on imagine ce que cela veut dire), maître Tchassona n’avait d’autre choix que de rentrer dans les rangs par peur d’être isolé mais au grand dam de ses « lieutenants » à lui qui, tels des apôtres s’attelaient déjà à porter sa parole dans un périlleux exercice du Service-Après-Vente.

Tchassona réduit au silence, la boucle venait de se boucler. La C14 devient spectatrice d’un processus qu’elle avait pourtant enclenché. Mais la C14 ne pouvait pas courber l’échine comme ça, sans un dernier baroud d’honneur. Puisque les facilitateurs ne peuvent pas contraindre le régime togolais à faire ce que la C14 veut et, comme ce régime n’entend que le langage de la rue, eh bien, la rue, la C14 va lui en servir. Un programme dit de « Contre-Campagne » est vite concocté destiné à « être consommé sans modération » par les militants à qui on ne pouvait pas expliquer que tous les efforts fournis n’auraient servi à rien. Après tout ce qui a été dit devant les foules et toutes les professions de foi de se battre jusqu’au bout, il fallait donc ce programme pour montrer qu’on a tenu promesse. De fait le programme de « Contre-Campagne » de la C14 était alléchant mais son efficacité était douteuse. Le problème c’est que les militants, eux, y ont cru. Pour beaucoup d’entre eux, la Contre-Campagne était la dernière bataille qu’il ne fallait pas manquer sous aucun prétexte. L’issue était prévisible. Connaissant le régime qui ne recule devant rien pour se maintenir au pouvoir, nous ne sommes pas assurés d’obtenir l’alternance mais des martyrs sûrement. Ne parlez pas de cynisme. On m’a dit que la liberté a un prix, payé de préférence par le voisin, bien sûr. Ici encore j’invite à se plonger ou se replonger dans les mises en garde de maître Dégli aux Leaders qui se laissent embarqués par la rue dans un « dialogue maladroit avec une foule surexcitée ». (Togo : la tragédie africaine ; page 169).

Dans une causerie sur les tenants et les aboutissants de la rencontre de Conakry, un ami m’a demandé ce que j’aurais fait si j’avais été à la place des membres de la C14. Question hypothétique par excellence. Ce que j’aime cependant dans les questions hypothétiques c’est qu’elles montrent l’ouverture d’esprit de celui qui la pose en même temps qu’elles nous font prendre conscience qu’on est pas frappés d’une malédiction. Une solution est toujours possible pour peu qu’on prenne le temps de s’écouter. J’espère que ce n’est pas déjà trop tard. L’opposition doit revenir aux fondamentaux et régler ses contradictions internes si elle veut être une alternative crédible au système actuel dans lequel elle ou en tout cas une partie d’elle est d’ailleurs bien impliquée. On n’est pas crédible quand pendant cinq ans on s’est revêtu du manteau de chef de fil de l’opposition en acceptant tous les privilèges qui y sont attachés tout en se montrant incapable de rassembler cette opposition. L’ostracisme qui a frappé et qui continue de frapper les voix dissonantes dans la famille de l’opposition ne doit pas être considéré comme un épiphénomène. Il n’y a rien de pire que les ennemis dont on n’a pas besoin mais qu’on se fabrique par orgueil ou par excès de confiance.

Le compatriote Nicolas Lawson n’a de cesse de dire que les protagonistes de la « crise » actuelle ont pris le pays en otage. On ne peut que lui donner raison. Il y a presque trente ans, ce sont les hommes politiques français qui nous exhortaient « amicalement » à mettre nos forces ensemble par la voix d’une candidature unique pour atteindre notre but. Aujourd’hui c’est Alfa Kondé et Nana Akufo qui font l’amère constat que nous n’avons rien appris de nos échecs à répétition. Pointer du doigt l’adversaire parce que celui-ci ne fait rien pour déguerpir et nous laisser prendre sa place est une excuse trop facile. Réveillons-nous et joignons nos différences pour en faire une Force alternative. Je ne sais pas ce que donneront les appels parfois ambigus pour un report ou une annulation des législatives du 20 décembre. Mais quel que ce soit le résultat final, l’opposition telle qu’elle fonctionne aujourd’hui ne peut être une alternative au régime actuel. Nous avons beau tirer à boulets rouges sur la CEDEAO, cela ne saurait nous dédouaner de nos responsabilités en tant qu’élite sociopolitique de ce pays, responsabilités que nous refusons obstinément de reconnaitre et d’assumer. Les appels du pied à l’armée sommée, elle, de prendre ses responsabilités en disent long sur la profondeur du syndrome du 13 janvier 1963 et le chemin qu’il nous reste à parcourir pour en sortir. Que le lecteur me pardonne de me répéter, mais je ne peux que me répéter, « NOUS AVONS LE CHOIX ». Notre pays est et sera à notre image. Et c’est tant mieux ainsi.

Moudassirou KATAKPAOU-TOURE
Francfort, le 9 décembre 2018.