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Du Pape Jean-Paul 2 à Emmanuel Macron : décryptage du message sur le statut quo

Togo - Opinions
Depuis le 19 août 2017, le slogan est bien connu : le Togo est le seul pays d’Afrique de l’ouest à n’avoir pas connu d’alternance, près de 30 ans après l’amorce de la démocratisation dans la sous-région. Le Togo est un pays dirigé depuis un demi-siècle par un régime dictatorial héréditaire. Une dictature qui depuis un an est aux prises avec une crise sans précédent. Une dictature qui peine à justifier son existence dans un monde où l’on ne croit plus aux vertus des « hommes forts/faures » pour assurer le maintien des intérêts occidentaux.
Dans son homélie prononcée à l’aéroport Toussaint Louverture de la capitale haïtienne le 9 mars 1983, réagissant à l’absence des libertés individuelles, à la répression policière, à la misère de la population, aux inégalités criardes et à la mauvaise gouvernance qui caractérisait le règne du dictateur-fils, le Pape Jean-Paul 2 avait lancé : « Il faut que quelque chose change ici. » "Ici" faisait référence à Haïti. C’était sept ans avant le discours de François Mittérand à la Baule.

Trente-cinq ans plus tard en juillet 2018, face au désir d’un peuple de s’affranchir de la mauvaise gouvernance et la boulimie du pouvoir à vie d’un dictateur-fils, et face au risque d’une crise politique potentiellement dévastatrice pour les intérêts de la France, Emmanuel Macron déclare au Nigéria que « le statut quo n’est plus possible pour le Togo » .

La récente sortie du président français Emmanuel Macron sur la nécessité de mettre fin au statut quo et les réactions qui s’en sont suivi rappelle étrangement la position courageuse que le Pape Jean-Paul 2 avait eue au plus fort de la dictature héréditaire en Haïti, position qui avait, selon certains historiens, précipité la fin de la dictature haïtienne. Dans le cas du Pape tout comme dans le cas de Macron, les propos ont été tenus en référence à la mauvaise gouvernance dans deux pays dirigés par des dictatures héréditaires, où les obstacles au changement paraissent insurmontables.

Dans les deux cas, en rejetant le statut quo, l’orateur avait en quelque sorte franchi le Rubicon : le Pape avait tenu ses propos alors qu’on était en pleine guerre froide et le Vatican ne pouvait se permettre de perdre des alliés anti-communistes comme le régime haïtien. Mais le Pape savait aussi qu’un pays mal gouverné était le terreau idéal pour l’expansion du communisme. Macron aussi a tenu ses propos en toute lucidité, conscient des multiples services que le régime togolais a rendus et continue de rendre à la France. Le Pape, en tant qu’autorité morale avait franchi le Rubicon idéologique pour venir au secours du peuple haïtien. Macron en tant qu’autorité politique, semble avoir franchi le Rubicon néocolonial.

Dans les deux cas, les propos sont devenus un slogan pour les mouvements d’opposition à ces régimes, revigorés par un soutien de taille. L’histoire nous apprend que quatre ans après le cri de cœur du souverain pontife à l’aéroport de Port-au-Prince, et face à la résistance farouche opposée par la population haïtienne à la dictature héréditaire, le dictateur-fils Jean Claude Duvalier alias Baby Doc prenait la fuite pour se réfugier en France.

Alea iacta est : les dés sont jetés. Après les propos de Macron, les dés paraissent avoir été jetés au peuple togolais en lutte pour la fin d’une dictature géographiquement éloignée, mais vicieusement jumelle de celle qu’Haïti a connu. Ce geste sauvera-t-il pour autant le peuple togolais ? Oui, à condition que le peuple togolais saisisse sa véritable portée.

Les propos de Macron n’ont rien de nouveau ou de miraculeux pour qui connait le double langage de la France, principal soutien de la dictature togolaise. Ce serait une grosse erreur que de croire que la France a changé une politique africaine qui lui permet de garder la main. Comme le peuple haïtien, le peuple togolais doit prendre la mesure de sa responsabilité : c’est lui qui a le dernier mot. Cela vaut aussi pour ceux qui parlent au nom de ce peuple.


A. Ben Yaya
New York, 13 Juillet 2018