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Les propositions de l’APED pour une sortie de crise

Togo - Opinions
L’Association pour la Promotion d’un État de Droit a organisé une conférence de presse le 26 mai dernier, à l’issue de laquelle une déclaration a été rendue publique dont la teneur vise à faire à la classe politique togolaise, aux observateurs de la scène politique, et certainement aussi aux citoyens togolais des propositions pertinentes pour sortir de la crise qu’il est permis de considérer comme permanente au Togo et dont le dernier soubresaut est la situation créée par le soulèvement de la population du 19 août 2017 qui dure jusqu’à ce jour du 31 mai 2018.
La qualité des personnalités, auteurs de la déclaration en question mérite que l’on y accorde une attention particulière : grands juristes, Me Zeus Ajavon, Me Jean Dégli et Me Djovi Gally, ne sont pas des inconnus au Togo. Le premier, professeur de Droit est le promoteur du mouvement « Sauvons le Togo », qui a nourri un grand espoir en son temps au sein de la population togolaise qui depuis des années gémit sous la dictature des Gnassingbé père et fils. Le second, Jean Dégli avait joué le rôle de Secrétaire Général de la Conférence Nationale Souveraine en 1991 et a été Ministre dans le Gouvernement de Transition dirigé par un autre avocat, Me Joseph Kokou Koffigoh. Et le troisième, Me Djovi Gally a été plusieurs fois ministre, dans le gouvernement de Koffigoh, puis dans celui d’Eyadema Gnassingbé.

Ces trois Messieurs de l’APED ont donc joué des rôles politiques importants. Peut-être aspirent-ils à en jouer encore à l’avenir, ce qui serait tout à fait légitime et personne ne peut, objectivement, leur faire un procès à ce sujet.

Dans la partie historique par laquelle commence la déclaration, nos grands juristes nous rappellent ce que nous savons presque tous et dont l’essentiel est que les Gnassigbé, le père, puis le fils, doivent leur pouvoir aux coups d’État, coups de force, à la violence meurtrière et non à un quelconque suffrage du peuple. Ce n’est pas un rappel inutile.

Toujours dans la partie historique, je suppose que l’omission de la date du 5 Octobre 1990 n’est pas volontaire et intentionnelle. Cette date est incontournable dans l’histoire du Togo : c’est le soulèvement de la jeunesse suivi par celui de la population dans sa grande majorité qui nous a conduits à la Conférence Nationale Souveraine, début d’un changement politique, élan populaire, qui malheureusement, sera brisé par la violence caractéristique du système Gnassingbé. Je comprends que la déclaration de l’APED se veuille liminaire. Cependant il existe de ces omissions qui peuvent être graves, sinon dangereuses. Les responsables de l’APED n’ont pas manqué de mentionner (peuvent-ils ne pas le faire alors que l’actualité brulante les y obligent ?)le soulèvement du 19 août 2017. Avant cela, ils n’ont pas passé sous silence le massacre de 2005 ((500 morts selon un rapport d l’ONU et bien plus selon d’autres sources) perpétré sous les ordres de Gnassingbé le fils, de même que tous les coups de force de l’armée dans la même période, pour permettre à celui-ci de s’installer au trône de son père.

Les responsables de l’APED décrivent bien le bain dans lequel vit le Togo depuis la prise de pouvoir effective de Gnassingbé Eyadema le 13 janvier 1967 et ce qui explique la durée et la permanence de la crise :

« Ainsi tous les accords signés au Togo, n’ont-ils jamais été appliqués comme il se doit, à cause de la mauvaise foi évidente du pouvoir en place d’une part et d’un manque de stratégie cohérente de l’opposition démocratique d’autre part. »

Deux éléments sont judicieusement mentionnés ici, sur lesquels il importe de s’arrêter dans une réflexion pour résoudre la crise togolaise d’une manière durable, sinon définitive.

1) La mauvaise foi du régime. Quelles que soient les mesures proposées par les Togolais, les médiateurs nommés de la CEDEAO, le fameux Groupe des Cinq, la Communauté Internationale….si cette mauvaise foi qui date du 13 janvier 1963 demeure et si aucune mesure coercitive n’est prise pour l’éradiquer, la crise togolaise reviendra, au galop ou à petits pas. Il faut une bonne dose de foi pour croire que les tenants du régime puissent par eux-mêmes, un beau jour renoncer à la mauvaise foi, à la ruse, à la roublardise qui constituent, avec la violence et l‘argent, l’arsenal qui leur permet de prendre le pouvoir et de s’y maintenir jusqu’ici.
2) Le manque de stratégie cohérente de l’opposition démocratique. Sommes-nous sûrs que l’opposition actuelle, en l’occurrence la Coalition des Quatorze détient aujourd’hui cette stratégie cohérente qui depuis le 5 octobre 1990, du moins depuis la date à partir de laquelle les Togolais tentent ouvertement de se libérer de la dictature Gnassingbé ? Combien de fois les opposants togolais qui, apparemment, tous affichaient ou affichent encore leur ras-le-bol du régime Gnassingbé et leur volonté d’en finir avec lui se sont plutôt comportés de manière à le légitimer, le renforcer à des titres divers ? Certains disent qu’ils se sont trahis les uns les autres et ont trahi la lutte du peuple togolais quand leurs intérêts égotistes étaient en jeu. Mais ce n’est pas mon propos d’insister sur cet aspect du sujet ici. Compte tenu des expériences du passé, il est permis d’être sceptique quant à l’unité ( que certains qualifient de façade ) que les Quatorze affichent encore aujourd’hui. Et, pouvons-nous accepter comme une manière de se remettre en cause, le fait que les responsables de l’APED qui se situent eux-mêmes dans l’opposition ou en sont proches, n’hésitent pas aujourd’hui à mentionner ce manque de stratégie cohérente dans leur déclaration ?Tout en me gardant de citer des noms, des faits, des dates, au demeurant connus, si c’est un aveu que font les responsables de l’APED en évoquant ce manque de stratégie cohérente, l’acte de contrition (courageux ?) doit être élargi à un nombre suffisamment important de leaders de l’opposition. La question, collective et individuelle que l’on se poserait et qui permettrait de dire le fameux « plus jamais ça » est de savoir pourquoi. En matière d’aveu, les responsables de l’APED reconnaissent que leur association est restée silencieuse pendant des années. Chacun comprendra comme il veut cette attitude plutôt attentiste.

Venons-en aux propositions de l’APED dont certaines rejoignent les revendications de la Coalition des 14 partis politiques. Je ne prendrai de ces propositions que celles qui me paraissent les plus significatives ( c’est un choix personnel, donc je peux me tromper) :

1) Libération immédiate et totale de tous les prisonniers politiques.
Comment faire pour que le régime RPT-UNIR entende les responsables de l’APED d’une oreille plus favorable que celle dont il a entendu la Coalition des 14 et surtout le facilitateur ghanéen Akufo-Addo ?
2) La levée du siège des villes de Sokodé, Bafilo et Mango. Cette proposition qui va dans le même ordre d’idées que la première, pose le même questionnement qu’elle : comment, par quels moyens obtenir cette mesure d’un pouvoir caractérisé par son entêtement et sa mauvaise foi( selon la déclaration de l’APED)? Si, sous une pression quelconque, le régime accepte de lever le siège, mais le maintient par des moyens détournés parce qu’il y va de sa survie, comment s’en rendre compte et surtout comment le contraindre à respecter sa propre parole donnée ?
3) Réformes constitutionnelles et institutionnelles. Je pensais humblement que le stade de ce langage ( angélique ou trompeur) en cours depuis plusieurs années au Togo et qui a donné lieu à des scènes, les plus ubuesques les unes que les autres, est déjà dépassé, ayant donné naissance à celui plus radical de « Retour à la Constitution de 1992, avec effet immédiat ». En fait, le manque de stratégie cohérente que déplore l’APED, n’est-il pas décelable dans le langage et dans l’inadéquation des slogans avec les comportements? On est passé du slogan « Pas de réformes, pas d’élections » aux élections frauduleuses, puis de « Retour à la Constitution de 1992 » au dialogue. Où se trouve l’incohérence ? Je suppose que c’est compte tenu de l’échec des vingt-sept dialogues précédents que le peuple togolais, cette fois ne réclame rien que le départ du pouvoir de Gnassingbé en se basant sur la Constitution de 1992. Quand on a pendant plusieurs mois de manifestations réclamé l’application immédiate de la Constitution et qu’au bout de ce temps on va au dialogue ( le principe du dialogue n’est pas en cause ), la moindre attitude conséquente est de ne pas y faire des concessions qui remettent en cause son moteur de départ.
4) La proposition, ou plutôt la recette qui consiste à mettre en place un gouvernement de transition présidé par un Premier Ministre issu de l’opposition démocratique a déjà été expérimentée après la Conférence Nationale Souveraine, avec le résultat que nous connaissons. Le problème, n’est-ce pas simplement parce que le pouvoir Gnassingbé, même statutairement dépouillé de ses prérogatives était resté, en fait, en place avec son armée, son argent et ses appuis extérieurs, en particulier celui de l’ancienne puissance coloniale, la France ?
5) Le recours à une force de la CEDEAO, avant, pendant et après les élections qui seront organisées à la fin de la période transitoire. La réflexion ici doit être portée sur ceci:
L’expérience a été faite en 1993 avec des Forces françaises et celle du Burkina Faso, comme indiqué dans la déclaration de l’APED. Pourquoi cette intervention n’a-t-elle pas permis de résoudre définitivement la crise chronique du Togo ? Cela tient-il aux pays d’origine de ces forces et des rapports qu’entretenaient les chefs d’État concernés avec Gnassingbé Eyadema (France de Mitterrand et Burkina Faso de Compaoré) ou du comportement mesquin de certains politiciens togolais ?
« L’APED demande à la CEDEAO, par l’entremise des Présidents Nana Akufo Addo et Alpha Condé de prendre en considération les aspirations profondes du Peuple togolais, notamment sa soif d’alternance, afin que les recommandations qui seront faites, contribuent réellement à l’avancement de notre Nation dans la paix ».
Je ne sais pas s’il s’agit d’un vœu pieux, d’une parole en l’air ou de la propension naturelle de certains compatriotes à faire facilement confiance. Mais, je voudrais que nous nous interrogions : pendant de longues années, nos leaders politiques avaient fait confiance à Blaise Compaoré pour résoudre la crise togolaise et se rendaient régulièrement à Ouagadougou pour y chercher règlement du conflit, médiation, conseils, peut-être aussi réconforts. Puis un jour, il était devenu évident pour nous que de par sa nature, le régime de Compaoré n’était pas très différent de celui des Gnassingbé et que par conséquent, il ne pouvait nous aider à atteindre nos objectifs. Compaoré qui, dans le fond, cherchait à s’éterniser au pouvoir, pouvait-il souhaiter autre chose à son homologue du Togo ? J’avais, à l’époque écrit un article intitulé « Bien courte la route qui mène à Ouaga ». Ma crainte aujourd’hui est simplement que la route qui mène nos leaders à Accra, Conakry, Paris…ne se révèle à court ou á moyen termes trop courte. Il ne s’agit pas d’une méfiance sans fondement à l’égard des chefs d’État de la CEDEAO mais d’une attitude lucide de vigilance et de la conscience que notre salut viendra avant tout du peuple togolais lui-même.
Enfin, je crois que la plus grande incohérence relevée dans la déclaration de l’APED réside dans cette phrase :
« Pour répondre à l’esprit de la Constitution du 14 octobre 1992, dans sa version originelle, l’APED estime que le chef de l’État, Faure Gnassingbé, devra de lui-même prendre la décision, en toute âme et conscience, de ne pas se porter candidat à l’élection présidentielle de 2020. Il marquera ainsi l’Histoire ».
N’oublions pas que ce sont des juristes qui parlent. Je ne savais pas que dans un discours juridique, on peut sortir si facilement d’un registre pour entrer dans un autre, celui du droit pour embrasser celui de l’éthique ou même des sentiments. Surtout dans la mesure où tout au long du raisonnement, on s’est employé à démontrer qu’on a affaire à des gens qui sont caractérisés par leur mauvaise foi. La Constitution, la loi, déclare que nul ne peut faire plus de deux mandats. « Nul n’est au-dessus de la loi », même un non juriste le sait. Cependant, l’homme en question, qui illégitimement et en dehors de toute légalité se trouve déjà dans son troisième mandat, est invité à interroger sa conscience et son âme, pour savoir s’il peut encore postuler à un quatrième.
Est-ce là une stratégie cohérente qui respecte la loi fondamentale de la République, la loi que le peuple togolais s’est donnée librement ? Est-ce là une stratégie cohérente qui respecte les aspirations du peuple togolais à l’alternance?
La rigueur de la loi et la fermeté du langage ici ne sont pas le fait de quelque extrémiste et ne relèvent d’aucun radicalisme.
« Il marquera l’Histoire… ». Je ne soupçonne chez les responsables de l’APED aucune intention de flatter Gnassingbé pour obtenir de lui ce que la loi exige de manière impérative de tout citoyen qui exerce les plus hautes fonctions de l’État. Mais, chacun, en son âme et conscience, a sa conception de l’Histoire et de la manière d’y entrer. Si les Gnassingbé ont toujours voulu y entrer par le meurtre, les assassinats, les coups d’État, les coups de force et la roublardise, c’est leur choix. Les hommes de droit n’ont pas d’autre choix que de chercher à faire appliquer la loi à tous.

Sénouvo Agbota ZINSOU