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Peut-on critiquer l’opposition togolaise sans la fragiliser ?

Togo - Opinions
« Plus on vous critiquera, plus vous devez vous faire admirer. » Henri-Frédéric Amiel, 1878.
Décembre 1998, gare routière de Sokodé. Alors que nous nous préparons à monter dans un minibus à destination de Lomé, une bagarre éclate à une centaine de mètres de nous. Toute une foule se précipite sur un malheureux, d’aucuns pour lui pointer des doigts à la figure, d’autres pour menacer de lui « faire grève », c’est-à-dire s’en prendre à ses biens. J’apprendrai plus tard que tous ces hommes en colère reprochaient au monsieur d’une quarantaine d’années d’avoir...critiqué Gilchrist Olympio.

Au moment des faits, le Togo était alors en pleine crise post-électorale, six mois après la présidentielle de 1998 au cours de laquelle le tandem Seyi Mémène - Gnassingbé Eyadéma avait opéré un coup d’État électoral, privant Gilchrist Olympio de son unique victoire électorale de l’histoire du Togo. En retour, Gilchrist avait promis mener une « guérilla politique » contre Eyadema.

Aujourd’hui, vingt ans après, nous sommes dans une crise de même ampleur, avec le même régime et son refus du changement, avec (presque) les mêmes acteurs politiques et leurs partisans, et avec le même peuple tourmenté et assoiffé de changement. Comme en 1998, la critique contre les leaders de l’opposition semble une fois de plus diviser leurs partisans.

La présente réflexion ne pose pas la question du droit qu’on aurait ou pas de critiquer l’opposition : c’est bien un droit. Ce n’est pas non plus une question de si l’on peut critiquer l’opposition. Bien sûr qu’on le peut. Après tout cette opposition n’est constituée que d’êtres humains comme vous et moi. La question est plutôt celle-ci : est-il opportun de critiquer l’opposition togolaise sans la fragiliser face au régime autocratique de Lomé ? C’est donc l’opportunité de la critique qui suscite des réactions diverses que je voudrais résumer ici.

Généralement lorsque quelqu’un émet une ou des critiques envers un leader ou envers la coalition dans son ensemble, les réactions de ceux qui rejettent cette critique consistent à peu près en trois déclarations : 1) Ce n’est pas facile d’être un opposant au régime togolais. 2) Les opposants font ce qu’ils peuvent. 4) Si vous n’êtes pas satisfait avec ce que fait l’opposition, vous aussi allez prendre les devants.

Les deux premières affirmations sont tout à fait vraies tant la dictature militaire togolaise est l’une des plus féroces de la planète, et les opposants togolais sont parmi les moins nantis. Mais il n’y a rien de plus ridicule que la dernière affirmation : il y a actuellement 14 personnes qui sont «au-devant de la lutte ». Si chaque personne qui critique venait s’ajouter aux 14, ce ne serait plus une coalition, mais une foule. À moins que prendre les devants ait toute une autre signification.

Pour ne pas faire long, tous ceux qui rejettent la moindre critique contre la coalition rendraient un grand service à notre lutte en réfléchissant au sort de deux figures marquantes de l’histoire politique du Togo depuis 1963 : Gnassingbé Eyadéma et Gilchrist Olympio.

Pendant un quart de siècle (1967 - 1990) toute critique envers Eyadéma était proscrite, interdite et sévèrement réprimée car interprétée comme une trahison contre l’homme qui aurait vaincu les ennemis du Togo à Sarakawa. Cela avait amené ses proches, ses amis et sûrement lui-même à penser qu’il était populaire ; ils ont dû déchanter après le 5 octobre 1990 et s’en sont mordus les doigts.

Pendant 19 ans (1991 - 2010), parmi les partisans de l’opposition, toute critique envers Gilchrist Olympio, même au moment où il le fallait, avait été combattue par ses proches et admirateurs, ce qui avait amené le monsieur à croire qu’il pouvait éternellement nous mener en bateau. Étant isolé contre toute critique y compris celles qui pouvaient lui éviter des faux-pas, il avait fini par penser que les Togolais accepteraient tous ses caprices. Ce fut une « erreur de gaouwa », comme disent les Ivoiriens. On connaît la suite.

Au regard de ces deux exemples, il faut retenir qu’à force d’étouffer quelques critiques au nom d’un certain égo, il arrivera un moment où on n’aura que des critiques à gérer à longueur de journée. Rien ne justifie l’accusation selon laquelle ceux qui critiquent les opposants cherchent à les fragiliser. C’est bien le contraire, tout homme qui n’attend que des flatteries ne s’améliorera sûrement pas. Critiquer les actes posés par la coalition, ce n’est pas la fragiliser, c’est empêcher qu’un nouveau Eyadema ou un nouveau Gilchrist n’émerge dans ses rangs. Les Togolais ont trop souffert par la faute de ces deux-là.

Il appartient à la coalition de se structurer afin d’être à l’écoute aussi bien des flatteurs que des critiques. Dix mois après sa création, il est difficile de croire que la coalition ne dispose pas encore de mécanisme structuré devant lui permettre de montrer au monde qu’elle est attentive et réactive aux critiques. Est-ce une critique ? Oui, c’est la mienne, et j’espère qu’elle ne fragilisera pas la coalition. À tous ceux qui seraient tentés de réagir en m’invitant à prendre « moi aussi » les devants de la lutte, ne vous gênez pas : 14 leaders c’est largement suffisant pour la victoire. Pour peu qu’on accepte de leur demander de regarder dans le rétroviseur.

Le 19 août a surpris le régime parce qu’il était resté sourd aux critiques. Si la coalition emprunte le même chemin, elle court le risque d’un 19 août dans ses propres rangs. Et ce serait dommage pour notre lutte.


Ben Yaya,
New York, 13 mai 2018