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Crise politique : Topanou Prudent répond à Kossivi Hounake

Togo - Politique
Kossivi Hounake, lors du colloque « Crise du pouvoir et le développement de l’Afrique » organisé les 2 et 3 mars derniers à l’Université de Lomé, s’est mis à défendre le régime de Faure Gnassingbé. Il ne s’est pas arrêté là. Il a pris en partie ses collègues qui, par des arguments avec des preuves à l’appui, ont estimé que le pouvoir togolais n’est pas légitime. Pire, Kossivi Hounaké a fait publier un article dans un journal de la place et sur les réseaux sociaux, article dans lequel il a tenté de faire des leçons de droit constitutionnel à ses collègues. Voici la réponse du Prof Topanou Prudent à Kossivi Hounake.
Réponse de Topanou Prudent Victor K. Kouassivi, Maître de conférences de science politique à Kossivi HOUNAKE, Maître de conférences agrégé de droit public.

Monsieur Kossivi HOUNAKE, j’ai mis une semaine à me décider à vous répondre. J’avoue sincèrement que je n’aurais pas voulu le faire mais j’ai dû m’y résoudre après avoir lu et relu non seulement les quelques lignes que vous avez bien voulues me consacrer mais aussi et surtout la réponse de Monsieur Komi WOLOU empreinte de sobriété et d’hauteur d’esprit. Comme lui, vous m’avez interpelé directement dans votre papier et comme lui, j’ai décidé de vous répondre.

Ce qui est frappant à la lecture de votre article paru dans le numéro 134 de l’hebdomadaire togolais « Vision d’Afrique » daté du 07/03/2018 (p.4), c’est votre volonté de refaire le colloque dans les médias et sur les réseaux sociaux, sans contradicteur. Je ne connaissais pas cette technique. Pour ce faire, vous avez biaisé les faits au lieu de les restituer fidèlement, honnêtement et sincèrement. La réponse de Monsieur Komi WOLOU le montre à satiété. Il en est de même de la restitution que vous avez bien voulu faire de nos échanges. Il y a un détail important qui ne m’a pas échappé, c’est que l’hebdomadaire a publié votre article dans la rubrique politique et vous l’avez accepté !!!

Je ne sais pas si vous vous êtes relu avant de publier votre texte ou si vous l’avez fait relire par vos mentors (ils se reconnaîtront). Comment pouvez-vous, sans gêne, vous mettre dans la posture du seul contre tous, du donneur de leçon et répondre sans modestie aucune, ainsi que vous le faites, à des juristes privatistes, à des politistes, à des philosophes, à des sociologues et à des littéraires ? Comment pouvez-vous traiter vos collègues « d’esprits moyens », de « gens d’intelligence limitée » (c’est même le titre de votre article), de « faux intellectuels » après vous êtes autoproclamé « intellectuel » du fait que « vous enseignez à l’Université, que vous dirigez des mémoires et des thèses » ? Comment pouvez-vous les traiter de « gens qui étaient plus dans la sensation que dans la réflexion », de gens qui sont caractérisés par une « faiblesse d’esprit critique et d’analyse » et qui disent des « imbécilités » ? Comment pouvez-vous traiter le public de « gens pas intelligents » et comment pouvez-vous traiter le colloque de « rendez-vous scientifique sur fond d’arguties politiques » ? Comment et pourquoi osez-vous faire cela ? Qui vous a mis dans la tête que vous êtes le plus intelligent du monde au point de défier ainsi tous vos collègues de toutes ces différentes disciplines ? Seriez-vous le nouveau modèle incarné du détenteur du savoir encyclopédique des temps modernes ?

En parlant de moi, vous avez écrit : « il urge de savoir que l’intéressé ne peut me donner une leçon de droit constitutionnel. Il n’a pas la compétence et ne peut avoir la prétention. Il sait en son fort intérieur qu’il ne peut discuter de droit constitutionnel. Si mes contradicteurs avaient fait preuve ne serait-ce que d’une fidélité d’esprit louable, ils auraient dû constater que lors de notre discussion, le Prof. Topanou n’a fait que tourner le débat vers la science politique sans convaincre comme d’habitude ».

Monsieur Kossivi HOUNAKE, en vous lisant, j’ai eu le faible de penser, un instant, que vous étiez devenu paranoïaque et ce, pour deux raisons, d’abord parce, je n’ai jamais eu la prétention de vous donner quelque leçon de droit constitutionnel que ce soit. Jamais. Je n’en ai jamais eu l’intention, je ne l’ai jamais pensé et je ne l’ai jamais exprimé. Au demeurant, j’ai des opinions personnelles dont je m’assure au préalable qu’elles sont cohérentes et rigoureuses avant de les défendre au mieux. Au surplus, je ne vous connaissais pas, je ne vous avais jamais rencontré et je n’avais jamais échangé avec vous, aussi directement. Je n’ai donc jamais eu l’occasion de chercher à vous convaincre de quoi que ce soit. Ensuite parce que vous semblez réduire tous les problèmes de légitimité dont souffre le pouvoir politique togolais à vos seuls acquis obtus de droit constitutionnel. Dois-je vous rappeler que vous n’étiez pas dans un colloque de droit constitutionnel, ce que pourtant les organisateurs avaient pris soin de rappeler en précisant qu’il s’agissait d’un « colloque international interdisciplinaire » qui, comme son nom l’indique, faisait de la place à autre chose qu’au seul droit constitutionnel. Au demeurant, laissez-moi vous dire que vous n’avez pas le monopole du droit constitutionnel et que vous n’êtes pas une référence dans la discipline ni dans l’espace CAMES et encore moins en Afrique et dans le monde. Je n’ai encore vu, à ce jour, aucune de vos contributions décisives pour le droit constitutionnel. J’ai cherché et je continue encore de chercher des traces de vos publications ; je n’ai encore vu aucun livre de doctrine ni même un manuel signé de vous. Alors, même si c’était un colloque de droit constitutionnel, vous gagneriez à être un peu plus modeste et humble.

En fait ce que vous n’avez pas écrit dans votre texte et qui a fait l’objet du seul échange direct que j’ai eu avec vous au cours de ces deux journées de réflexion, c’est que vous souteniez, d’une part, que le pouvoir du Président Faure E. GNASSINGBE est légitime parce que découlant d’élections conformes à la Constitution togolaise qui dispose en son article 146 que « la source de toute légitimité découle de la présente constitution » et, d’autre part, que « les opposants qui parlent au nom du Peuple violent l’article 4 de la Constitution togolaise qui dispose que la souveraineté appartient au peuple… Aucune fraction du Peuple, aucun corps de l’État ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Or moi, je considérais que Faure E. GNASSINGBE n’est pas légitime ; qu’il ne suffit pas d’être élu conformément à une constitution pour être légitime, qu’un Président qui tue ses concitoyens ne peut être légitime (I) et, d’autre part, que les opposants peuvent très bien parler au nom du peuple sans qu’on ne puisse leur reprocher de violer l’article 4 de la Constitution (II).

I / Le Président Faure E. GNASSINGBE n’est pas légitime

Le pouvoir de Faure E. GNASSINGBE n’est pas légitime pour deux raisons, la première, c’est que depuis 2015 qu’il est réélu, il n’a toujours pas été investi alors que la Constitution le prescrit (articles 63.2 et 64) et la seconde, c’est qu’un gouvernant qui tue ses concitoyens ne peut être légitime, ce qui est le cas de ce pouvoir.

En ce qui concerne le moyen tiré de la non-investiture, il convient de rappeler que le droit constitutionnel moderne organise le statut de « Président de la République » autour de deux conditions à savoir une condition substantielle qui est l’élection et une condition formelle qui est l’investiture. Ce sont ces deux conditions réunies qui confèrent le statut de Président de la République. L’une quelconque de ces deux conditions viendrait à manquer que la légitimité constitutionnelle du Président de la République est remise en cause. Car en effet, quand un Président est élu, il acquiert le statut de « Président élu » et ce n’est qu’après l’investiture qu’il acquiert le statut de « Président de la République » et qu’il devient pleinement Président. La durée de la période qui sépare le statut de « Président élu » et celui de « Président de la République » varie selon les systèmes politiques. Aux Etats-Unis, le Président est élu en Novembre et il est investi en Janvier. Au Bénin, le Président est élu en Mars et il est investi en Avril. Au Togo, le « Président élu » « entre en fonction dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de l’élection présidentielle » (article 63.2) et en France, le Président est élu en Avril et il est investi en Mai, pour ne citer que ces exemples. Durant cette période « le Président élu » ne peut exercer les fonctions de « Président de la République » pour la simple raison que le mandat du « Président sortant » court encore. Il peut donc très bien arriver qu’un « Président élu » sans jamais avoir été Président de plein droit, c’est-à-dire sans jamais avoir été « Président de la République ». Georges Burdeau ne dit pas autre chose quand il affirme que « la source de l’autorité des gouvernants, c’est la régularité constitutionnelle de leur investiture ». Et comme pour laisser croire que la constitution du Togo n’a pas prévu de cérémonie d’investiture, vous écrivez injustement pour, disiez-vous, « expliciter » la pensée de Georges BURDEAU que « l’investiture régulière dont il s’agit est le mode de désignation de l’autorité appelée à exercer une fonction. Cela n’a rien à voir avec le fait qu’un Chef de l’État ait été investi ou non frisant un populisme ridicule. L’investiture régulière dont il s’agit dans ce cas reste l’élection ». Ce faisant, vous reconnaissez implicitement que le Président Faure E. GNASSINGBE n’a jamais été investi après son élection contestée de 2015 mais pour vous, peu importe qu’il l’ait été ou pas. Monsieur Kossivi HOUNAKE, c’est ridicule et lamentable, c’est même honteux et à la limite, ce n’est pas sérieux et je comprends mieux pourquoi une partie de l’intelligentsia togolaise vous méprise autant !!! Il découle de tout ce qui précède, que le Président Faure E. GNASSINGBE demeure encore un « Président élu », que la régularité constitutionnelle de son investiture n’est pas établie et qu’en conséquence il n’est pas légitime.

En ce qui concerne le moyen tiré du fait qu’un gouvernant qui tue ses concitoyens n’est pas légitime, il convient de rappeler que l’avancée conceptuelle décisive de « l’État de droit » réside dans le fait que le droit s’applique non seulement aux citoyens mais également à l’État, à l’administration et aux gouvernants contrairement à « l’État de police » dans lequel le droit ne s’appliquait qu’aux citoyens et pas à l’État, à l’administration et aux gouvernants. Or de nos jours, l’État de droit se confond avec le respect par l’Etat des droits de l’homme conçus comme antérieurs et supérieurs à l’État. Et le premier des droits de l’homme qu’il revient à l’Etat de garantir, c’est le droit à la vie. D’où je tire comme conséquence qu’un Président qui tue ses concitoyens, c’est-à-dire qui viole leur droit à la vie est un Président illégitime. Dans le cas du Togo, les différents rapports internationaux ainsi que les bilans officiels des répressions des manifestations de l’opposition font état de plusieurs morts. Ce qui constitue une violation flagrante et répétées des dispositions pertinentes des articles 10, 13, 15 et 21 de la Constitution togolaise. Et donc, parce que le Président Faure E. GNASSINGBE a le sang de ses concitoyens sur les mains, il ne peut être légitime. Voilà pourquoi, je soutiens que le Président Faure E. GNASSINGBE est doublement illégitime : premièrement parce qu’il demeure un « Président élu » et deuxièmement parce qu’il viole au quotidien le droit à la vie des Togolais. C’est pour les mêmes raisons que je soutiens que le Togo n’est pas encore entré en démocratie.

Mais au-delà de Faure E. GNASSINGBE, il importe de conscientiser les gouvernants Africains, d’une part, à l’idée que leur légitimité réside aussi dans leur capacité à garantir la sécurité physique et par delà l’épanouissement entier de leurs concitoyens et que, d’autre part, l’exercice par eux de la souveraineté nationale n’empêche pas les leaders de l’opposition de parler au nom du peuple.

II / Les leaders de l’opposition ont aussi le droit de parler au nom du Peuple

Le fait pour les leaders politique de parler au nom du Peuple est une pratique démocratique consacrée. En effet, en démocratie, tous les gouvernants, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, parlent au nom du Peuple auquel appartient la souveraineté ; ceux qui sont au pouvoir exercent la souveraineté en son nom et ceux qui sont dans l’opposition luttent pour conquérir le pouvoir en son nom. Le député de l’opposition qui est membre de la Représentation nationale parle aussi bien au nom du Peuple que les députés de la majorité. Et ce n’est pas parce que les leaders de l’opposition demandent le départ d’un Président en exercice que celui quitte effectivement le pouvoir. Monsieur Kossivi HOUNAKE, ce n’est sans doute pas du droit constitutionnel mais cela se conçoit très bien en science politique : on parle de pratique démocratique consacrée. Or, vous, vous considérez que « en toute objectivité, celui qui est habilité à parler au nom du peuple c’est celui qui est revêtu de l’onction populaire acquise lors du vote », peu importe pour vous que ce vote ne soit pas transparent, pas sincère et pas honnête. Mieux, vous semblez limiter le vote à la seule désignation du Président de la République comme si les Députés n’étaient pas élus au Togo et que donc de ce fait le Député Togolais, qu’il soit de la majorité ou de l’opposition ne peut parler au nom du peuple. C’est vrai aussi que cela fait longtemps que le Togo n’a pas organisé d’élections communales, municipales et locales sinon, même les élus communaux, municipaux et locaux sont habilités en démocratie à parler au nom du peuple qu’ils représentent. Vos prismes d’analyse sont définitivement ceux de quelqu’un qui vit en dictature. Le pire, c’est que vous estimez que le fait pour les leaders politiques « de parler au nom du peuple, y compris de demander au nom du peuple au chef de l’État de quitter le pouvoir » est une violation de l’article 4 qui dispose que « la souveraineté appartient au peuple… Aucune fraction du Peuple, aucun corps de l’État ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Parler au nom du peuple quand on est dans la posture de l’opposition ne signifie pas exercer la souveraineté nationale. L’opposition n’est pas dans une posture d’exercice du pouvoir, elle est dans une posture de conquête du pouvoir ; elle ne peut donc violer l’article 4. Au contraire, c’est l’opposition qui peut accuser le régime au pouvoir de violer l’article 4 parce qu’il représente une fraction du Peuple qui a confisqué et qui exerce la souveraineté du Peuple en son nom.

Monsieur Kossivi HOUNAKE, en publiant dans la presse cet article, vous avez raté une occasion de vous taire. Ceux qui vous ont demandé ce service et qui vous ont récompensé en vous nommant Directeur adjoint de la DAAS de l’UL par Arrêté N° 012 MESR/2018 en date du 1er Mars, c’est-à-dire, comme par hasard, daté de la veille du colloque, ne vous ont pas rendu service et ni vous, ni eux, vous ne rendez pas service au Président Faure GNASSINGBE qui, empêtré dans sa gouvernance, aurait mérité meilleur soutien que vous. Au final, il vous arrive ce qui arrive aux laudateurs de tous les régimes et encore plus aux laudateurs des régimes dictatoriaux que vous avez choisis de servir : le zèle aveuglant. Ressaisissez-vous !!.