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Mon fils veut devenir un vrai militaire au Togo

Togo - Opinions
La crise politique en cours au Togo a relancé le débat sur le rôle de l’armée dans la vie de la nation. La question n’est plus seulement débattue par les analystes politiques, elle fait désormais partie des discussions dans les réseaux sociaux, au sein des ménages ; elle est sur toutes les lèvres, surtout dans les localités soumises à une occupation militaire sous le fallacieux prétexte de « lutte contre le terrorisme. »

Mais les réactions de l’esprit humain face à certaines circonstances ne cesseront pas de surprendre.

Récemment, dans une localité du Togo soumise à l’occupation militaire, un enfant d’une quinzaine d’années alla dire à son père qui revenait d’une hospitalisation après avoir été passé à tabac par des militaires.

- Papa, je veux devenir un militaire quand je serai grand.
- Très bien, dit le père qui manifestement n’a montré aucun rejet envers le métier des armes. Mais quel type de militaire veux-tu devenir ? Le père s’attendait à entendre « béret rouge », ou « béret vert » ou le nom d’un de ces corps de l’armée qui se distinguent par le béret d’une couleur particulière.
- Je veux devenir un vrai militaire, répondit le fils.
- Très bien, dit encore le père. Et quel est ton exemple de vrai militaire ?
À cette question, beaucoup parmi nous auraient vite crié un nom, peut-être celui d’un militaire révolutionnaire du 20ème siècle qui se sont dressés contre l’injustice faite à leur peuple: Sankara, Rawlings, Kaddafi, Nasser, etc. Mais l’enfant a été plus prudent : il a promis donner un nom une fois qu’il aura rassemblé plus d’informations sur le militaire qu’il admire. Sans m’étendre sur ce que serait un « vrai militaire » dans une nation à l’histoire aussi troublée que la nôtre, permettez que je partage cette histoire personnelle.

En décembre 2011, je visitais pour la première fois la République nouvellement indépendante du Sud-Soudan. L’homme qui est venu me chercher à l’aéroport de la capitale était un policier de l’ONU. Une fois les présentations faites, il m’expliqua qu’il admirait les soldats togolais car il les avait côtoyés au sein de la Minurcat, la mission onusienne de maintien de la paix précédemment déployée en Centrafrique et au Tchad. Il citait même certains noms de soldats qui étaient courants au Togo. Personnellement, je voulais lui dire que mon expérience des militaires togolais n’était pas aussi agréable que la sienne. Mais j’éprouvais une certaine gêne à parler mal de l’armée de mon pays. Je me suis donc contenté d’acquiescer.

Au cours de notre trajet de l’aéroport vers l’hôtel, on tomba sur un poste de contrôle tenu par des éléments du SPLA, l’armée populaire de libération du Soudan, l’armée du pays et ancienne rébellion qui avait combattu pour l’indépendance du Sud. Le pays était en paix au moment de ma visite. Pour une raison que personne ne comprenait, les éléments du SPLA s’en prenaient aux civils qui passaient, et exerçaient des exactions physiques contre eux pour un simple oui ou non. On dirait que ces soldats étaient saouls. Le chauffeur me dit que très souvent, leurs exactions occasionnaient des morts, mais bizarrement ces militaires jouissaient d’une impunité totale. En cas de plainte, me dit le policier-chauffeur, les officiers de l’armée répondaient toujours que ces exactions étaient le fait des « éléments égarés ». J’eus envie de dire que cela arrivait aussi au Togo, sauf que là le terme est « éléments incontrôlés ». Mais une fois encore, j’ai préféré me taire. Je venais d’entendre un étranger parler du bien de mes frères en uniforme sans doute pour des actes de bravoure qu’ils ont posés hors du territoire national. Pourquoi vais-je me mettre à parler du mal d’eux à cet étranger ? Pas la peine, puisque le linge sale se lave en famille.

Au cours de mon séjour j’appris beaucoup sur l’histoire de ce jeune pays, et surtout sur le père de son indépendance : John Garang. Au début des années 80, alors qu’il était encore un jeune officier de l’armée nationale du Soudan, John Garang fut dépêché de Khartoum la capitale soudanaise et envoyé au sud du Soudan afin de réprimer des populations civiles qui demandaient plus d’autonomie au gouvernement central. Une fois sur place, Garang envoya un message à ses supérieurs les informant qu’il ne pouvait pas réprimer des populations aux mains nues, et l’information selon laquelle ces populations auraient pris des armes s’avérait fausse. Par conséquent, les réprimer reviendrait à obéir à un ordre illégal.

Face à l’insistance de ses supérieurs qui lui demandait de sévir contre les populations civiles, John Garang fit même plus : il prit la tête d’un groupe de jeunes militaires qui se joignit aux protestataires réclamant l’autonomie de la région méridionale du pays. Face à l’intransigeance du gouvernement central, le groupe devint une rébellion armée qui contre vents et marées réussit à obtenir l’autonomie de la région 20 ans plus tard, puis son indépendance 6 ans après. Malheureusement Garang est mort avant l’indépendance, mais en disant "NON" à un ordre manifestement illégal, il venait d’entrer dans l’histoire de son pays et dans les cœurs de ses concitoyens meurtris par l’injustice. Au Soudan du Sud d’aujourd’hui, tous les billets de banque portent la photo de John Garang. La raison est celle-ci : le militaire qu’il était avait refusé d’obéir à un ordre illégal, un ordre lui intimant de tirer sur des populations aux mains nues.

Depuis le début de la crise politique, les gens se sont beaucoup interrogés sur l’argument principal des militaires togolais face à la question de savoir ce qui explique leurs exactions contre les populations civiles. La réponse est toujours la même : « on ne fait qu’obéir aux ordres. » Bien sûr, que serait une armée s’il n’y avait pas d’obéissance aux ordres ? Tous ceux qui comme moi n’ont jamais porté l’uniforme sont mal placés pour juger ceux qui la portent parce qu’ils obéissent aux ordres. On ne peut donc que comprendre les actes d’un militaire par rapport à ceux d’autres militaires dans les mêmes circonstances, comme John Garang face au choix de réprimer ou non les populations aux mains nues.

L’histoire nous apprend que lors des procès de Nuremberg au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les officiers Nazis avaient tous répété qu’en commettant les massacres contre les populations civiles, ils obéissaient aux ordres. Justification que le tribunal militaire avait rejetée. Dans toutes les armées on obéit aux ordres. Mais dans toutes les armées, il y a des ordres illégaux auxquels on peut refuser d’obéir.

Si j’étais ce père meurtri par des exactions militaires dans une ville du Togo, je regarderais mon fils qui souhaite devenir un "vrai militaire" et je lui dirais :

« Mon fils, ne soit pas comme un militaire nazi. John Garang était un vrai militaire. Que sa vie t’inspire. »

Ben Yaya, New York