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Crise politique togolaise : Faut-il une négociation ou une médiation ?

Togo - Opinions
Si l’on en croit le ministre Gilbert Bawara ainsi que la récente interview de Faure Gnassingbé à Jeune Afrique, l’on s’acheminerait vers un dialogue inter-togolais organisé et chapeauté par le gouvernement, parce que nous dit-on, « la situation » n’échappe pas au contrôle des autorités. Ceci en lieu et place d’un dialogue sous la houlette du président ghanéen Nana Akuffo Addo qui semble faire l’unanimité au sein de l’opposition togolaise, ainsi qu’au sein de la communauté internationale si l’on en croit les médias.
Certains soutiennent qu’une discussion organisée par le gouvernement n’est pas un dialogue dans la mesure où le parti au pouvoir serait ainsi juge et partie. D’autres jurent que le gouvernement ayant encore tout le contrôle de la situation, il peut tout à fait régler la crise, et il n’est donc point besoin de s’en remettre aux acteurs externes.

Bien que les deux scénarios soient des formes de dialogue, techniquement l’un est une négociation (ce que veut le pouvoir RPT-UNIR) alors que l’autre est une médiation (ce que veut l’opposition). Dans le processus de résolution des conflits, la négociation est la première étape, alors que la médiation en est la deuxième. C’est lorsque la négociation échoue que l’on passe à la médiation. Et lorsque la médiation échoue à son tour, les parties en conflit passent à l’arbitrage. De par le passé, les deux premières formes ont été essayées à maintes reprises, près de 25 fois si on en croit certaines sources. Le résultat est là aujourd’hui : une interminable crise politique.

Lorsqu’il y a un conflit c’est-à-dire un différend ou un désaccord qui touche aux intérêts de groupes d’individus, la première des choses est de négocier pour trouver un terrain d’entente. La négociation a l’avantage de faire gagner du temps aux protagonistes afin qu’ils puissent passer à autre chose.

Mais la négociation ne réussit que lorsque les deux parties estiment qu’il est de leur intérêt à ce que la situation se normalise rapidement. Dans la situation actuelle du Togo, la négociation pourrait réussir s’il y avait un réel partage du pouvoir entre les forces politiques, une cohabitation en quelque sorte, car nul ne gagnerait à ce que la crise s’éternise, donc il leur faut une sorte de « gentlemen agreement. »

La négociation a un inconvénient majeur: la partie disposant de plus de pouvoir peut en abuser pour imposer ses points de vue ou ses solutions. Or dans la situation politique actuelle, un parti contrôle tous les leviers de l’État, alors que l’autre protagoniste n’exerce aucun pouvoir. La partie qui est en position de faiblesse peut même en sortir plus affaiblie. Une solution qui mettrait un camp en position de faiblesse ne ferait qu’empirer la crise. Par conséquent, au point où nous sommes, la négociation ferait plus de mal que de bien. D’où la nécessité d’une médiation menée par une tierce personne.
La médiation a elle aussi ses points forts et ses faiblesses. La réussite de la médiation repose avant tout sur les compétences du médiateur parmi lesquelles sa connaissance du problème qui est à l’origine de la crise, les tenants et les aboutissants, sa capacité d’écoute, et sa capacité à gagner la confiance de toutes les parties. Puisqu’il s’agit d’une crise touchant un pays, le médiateur ne peut pas ignorer les implications géopolitiques de la résolution de cette crise.

Le président ghanéen, médiateur qui est parait-il proposé par la CEDEAO, est accueilli chaleureusement par certains et du bout des lèvres par d’autres. Prenons un peu de recul pour nous interroger sur ce qui a motivé ce choix par la CEDEAO. Est-ce parce qu’il remplit toutes les conditions précitées sur les principales compétences d’un médiateur ? Ou est-ce parce qu’il en a fait la demande ?

À en croire certains médias ghanéens, le président Akuffo-Addoh s’était proposé comme médiateur dès le mois de septembre 2017 pour aider ses frères Togolais à résoudre rapidement cette crise. Pas pour les beaux yeux de la CEDEAO, mais par nécessité. En décembre 2016, il avait été élu président du Ghana dès le premier tour sur la base d’un ambitieux programme de société qui se résume en ce slogan : «construire une usine dans chaque village». Ce programme ne peut réussir s’il y a instabilité dans l’un des pays limitrophes du Ghana. Donc pour la mise en œuvre intégrale de son programme de société, il faut que le Togo se porte bien. Une crise qui conduirait des milliers de réfugiés Togolais au Ghana mettrait à mal la mise en œuvre de ce programme. À cela s’ajoute le besoin d’exporter les produits qui sortiront des "usines villageoises" vers un Togo qui produit peu. Donc il ne s’agit pas d’une médiation vraiment désintéressée comme certains l’auraient souhaité. Le président ghanéen a tout à fait intérêt à ce que la solution à la crise lui profite pleinement. Cela fait-il de lui la personne la mieux indiquée pour assurer la médiation? Cela dépend de selon que l’on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide.
Comme je le disais dans une opinion précédente, l’objectif n’est pas d’avoir un médiateur parfait, mais plutôt d’atteindre un objectif précis : la mise en œuvre des dispositions de la constitution de 1992. Au regard de toutes les formes de dialogue que le Togo a connues au cours des 27 dernières années, on ne peut trouver un médiateur irréprochable. Les principaux médiateurs du passé (Blaise Compaoré pour une grande partie, Jacques Chirac pour l’Accord Cadre de Lomé) étaient des proches sinon des obligés de feu le général Eyadéma, mais on a cru quand même que cette proximité mettrait le régime dans de bonnes dispositions pour appliquer intégralement les accords signés. Peine perdue.

Ce n’est donc pas la forme du dialogue ou la personnalité du médiateur qui est le problème. Ce n’est pas non plus les inquiétudes des uns et des autres sur une forme de dialogue par rapport à une autre. Même si on laissait de côté la négociation (voulue par le gouvernement) et la médiation (souhaitée par l’opposition) pour passer à l’arbitrage qui consiste pour une tierce partie à imposer ses solutions aux protagonistes, le résultat restera le même.

Le principal facteur de l’échec des accords passés est l’absence de structures de suivi de ces accords, des structures dont les décisions auraient une valeur contraignante pour tous les signataires. À partir du moment où les accords, qu’ils soient issus de négociation ou de médiation ne doivent leur application qu’à la bonne foi des protagonistes, ils seront voués à l’échec, du moins dans le contexte togolais. Les 11 dernières années l’ont démontré à suffisance.

En général c’est lorsque l’on signe un accord qu’il faut penser aux mécanismes de suivi. Mais vu que le Togo a montré qu’il est une exception parmi les exceptions, il faut d’abord penser à de sérieux mécanismes de suivi avant même d’entamer une quelconque discussion entre les parties. Sans cela, nous répéterons l’histoire. Et cette fois-ci, le prix que paieront les Togolais sera plus élevé.

A. Ben Yaya