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Après Yahya Jammeh en Gambie, le rêve du pouvoir à vie de Faure davantage hypothéqué : Les leçons pour le pouvoir, l’opposition et la diaspora

Togo - Politique
L’annonce, vendredi, de la défaite du président gambien Yahya Jammeh, a fait l’effet d’un tonnerre dans un ciel serein. Avec une élection qui s’est déroulée suivant un mode peu ordinaire et presque à huis clos, puisque les télécommunications ont été coupées, peu de personnes pouvaient parier sur un résultat qui consacrerait le départ du Marabout. Et pourtant Yahya Jammeh ne sera plus le président de la Gambie. L’homme qui représentait, avec Faure Gnassingbé, les deux potentats de l’Afrique de l’Ouest, vient ainsi de fausser compagnie au Togolais; ce qui, désormais, fait du Togo la dictature de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’ouest (CEDEAO).
Mai 2015. Faure Gnassingbé venait de s’offrir un troisième mandat à l’issue d’une élection contestée. Première rencontre internationale, le 47e sommet des Chefs d’Etats de la CEDEAO. A Accra, les chefs d’Etats de la région avaient à leur agenda un sujet relatif à une réforme du Protocole de bonne gouvernance de la CEDEAO pour y insérer une limitation du mandat présidentiel dans la communauté à deux. Après délibération, le projet échoue. Faure Gnassingbé et Yahya Jammeh s’y opposent. Les deux hommes qui sont au pouvoir depuis plus de mandats et qui surtout, se caractérisent par la rudesse de leur régime, viennent une fois encore de confirmer ce que tout le monde savait d’eux, leur dictature. L’un au pouvoir depuis 21 ans, l’autre depuis plus de 10 ans, après 38 ans sans partage de son défunt père à qui il a succédé en avril 2005 en massacrant un millier de Togolais.

Avec son régime plus rustique et ses sorties-éclats, Yahya Jammeh captait particulièrement l’attention sur lui. Et derrière lui, se cachait un Faure Gnassingbé qui investissait abondamment dans les « démarches diplomatiques de couloirs » pour s’attirer la sympathie de certains pays stratégiques. Parfois, Yahya Jammeh tendait à faire oublier Faure Gnassingbé. Mais depuis vendredi, avec la chute du bouffon de Banjul, le Togo est devenu plus clairement exposé. Désormais on voit clairement le seul pays de la CEDEAO qui n’a pas encore connu d’alternance démocratique depuis son indépendance. Dirigé par un homme devenu doyen des présidents, en termes de longévité au pouvoir et à la tête d’un système mafieux qui régente le Togo depuis un demi-siècle. Un triste record que Faure Gnassingbé aura désormais du mal à cacher et que ses propagandistes de la trempe de Gilbert Bawara auront du mal à faire accepter à leurs lobbies.

Si les Togolais se sont particulièrement réjouis de la nouvelle venue de Banjul, c’est qu’ils savent que cela n’est pas sans conséquence sur le Togo. Avec ce seul départ, le contexte régional devient de facto embarrassant et davantage hostile pour le régime de Lomé. Le projet de pouvoir à vie de Faure Gnassingbé et des membres de sa minorité vient de prendre un sérieux coup. Ceux qui pariaient encore sur la longévité du pouvoir de Faure Gnassingbé pour piller, brimer, narguer, doivent commencer à se rendre à l’évidence que nous ne sommes plus en 1967 où un même personnage peut s’offrir le luxe de diriger un pays pendant 38 ans, sans partage, en sacrifiant des générations entières. Les moyens de propagande ne sont plus les mêmes. Le monopole de la parole publique n’est plus absolu, avec les réseaux sociaux et les différentes applications qui voient le jour quotidiennement et démocratisent l’accès à l’information. Avec le recul, les exemples de lutte contre les régimes despotiques sont légion et plus accessibles. Bref, aujourd’hui n’est pas hier, et demain ne sera pas comme aujourd’hui.

Lors du congrès de son investiture tenu à Kanilai, sa localité natale dans l’ouest du pays Yahya Jammeh vociférait en ces termes: « Nous sommes en démocratie et ils parlent de limitation de mandats. N’importe quel chef d’État occidental ou autre dirigeant d’État qui viendrait parler de limitation de mandats en Gambie verra ce que je lui dirais». Dans Jeune Afrique du 29 mai dernier, il faisait l’une de ses déclarations tapageuses à la limite surréaliste : « Je serai président aussi longtemps que Dieu et mon peuple le voudront. Je travaillerai tant que je pourrai, au développement de ce pays. (…) Non. Il y a une limite d’âge dans la Constitution gambienne qui m’empêchera un jour de me représenter. C’est 65 ou 70 ans, je ne sais plus (sic). Quand j’aurai cet âge-là, je dirai bye-bye. Je respecterai la Constitution. En revanche, nous n’avons pas de limitation du nombre de mandats. Parce que si les gens veulent limiter le nombre de vos mandats, ils n’ont qu’à cesser de voter pour vous, c’est aussi simple que cela. Et puis, soyons sérieux : En Afrique, lorsque vous démarrez un projet, il vous faut au moins un an pour trouver les financements, six mois pour réaliser les études de faisabilité, etc. Il est à peine lancé que votre mandat est terminé. Voilà pourquoi tant de projets n’aboutissent jamais. Prôner la limitation des mandats en Afrique, c’est prôner l’instabilité. Cela n’arrivera pas en Gambie », a-t-il déclaré.

En invoquant le peuple, il a compté avec sa passivité et sa docilité. Seulement cette fois, les évènements lui ont échappé. Le peuple s’est organisé pour mettre fin à son règne. Contrairement à ce que certains ont pu avancer, Yahya Jammeh n’a pas quitté le pouvoir par générosité ou humanisme. Mais obligé de reconnaître sa défaite. Les Gambiens ont changé de niveau de mobilisation, pendant que lui, il était toujours dans sa bulle.

« Je pense que les conditions mêmes déjà sont différentes. Le pays est dans une situation économique très, très difficile. Le tourisme ne marche pas bien, le commerce ne marche pas bien, les gens avaient besoin d’un changement. La deuxième raison est que l’opposition est beaucoup mieux organisée cette fois-ci. Ils ont réussi quand même à s’entendre et à faire le tour du pays, à présenter une image d’unité à la population. Il y a aussi deux autres facteurs qui ont joué cette fois-ci. La diaspora est mobilisée très fortement, les réseaux sociaux ont fonctionné. Donc il y a une coordination entre ce qui se fait à l’intérieur, et les gens ont vraiment travaillé encore de concert. Et enfin, une quatrième raison qui est aussi importante que les autres, c’est qu’il s’est mis presque tout le monde à dos. La dernière chose, c’est quand il a déclaré que les Mandingues, qui sont le groupe ethnique majoritaire au niveau du pays, sont comme des étrangers. Cela était quand même ressenti un peu trop fort. Le mécontentement ne date pas d’aujourd’hui. Les gens ont commencé à s’organiser et à braver un peu les mesures d’intimidation, les arrestations, la peur qui a suivi l’exécution des prisonniers il y a quelques années... », a expliqué samedi Ebrima Sall, Secrétaire Exécutif du Conseil pour le Développement de la Recherche en Science sociales en Afrique (Codesria), à nos confrères de Rfi.

Cette analyse a de quoi interpeller les différents camps politiques au Togo. D’abord le pouvoir et ses affidés qui doivent se résoudre à intégrer dans leur tête que leur régime a fait plus de temps au pouvoir qu’il ne lui en reste de faire et pourrait même être en train de faire ses dernières années. Cela ne veut absolument pas dire que sans être au pouvoir, ils seront mis en marge de la société togolaise. Tant qu’ils resteront Togolais, ils auront leur part de la République. Et lorsqu’on se convainc de cette éventualité, on ne peut plus gouverner comme des personnes qui ne quitteront jamais les affaires. La logique et la sagesse voudraient qu’ils le fassent de sorte à rendre le vivre-ensemble toujours possible, même après leur départ du pouvoir.

De ceux qui doivent tirer des leçons de l’alternance en Gambie, il y a aussi les partis d’opposition. Cela fait un quart de siècle que les mêmes personnes, avec les mêmes méthodes, promettent la même chose aux Togolais, sans jamais la leur offrir. Si l’alternance à laquelle aspirent tant les Togolais continue de s’éloigner, l’opposition y a aussi sa part de responsabilité. Et pendant que les Togolais, dans leur majorité, continuent de souffrir du déficit démocratique et des affres du régime, les politiciens, eux, semblent plus orientés vers des petits privilèges liés à des postes pour lesquels ils se déchirent d’ailleurs sans retenue.

En Gambie, ce n’est pas forcément l’opposant historique qui est devenu président. Il est vrai que Yahya Jammeh a mis ses principaux opposants en prison, mais il est aussi vrai que, à défaut des traditionnels acteurs, derrière celui qui a été élu, c’est tout le peuple qui s’est mobilisé. Et le candidat du peuple, pour lui manifester sa fidélité est allé jusqu’à démissionner de son parti. Une façon de dire que l’enjeu n’est plus une affaire de chapelle politique, ni de calcul politicien. Il s’est engagé à faire de son mandat une transition et se retirer à son issue. Ce niveau de responsabilité fait parfois défaut au sein de la classe politique togolaise où, avant même d’avoir tué le loup, on se déchire pour le partage de sa peau. Il est grand temps qu’émergent de nouveaux visages pour incarner, au-delà des intérêts partisans, les aspirations du peuple.

La mobilisation pour l’alternance politique au Togo ne peut plus continuer à être hypothéquée sur l’autel des intérêts partisans dont la sauvegarde constitue plus ce qui fait voler en éclats les fronts de l’opposition. Il est une certitude, pour avoir un résultat nouveau qui préserve l’intérêt collectif, chacun va devoir consentir des efforts et admettre des compromis au profit de l’intérêt collectif. Ceux qui incarnent la machine à perdre au sein de cette opposition doivent à l’image de François Hollande de constater leurs limites et céder le passage. Les forces démocratiques se doivent de trouver un projet politique autour d’un leader qui donne des gages afin de tourner la page du règne cinquantenaire des Gnassingbé et amorcer une transition permettant de faire toutes les réformes en vue de basculer définitivement le pays sur la voie de la démocratie.

En Gambie, comme en Tunisie, en Egypte, au Burkina et ailleurs, la diaspora a joué un grand rôle. Le changement politique au Togo nécessitera la contribution de tous les Togolais, y compris de la diaspora. Pas celle qui est prompte à sauter dans le premier avion pour venir se plier devant Faure Gnassingbé pour une place à la mangeoire. Mais celle qui, consciente et consciencieuse, reste déterminée et mutualise aussi ses moyens pour le même objectif. Autant l’opposition togolaise est quelquefois brouillonne, autant la diaspora togolaise est désordonnée, totalement incapable jusqu’ici de s’entendre sur un minimum de principes. Le simple fait que cette diaspora soit éparpillée dans des dizaines de micro-organisations sans réel impact en est une preuve. L’ « effort de guerre » doit être convergent et mobiliser tous les Togolais. Plus tôt les Togolais le feront, plus vite interviendra l’alternance politique paisible.

Mensah K.