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« KLATCHA A… » et les vaines tentatives d’embellissement d’un cadavre de crocodile.

Togo - Opinions
Ce qui s’est passé en Gambie conduit forcément les Togolais à s’interroger : pourquoi un tel scénario n’est-il pas possible chez nous ?

On nous a déjà dit que le Togo n’est pas le Burkina, le Togo n’est pas le Ghana, le Togo n’est pas le Bénin, le Togo n’est pas le Mali, le Togo n’est pas le Nigéria, le Togo n’est pas le Sénégal…Toute la litanie bien connue. C’est un argument de savant ! Il reste à nous dire aujourd’hui : le Togo n’est pas la Gambie.

D’accord, le Togo n’est pas…mais qu’est donc le Togo ? Que veut-on que le Togo soit ? Raide, immobile, « klatcha a… » comme un cadavre de crocodile qui ne bouge pas depuis plus d’un demi-siècle ?

Qu’ont donc les Togolais de si divinement exceptionnel ? De si exceptionnellement légendaire ? De si légendairement merveilleux ? De si merveilleusement exaltant ?...Une autre litanie pas très éloignée de nos vieux chants et slogans d’animation ! L’héritage « spirituel de Klatcha a…», profondément ancré dans nos mœurs politiques. Les tentatives d’embellissement ont commencé par là. C’est dans l’esprit que cela se passe ! La messe est dite !

J’avais écrit, il y a quelque temps, que c’est de la réflexion faite par un paysan que je suis parti pour trouver la manière juste de nommer le système Eyadema, symbolisé par la statue d’Eyadema érigée sur l’esplanade de la maison du RPT, aujourd’hui « Palais des Congrès ». D’un doigt levé dans le vague, il nous indiquait une direction. Et mort à ceux qui ne voudraient pas suivre cette direction-là !

Ce n’est pas la statue qui m’intéresse, car dans le fond, elle n’a vraiment servi à rien. Sinon à tuer, massacrer, détruire.

Tenez, les autorités de notre pays qui, en leur temps, avaient érigé le Monument aujourd’hui dédié aux Morts de l’Indépendance, au moment où ils posaient cet acte, avaient eu l’intention d’en faire le symbole de notre autonomie interne. Nous n’avons pas à émettre un jugement de valeur sur cette intention. On peut être pour ou contre la célébration de l’autonomie, comme une étape marquante dans l’histoire d’un pays( c’était l’argument de ces autorités-là), alors que dans son immense majorité, le peuple togolais gémissait, soupirait après l’indépendance totale. Une fois l’autonomie interne dépassée et l’indépendance proclamée, ce monument fut désormais voué aux martyrs de l’Indépendance. Mais, à quoi va servir la statue parfaitement ressemblante d’Eyadema, je veux dire « Klatcha a… » quand le peuple togolais aura balayé le système Eyadema ? À moins de penser qu’un cadavre pourrait avoir une fin autre que celle de pourrir. Sinon de tout mettre en œuvre pour maintenir le cadavre en place, y compris crimes, violence, massacres encore, massacres toujours ! Assassiner si possible l’Histoire et l’avenir pour que jamais personne ne découvre le cadavre de crocodile ! « C’est intelligent ça ? » demanderait Yévi dans Les Aventures de Yévi au Pays des Monstres (saz, 1987).

Pourquoi la démolition de la statue d’Eyadema sur l’esplanade du RPT n’a-t-elle pas été suivie de l’effet que le peuple togolais en attendait ? Pourquoi ce renversement de la statue n’a-t-il pas mis fin au règne de « Klatcha a… » ? Ce n’est pas seulement parce que le cadavre, étant celui d’une bête féroce, terrible, gueule béante comme pour tout engloutir, continuait de faire peur, surtout à ceux qui ne savaient pas que cette Bête était morte. Mais il y a beaucoup d’autres raisons :

1° Certains, parmi nos compatriotes qui prétendaient la combattre, qui se bagarraient, se bousculaient même pour prendre la tête de la lutte pour l’abattre, secrètement, ne pensaient qu’à une chose que j’ai nommée dans La Tortue qui chante( saz, 1987), « la viande ! ». Le plus gros morceau de viande, sinon toute la viande du crocodile abattu. Or, ces compatriotes se sont aperçus que cette viande-là, ils ne pourront pas l’avoir. Mais viande, c’est viande ! Pour certains. Vous voulez de la viande ? En voilà ! Dans la bouche, dans les narines, dans les poches, dans la petite culotte ! Qu’elle soit celle, provenant du cadavre découpé du crocodile ou celle de toute autre bête ou bestiole, pourvu qu’il y ait viande dans leur marmite et ils sont satisfaits, heureux. Or, dans notre pays régi par le clan tout puissant du cadavre, ce clan a tout intérêt à redresser le cadavre, à le maintenir debout, à l’embellir par tous les moyens possibles et à toujours nous faire croire qu’il est vivant …la preuve : la statue démolie nous est cachée, alors qu’on en a fait ériger une autre qu’on nous a installée à un endroit où elle serait à l’abri de toute atteinte de la population qui, dans sa révolte, avait démoli la première. Pour éviter de faire subir à la deuxième le sort de la première.
J’avais dit que cet acte-là ne me paraissait pas intelligent de la part d’un pouvoir qui prétend panser les plaies, réconcilier les citoyens, instaurer la paix. Ah, oui ! J’oubliais que chacun a sa petite compréhension de ce qu’est l’intelligence. Il y a l’intelligence du crabe dont la nature est de marcher à reculons, de retourner aux vieilles méthodes, de ressasser et de marteler les vieux discours mensongers d’union, de paix, de réconciliation,

d’autoglorification… sous le prétexte d’avancer ; de replonger dans la vieille politique de ceux qui se voulaient « présidents-à-vie », prêts à massacrer leurs populations pour l’être : Bokassa, Eyadema, Mobutu, Sékou Touré et d’autres… Au total, Bodémakutu ! Je l’ai dit ailleurs encore, il n’y a pas très longtemps (voir mon article-poème intitulé Démocratie de crabe qui concerne la situation en Côte d’Ivoire, mais concerne aussi celles qui prévalent au Togo et dans d’autres pays africains). Démocratie de ceux qui menacent de leurs pinces grimaçantes, érigées, quand les peuples refusent de les proclamer princes. Il y a même l’intelligence du cadavre ! Évidemment, je ne parle pas d’un individu, mais d’un système. Ai-je besoin de citer les divers revêtements dont ils ont cherché à couvrir le cadavre ? APG et autres accords politiques, Cadres Permanents de dialogue, « ancien » et « rénové », Institutions soi-disant démocratiques, CVJR, HCRUN…Et par-dessus tout : Votes ! Votez ! Revotez, tant que vous voulez ! Pourvu que « Klatcha a» reste en place.

Et le beau cadavre de crocodile ainsi revêtu, exposé au soleil, c’est-à-dire à la face du monde, brille, scintille, éblouit qui veut être ébloui. Et des hommes et des femmes, venus d’ici ou de là, pour la viande, sont prêts à continuer à le faire briller ! Éclats ! De quel droit dites-vous que ce sont de faux éclats ?

Du coup, ceux de nos compatriotes pour qui la viande n’est pas la préoccupation première, mais qui ont compris ou qui comprendront un jour que d’une manière ou d’une autre ils s’étaient trompés ou avaient été trompés, croyant sincèrement qu’il y avait encore de la vie dans le cadavre de crocodile et avaient travaillé pour l’embellir, ont fait une œuvre vaine. Alors, si donc ils ont compris, vont-ils désormais chercher à aider le peuple à se débarrasser du cadavre de crocodile ?

2° La deuxième raison est qu’un cadavre est insensible : à ceux qui l’appellent à la raison, à ceux qui lui parlent sur tous les tons, qui crient leur douleur, leur soif et leur faim de toutes sortes…à ceux qui le supplient de se tourner vers eux, ceux qui l’invectivent, comme à ceux qui tentent de le piquer d’une manière ou d’une autre. Pour être plus concret, que croyez-vous que cela lui fasse de lui demander des réformes ? Et le cadavre s’enfle, s’enfle, s’alourdit. Que croyez-vous que cela lui fasse de vous entendre lui dire qu’il pourrit, qu’il pue et que sa pestilence vous étouffe, vous empêche de respirer, empeste l’atmosphère, vous empoisonne l’existence ?
Le cri sournois, de ceux qui, avides, réclament encore de la viande, se bousculent pour recevoir leurs morceaux, cri tumultueux qui ne trompe pas, quand bien même ceux qui le poussent se cachent, ce cri déjà envahissant, ne fait que s’amplifier. Et il couvre tout : surtout vos voix quand vous votez ! Le bruit de vos pas quand vous marchez, toute une journée, toute une semaine, tout un mois, toute une année…cinq ans, dix ans, quinze ans…même cinquante ! …Vous votez, vous perdez, forcément, (gagner ou perdre, sont synonymes pour un cadavre) vous réclamez, puis marchez. Tout cela en vain, parce que vous avez sur votre chemin un cadavre de crocodile, insensible.

3° La troisième raison ? Eh bien, c’est qu’à force de vivre avec le cadavre, près du cadavre, d’adopter les couleurs, la peau du cadavre, de s’en accommoder…beaucoup de nos compatriotes s’y habituent, y prennent goût même et lentement risquent de se métamorphoser en cadavres de crocodiles.

« Klatcha a… », le cadavre est toujours là !

Mais, notre grand problème n’est-ce pas qu’il y a toujours, dans notre pays et hors de notre pays, des gens qui sont prêts à embellir le cadavre ?

A moins de dégager le cadavre…

Sénouvo Agbota ZINSOU