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Dossier/Gouvernance maritime : Alfa Lebgaza et Essotina Latta, les deux visages des réseaux mafieux qui contrôlent la mer au Togo

Togo - Societe
La loi portant code de la marine marchande adopté en juillet dernier par l’Assemblée nationale togolaise et la Charte de Lomé signée lors du sommet extraordinaire de l’Union africaine sur la sécurité et la sûreté maritimes et le développement doivent induire des changements de comportements dans la gouvernance maritime au Togo. Il faut démanteler les réseaux obscurs qui font la loi dans les eaux togolaises et qui s’enrichit impunément. Et les deux visages de cette mafia sont Alfa Lebgaza, Directeur des Affaires maritimes et Kokou Essotina Latta surnommé « Monsieur tout de la mer ».
« La piraterie est institutionnelle au Togo. On sait que le système pille le pays et que le régime est affairiste. Là aussi, il faut arrêter de se raconter des histoires. C’est comme si l’on organisait une conférence contre le trafic de drogue, avec pour principal invité Pablo Escobar », s’était gaussé Laurent Bigot, ancien sous-secrétaire chargé de l’Afrique de l’Ouest à l’Elysée au Quai d’Orsay, à l’annonce du sommet sur la sécurité maritime à Lomé. Aujourd’hui, il est question, après l’adoption du nouveau code la marine marchande et de la Charte, de faire comprendre aux sceptiques qu’il existe une volonté manifeste de changer les choses au Togo. L’Etat doit oser et nettoyer les écuries d’Augias. Mais pour l’heure, les réseaux mafieux qui se sont développés autour et dans les eaux togolaises résistent, quitte à légaliser l’illégalité pour continuer à piller le pays. Placements et formation des marins, sécurisation des navires, achats de bateaux, trafics de tous genres … ils sont partout. Une farandole conduite par le Directeur des Affaires maritimes et Kokou Essotina Latta.

Placement des marins

Directeur des Affaires maritimes (DAM) depuis plusieurs années, Alfa Lebgaza joue un rôle central dans la gouvernance maritime. Il doit préserver les intérêts de l’Etat et protéger les gens de mer qui sont recrutés pour le compte des navires. « L’autorité maritime compétente supervise et contrôle étroitement tous les services de recrutement et de placement des gens de mer opérant sur le territoire national. Elle ne délivre ou ne renouvelle la licence, l’agrément ou toute autre forme d’habilitation dont un tel service privé est détenteur pour opérer sur ce territoire que si elle a pu vérifier que le service de recrutement et de placement concerné remplit les conditions prévues par le présent code », stipule l’article 229 du Code la marine marchande. Des dispositions complétées par l’article suivant : « L’autorité maritime compétente veille à ce qu’il existe des mécanismes et procédures appropriés, associant, comme il convient, des représentants des armateurs et des gens de mer, pour connaître, le cas échéant, des plaintes relatives aux activités des services de recrutement et de placement des gens de mer ».

Mais dans les faits, il n’en est rien du tout. Cette mission de supervision et de contrôle est mise en danger par le DAM qui crée une société de recrutement et de placement des gens de mer. « Elle a pour nom Adonaï Shipping et se trouve à Djidjolé. Pas d’enseigne pour attirer l’attention des gens. Avec cette société, il devient juge et partie et par conséquent, détourne les intérêts de l’Etat », avions-nous rapporté dans l’une de nos parutions (Liberté N°2285 du 27 septembre 2016). Au lieu de rectifier le tir et de se conformer aux nouvelles dispositions, Alfa Lebgaza est passé à la vitesse supérieure. Il a délocalisé la société dans le quartier Agbalépédogan, derrière la Pharmacie La Nation et pris soin, cette fois-ci, de la sortir de la clandestinité. Comme quoi le chien aboie la caravane passe. « M. Lebgaza a des soutiens à tous les niveaux de l’Etat : des ministres jusqu’aux hauts gradés. Il protège beaucoup d’intérêts et c’est pourquoi il n’est jamais inquiété. Lui qui, au nom de l’Etat, est chargé de contrôler les services de recrutement et de placement des gens de mer, est devenu propriétaire de société de placement. Il s’est donné l’agrément et se supervise lui-même », explique un ancien officier de la marine marchande.

Le DAM s’enrichissant déjà avec sa société Adonaï Shipping - il possède aussi un bateau (Agla Star), n’a que faire des conditions de vie et de travail des gens de mer. Il n’existe pas de salaires règlementés dans le secteur et les armateurs payent aux marins 200 dollars (100 000 FCFA). Des rémunérations insignifiantes par rapport aux salaires des marins des autres pays de la région. « Nous ne payons que ce qu’on nous a demandé. Les autorités maritimes togolaises trouvent que les 100 000 F sont suffisants pour les marins et ne font rien pour améliorer leur situation. Elles préfèrent nous harceler pour des versements dont nous ignorons la destination », nous apprend un cadre d’une société étrangère de placement.

Formation des gens de mer, une autre aubaine

Un autre domaine dans lequel la mafia entend prospérer, c’est la formation des gens de mer. Pendant longtemps, certains marins togolais faisaient des prêts pour aller se former à Régional Maritime University à Accra, une branche de World Maritime University à Malmö en Suède. Cette école appartient aux pays suivants : Cameroun, Gambie, Ghana, Liberia et Sierra Leone. D’autres par contre se font délivrer par le DAM des certificats de la Convention STCW sans formation. Pour cette 2ème catégorie, il se pose un problème de pratiques et de maîtrise des travaux en mer. Ce qui fait que parfois des armateurs occidentaux préfèrent les Ghanéens aux Togolais. Et la nature ayant horreur du vide, les « seigneurs des eaux togolaises » ont décidé de créer une école privée. Il s’agit de l’Ecole maritime du Togo (EMARITO) dont le promoteur n’est autre que Kokou Essotina Latta, « Monsieur tout de la mer ».

« L’Ecole Maritime du Togo (EMARITO) est précisément en ce sens une offre privée de formation spécialisée qui veut répondre à ces demandes, en s’inscrivant notamment dans la vision du Président de la République son Excellence Faure Essozimna Gnassingbé qui n’a cessé de ménager des efforts en faveur d’une refondation par l’Etat de sa gouvernance maritime. Se situant dans le cadre des recommandations générales du Haut Conseil pour la Mer, cette école permettra en effet au secteur maritime togolais de se professionnaliser davantage en améliorant son rendement en matière de formation, et d’offrir des opportunités certaines d’emplois dans le secteur portuaire notamment aux jeunes togolais qui auront été formés sur place », explique Kokou Essotina Latta sur le site Internet de l’école. Avant d’ajouter : « S’inscrivant dans la vision maritime du chef de l’Etat pour notre pays qui est de promouvoir une économie bleue forte et compétitive à travers des structures crédibles et performantes, et eu égard au grand projet gouvernemental d’extension du Port Autonome de Lomé, il est apparu nécessaire aux acteurs privés d’interagir pour consolider les actions de l’Etat, à travers la création d’une école nationale de formation aux métiers de la mer ». Est-ce à dire que le chef de l’Etat a donné son accord pour la création de cette école ? A-t-il aussi des parts dans cette institution de formation ? Si oui à combien peut-on les évaluer ?

De toutes les manières, le DAM est, de son côté, prêt pour la promotion de cette école, peut-être de leur école. La semaine dernière par exemple, il a tenu une réunion avec les gens de mer pour insister sur leur recyclage et leur formation à EMARITO. Mais la question qui revient comme un leitmotiv, c’est de savoir si ceux qui seront sortis d’EMARITO auront aux yeux des armateurs occidentaux la même considération que ceux formés par à Accra.

Pourquoi « Monsieur tout de la mer » ?

Le directeur d’EMARITO, Kossi Essotina Latta, est un seigneur de la mer au Togo. Il est au cœur d’un grand réseau de la minorité qui accapare les richesses du pays. C’est lui qui a le contrat de la sécurisation par des éléments des Forces armées togolaises (FAT) de tous les navires se trouvant dans les eaux togolaises. Une activité qu’il mène par le truchement de sa société baptisée « Integrale sécurité des Personnes (ISP) ». Il emploie des militaires et paie directement à l’Etat-major. Une affaire juteuse pour les deux parties. Pendant ce temps, les militaires qui vont sécuriser les navires à leur risque et péril, n’ont rien du tout. « Selon certains sources au Port autonome de Lomé, la sécurité en deux jours pour un seul navire, et c’est selon la taille, peut rapporter 6000 dollars, soit environ 3 millions de francs CFA. C’est donc pour avoir refusé ou traîné les pieds à verser la part qui revient aux officiers supérieurs qui lui fournissent les soldats que le sieur Latta s’est retrouvé dans les mains du SRI. Selon nos investigations, il avait déjà versé à ces officiers au début de l’année 400 millions F CFA, mais il manquait encore 700 millions pour que le compte soit bon », avait écrit en septembre 2015 notre confrère « L’Alternative » quand le fils du Colonel Gnama-Latta avait passé quelques jours dans les locaux du SRI.

En outre, le surnom de « Monsieur tout de la mer » a tout son sens quand on scrute les partenaires de la fameuse Ecole maritime du Togo. On y voit par exemple Baraka Shipping & Logistics (BSL) qui appartient à Mouh’sinatou Titikpina, une fille du général à la retraite, et qui a aussi pour partenaire la NSET (Nouvelle Synergie de l’Elite Togolaise), une association de Kossi Essotina Latta qui fait un peu de tout : mode, musique, danse, humanitaire, politique (il avait même battu campagne avec cette association pour Faure Gnassingbé lors de la présidentielle d’avril de 2015). En rappel, Baraka Shipping & Logistics loge dans le même immeuble que la NSET. Un autre détail, Kossi Essotina Latta et Mouh’sinatou Titikpina sont des « amis serrés » dans tous les sens et cette dernière serait même la directrice adjointe d’ISP Sécurité. Est-ce ce qui avait rendu possible à une époque donnée le deal avec la haute hiérarchie militaire ? A chacun d’y répondre.

L’autre partenaire d’EMARITO est KEL INVEST GROUP (KEL-IG), un fourre-tout également piloté par Kossi Essotina Latta. Il est créé en 2014 comme l’indique l’annonce légale (Lire document en encadré). Sur ce consortium de huit sociétés, quatre sont représentées par Latta : ISP SECURITE, GUARDIAN GLOBAL RESOURCES TOGO LTD (GGR TOGO), Société ISE SARL, ACUITAS TOGO. On y retrouve aussi Mouh’sinatou Titikpina et son Baraka Shipping & Logistics. Toutes ces sociétés aux dénominations bizarres excellent dans les trafics de tous genres. Ce qui constitue de véritables manques à gagner pour l’Etat.

De fait, l’assainissement du secteur maritime s’impose. Le chef de l’Etat doit prendre ses responsabilités et rétablir l’autorité de l’Etat. A moins que la chienlit profite à tout le monde … Affaire à suivre.

Ben Late