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Enquête/Esclavage des temps modernes dans les pays du Golfe : Agents de placement escrocs, patrons véreux, des Togolais maltraités en Arabie Saoudite

Togo - Societe
Partis pour des travaux domestiques, plusieurs Togolais combattent pour les différentes factions en Syrie

Des réseaux organisés vendent un peu partout sur le territoire togolais un hypothétique rêve saoudien. Leur cible : les hommes et les femmes des milieux défavorisés. Mais une fois en Arabie Saoudite, le rêve tourne au cauchemar. Ces hommes et femmes sont transformés en bêtes de somme, obligés de travailler jour et nuit pour des patrons sans foi ni loi. Même certains hommes finissent par se retrouver dans le bourbier syrien pour une guerre qui n’est pas la leur. « J’ai vu des choses incroyables dans ce pays et je ne peux pas conseiller aux gens d’y aller. On m’a dit qu’il y avait de l’argent là-bas. Mais je suis plutôt allé faire la guerre », témoigne un rescapé.
Au départ, des escrocs et du sourire

A la recherche du bien-être qu’ils peinent à avoir dans leur pays pillé par la minorité gouvernante et des mafieux étrangers, plusieurs jeunes togolais ne résistent pas à l’appât des agences de placement qui leur promettent l’Eldorado en Arabie Saoudite. « Ce sont des agences qui sont bien organisées et qui ont des complices à tous les niveaux. Le plus souvent, elles s’intéressent aux milieux défavorisés où les familles sont promptes à mettre la main à la poche afin que le rêve devienne réalité », raconte Ousmane qui ne s’est arrêté qu’à l’étape des tests médicaux. Si à l’époque, il avait maudit cette malheureuse maladie qui l’avait empêché d’aller au bout de son projet, aujourd’hui, il affirme avec alacrité qu’il a été sauvé par Allah qui a rendu concluantes ses analyses médicales. « Dieu est au contrôle », soupire-t-il.

En effet, les agences de placement sont liées à des réseaux en Arabie Saoudite qui expriment leurs besoins. Par exemple, ceux-ci peuvent demander qu’on leur envoie cinq femmes et cinq hommes. L’agent qui a déjà des candidats au départ, actualise sa basse de données. Il réunit le nombre de postulants demandé et prend leur passeport. Direction Accra, loin des yeux des services d’immigration et de douane du Togo. « Tout se fait dans la discrétion absolue. Pour passer la frontière, les voyageurs se font simples. Il est déconseillé de porter ou de prendre quelque chose qui puisse éveiller des soupçons. Parfois, lorsque les policiers leur demandent où ils vont, ils répondent qu’ils se rendent à Denu ou à Aflao pour voir un membre de leur famille. Et à la douane de Sogakopé, c’est l’agent qui paie les douaniers ghanéens avec lesquels il entretient de bonnes relations. Comme chacun a ses intérêts, ils laissent passer », décrit Essi, rentrée à Lomé après avoir passé un an à Djeddah.

Le premier voyage à Accra est consacré aux tests médicaux. Pour l’aller-retour, l’agent prend chez chaque voyageur 50 000 FCFA pour le transport et la restauration, en plus des 35 000 pour les frais d’analyse. Généralement, les candidats et l’agent quittent Lomé vers 19h. Une fois dans la capitale ghanéenne, ils sont appelés à passer la nuit dans une mosquée du quartier Nima. « Nous étions logés sur la dalle d’une mosquée. Bien que la restauration soit prévue, chacun de nous s’est contenté d’« Ayimolou » (mélange de haricot et de riz). Il nous a été interdit d’approcher nos amis ou nos familles qui vivent à Accra. Nous nous sommes couchés directement sur la dalle où un bataillon de moustiques berçait notre sommeil. Mais l’agent n’a pas dormi au même endroit que nous et n’est réapparu qu’au petit matin », se rappelle Ousmane.

Ensuite, ils sont dirigés vers Medlab Clinic sise à PMB 31 Kanda. Une clinique bien entretenue et confortable. « Si quelqu’un est souffrant et arrive au niveau du portail, il sera guéri à moitié en voyant seulement la bâtisse et la propreté », se souvient Essi. A Medlab Clinic, les hommes sont soumis aux tests du VIH-SIDA, d’hépatite B et de syphilis alors que les femmes, en dehors des deux premières maladies, subissent des tests de grossesse. « Si on trouve une petite trace d’une de ces maladies chez une personne, elle ne voyage plus, poursuit Essi. A notre temps, il avait décelé chez une femme un début d’hépatite B et elle avait pleuré quand on lui avait dit qu’elle ne pouvait plus voyager. Elle m’avait fait de la peine ».

Soit dit en passant, les analyses coûtent près de 25 000 FCFA. Mais l’agent prend 35 000 et réalise donc une économie de 10 000. Il en est de même pour les frais de transport et de restauration sur lesquels il fait aussi beaucoup d’économies.

Après les tests, les candidats au départ ont 24h pour chercher les résultats. Mais ils rentrent directement au pays et ce sont les agents qui vont les récupérer et les communiquent aux postulants une fois de retour à Lomé. Celles et ceux qui sont sains, sont autorisés à poursuivre le processus d’obtention de visa. Chaque candidat est tenu de débourser entre 500 et 700 000 FCFA. Pour convaincre les voyageurs et leur famille, les agences de placement font savoir que la somme exigée couvre les frais de demande de visa et du billet. Ensuite, ils se présentent au Consulat d’Arabie Saoudite à Accra munis du passeport, d’une photo d’identité, des résultats d’analyses, de la fiche de la personne à prévenir (généralement on met quelqu’un de l’agence de placement), d’un dossier de prise de rendez-vous sur le site du consulat, d’une copie de contrat de travail signé par les deux parties et certifié par le ministère saoudien des Affaires étrangères, etc.

En rappel, le contrat de travail est en arabe mais traduit en anglais. Un contrat souvent signé par les agences de placement qui excellent dans l’imitation des signatures. Certains voyageurs ne le lisent pas, même si son contenu fait rêver – 900 Rial Saoudiens, environ 140 000 FCFA -. Et pour cause, c’est juste pour avoir le visa. Puisqu’en Arabie Saoudite un autre contrat déshumanisant les attend.

Au consulat saoudien (VFS Tasheel International, Plot. N°29, House N°9, Kakramadu road, East Cantonments, Accra), tout se passe comme une lettre à la poste. Les candidats à la pérégrination saoudienne reçoivent facilement leur visa, car tout a été réglé par leurs futurs patrons parmi lesquels des princes depuis l’Arabie Saoudite. Dans l’ordre normal des choses, les agences de placement ne devront pas prendre les 500 ou 700 000 FCFA en plus des 35 000 représentant les frais d’analyses puisque les réseaux saoudiens ont déjà pris en charge le billet ainsi que toutes les formalités de chaque candidat en envoyant 1 250 000 FCFA.

Ici aussi, c’est à Lomé que l’agent remet aux « heureux élus » leur passeport contenant le visa. Ainsi, tout le monde est satisfait et certaines familles n’hésitent pas à gratifier de moult cadeaux les « dieux de visa ». « Comme les agents disent que l’achat des billets est compris dans les 500 ou 700 000 F, ils font semblant d’attendre deux ou trois jours pour réapparaître avec un billet électronique émis depuis l’Arabie Saoudite », confie Fatoumata depuis Ryad.

Enfin arrive le jour fatidique. Famille, amis, voisins, tout le monde est content. Leur fille ou fils va prendre l’avion et commencer à envoyer de l’argent au pays. On commence à mijoter de grands projets. Les voyageurs, quant à eux, sont impatients de rejoindre leur pays de bonheur. Mais une fois qu’ils atterrissent à Ryad, ils sont récupérés par leur patron, c’est-à-dire les réseaux qui envoient les 1 250 000 FCFA pour les « acheter ». Et c’est le début de l’enfer.

Selon plusieurs témoignages, les agents de placement sont très actifs dans la corruption et mouillent tous ceux qui se retrouvent sur leur chemin. Ils ont beaucoup de complices au sein des douanes et des services d’immigration togolais et ghanéens. « Le jour où nous devions prendre notre vol à Kotoka Airport, l’agent nous a conduits jusqu’au pied de l’avion pour s’assurer que nous étions montés à bord », indique Fatoumata. C’est donc le dernier contact avec ces fameux agents de placement.

Misère des filles à tout faire

Depuis juin dernier a éclaté l’affaire Mbayang Diop, cette Sénégalaise de 22 ans qui risque la peine de mort en Arabie Saoudite pour avoir tué sa patronne. Une affaire qui suscite de la commisération de par le monde entier. « Mbayang, comme de nombreuses Africaines, est tombée dans le piège de la publicité mensongère d’une agence de recrutement qui lui a trouvé un employeur en Arabie saoudite, précisément dans la ville de Dammam. Après trois semaines, selon la version donnée par Bara Gaye (maire de Yeumbeul Sud d’où est originaire la jeune fille), elle n’en pouvait plus d’être traitée comme une esclave et finit par se bagarrer avec la femme de son employeur. Une bagarre qui vire au drame puisque sa patronne est décédée suite à des blessures par arme blanche », rapporte Seneweb.com.

Ce meurtre qui a conduit Mbayang Diop en prison en attendant son jugement, est un acte de désespoir. Que les conditions de vie et de travail sont exécrables ! Bien que le gouvernement saoudien ait adopté en 2014 de nouvelles règles pour protéger les domestiques, leur accordant un jour de congé hebdomadaire et garantissant le paiement de leur salaire, rien n’a changé. Dès que les Togolaises et les autres Africaines atterrissent à Ryad, elles sont récupérées par leurs patrons qui confisquent leur passeport et téléphone portable. Ils leur font signer un nouveau contrat en arabe et les informent qu’elles devront restituer les 1 250 000 FCFA qu’ils ont déboursé et qu’ont encaissé les agences de placement à Lomé. Ils les répartissent dans leur famille d’accueil et passent chaque fin du mois retirer le salaire jusqu’à ce que la dette soit épurée. Chose curieuse, les salaires sont loin, très loin de ceux qui sont prévus dans le contrat au point de départ. Entre 50 et 80 000 FCFA. « On peut estimer que des travailleurs domestiques en situation de travail forcé reçoivent en moyenne 40% du salaire qu’ils devraient recevoir », explique Hans Von Rohland, porte-parole de l’Organisation international de travail (OIT). Et d’ajouter que les ménages privés qui emploient ces domestiques « économisent annuellement environ 8 milliards de dollars en ne payant pas ou pas assez leurs travailleurs ».

« Ici, on travaille sans relâche. Il n’y a pas de repos. Parfois, quand on se réveille le matin, on travaille jusqu’à 4 heures du petit matin du jour suivant. Moi, je suis payée à 60 000 FCFA. Nos patrons sont en train de nous tuer. Ils nous font circuler dans des maisons de leurs amis et autres pour travailler. Dans une maison, j’ai bossé pendant cinq mois. Au moment de payer mes salaires, les maisoniers ont menti à la police que j’avais frappé leur enfant. Et ce jour-là, la police m’avait bien tabassée. Avec leurs bottes, ils m’ont donné des coups de pieds dans l’abdomen et au bas ventre. Bien que je me torde de douleur, ils n’ont pas arrêté. Ils ont cogné ma tête violement contre un mur. Le sang coulait de mes narines et de ma bouche. Après, ils m’ont menottée et conduite au commissariat où j’ai été enfermée pendant au moins une heure. Ce n’est qu’après qu’un officier est venu tenter une conciliation entre mon patron et moi. A la fin, l’officier a dit à mon patron de m’acheter un billet avec mes salaires pour que je puisse rentrer au Togo. Mon patron a refusé cette proposition et a dit que je peux mourir en prison en Arabie Saoudite. Plus tard, j’ai été libérée et j’ai commencé il y a deux mois un autre travail dans une autre famille avec les mêmes souffrances », raconte Fatoumata qui, faute de moyens, ne pouvait pas rentrer au bercail.

La plupart des jeunes filles sont soumises à plusieurs travaux domestiques : entretien de la maison, cuisine, blanchisserie, garde des enfants et des personnes âgées. Elles n’ont pas droit au repos. D’ailleurs, leurs patrons aiment les voir travailler. S’il n’y a rien à faire, ils en inventent. « Nous ne représentons rien à leurs yeux, nous relate Sadia depuis Qatif. Là où je travaille, il y a trois autres jeunes filles en dehors de la femme. C’est moi qui lave tous leurs caleçons, même après leur menstruation. Mes patrons me trouvent toujours quelque chose à faire. Je lave des animaux. Il faut aussi veiller à ce que les poules ne soient pas sales. Raison invoquée, les enfants s’amusent avec les animaux. Quand ils font leurs besoins, ils ne les chassent pas et m’appellent à venir le faire ».

En dehors de ces nombreuses tâches domestiques, des filles sont transformées en de véritables objets sexuels. Certaines sont constamment violées alors que d’autres sont devenues des suppléantes des patronnes qui ne peuvent pas supporter la voracité sexuelle de leur époux. Celles-ci ont un préjugé selon lequel les femmes noires ne se fatiguent pas en matière de sexualité et forcent les domestiques à monter sur le ring pendant qu’elles dorment bonnement à côté. Par contre, si elles refusent de s’exécuter, elles reçoivent des coups de fouets de la part du couple. Parfois, certaines tombent enceintes et subissent des curetages. Ceci peut expliquer l’obligation de faire le test de dépistage avant l’obtention du visa.

En outre, les accusations fantaisistes sont l’une des stratégies trouvées par certains patrons pour ne pas payer les salaires et faire des domestiques des esclaves. Lamy qui est domestique dans une famille de neuf personnes à Buraydah relate le reste : « Lorsqu’une personne âgée est à l’agonie, on te demande de t’occuper d’elle. Mais il faut prier pour qu’elle ne meure pas. Dans le cas contraire, on te conduit à la police pour homicide. Une situation que j’ai vécue en 2014. J’ai passé trois mois en prison avant d’être libérée suite à des négociations que les policiers ont ouvertes avec mon patron. Pendant mon séjour carcéral, j’ai rencontré une Ghanéenne et une Mauritanienne qui ont été libérées et rapatriées grâce à l’intervention de leur consulat. Pour nous aider, ces policiers ont exigé de nous des rapports sexuels. Moi, j’ai repris le travail chez mes anciens patrons où j’ai travaillé six mois sans salaire. C’était l’une des conditions de ma libération ».

Malgré ces conditions draconiennes de travail qui leur sont imposées, les domestiques ne reçoivent pas des soins adéquats quand elles sont malades. A chacune de se débrouiller. Actuellement, Nadia qui travaille à Dammam, est très malade et c’est en larmes qu’elle s’est confiée au téléphone. Ce jour-là, si elle avait la possibilité de s’accrocher à notre voix pour se retrouver au Togo, elle le ferait : « Je souffre beaucoup. Je suis malade. Je ne peux pas me baisser pour faire la lessive. Je lave tout, même des murs. Je n’en peux plus. Mon salaire peut rester. Je vais chercher des moyens pour rentrer ». Mais comment ? Mystère.

Ce mépris pour la personne humaine a été aussi abordé en 2014 par l’AFP : « Comme des dizaines des milliers de Malgaches depuis une quinzaine d’années, Solange, 34 ans, avait quitté Madagascar pour travailler dans une famille. Elle est morte le 26 janvier, moins d’un an après son arrivée, d’un arrêt cardiaque sans aucune cause apparente selon le rapport médical saoudien qui cite « la volonté de Dieu ». Pourtant, elle avait lancé un appel de détresse un an avant sa mort ».

Des hommes entre travail domestique et guerre

« Je viens de passer 11 ans en Arabie Saoudite, plus précisément à Djeddah. Une femme m’a promis de m’y emmener contre 1 500 000 FCFA, mais je devrais verser 500 000 avant de quitter Lomé et payer le reste une fois arrivé en Arabie Saoudite. J’ai travaillé comme boutiquier la nuit et le jour, je lavais des véhicules. Nous dormions sous un pont, dans des bâches de camping. Le soleil était ardent le jour, et la nuit, le froid était glacial. Nous avons vécu dans des conditions précaires. Pour pouvoir économiser, il fallait faire confiance aux Ghanéens qui ont créé des institutions de microfinance clandestines et qui, souvent, disparaissent dans la nature, emportant tout. Nous avons passé les 11 printemps les plus durs de nos vies. Certains Arabes nous traitaient comme des animaux. Dépassé par les événements, j’ai fait la connaissance d’une bonne volonté qui, après avoir pris connaissance de mon calvaire, m’a aidé à rentrer au pays. Certaines femmes sont abusées sexuellement humiliées et parfois renvoyées de leur boulot lorsqu’elles tentent de revendiquer leurs droits », expose Ibrahim qui est rentré à Sokodé il y a quelques mois.

Les conditions de vie et de travail des hommes séduits par le rêve saoudien ne sont donc pas différentes de celles des filles. Pas de repos digne de ce nom. Pas de soin adéquat quand ils sont malades. En 2015, un Togolais souffrant d’asthme est tombé en syncope quand, en plein hiver, il essuyait des vitres dehors. Il n’avait reçu aucun soin et finira par exhaler son dernier soupir quelques minutes plus tard. Au cours de la même année, un natif de Sokodé qui est arrivé en Arabie Saoudite six mois après son mariage ici, n’a pas pu supporter l’enfer et s’est pendu.

Quelques mois après avoir travaillé dans les familles, certains hommes sont encore récupérés par leurs patrons qui les ont fait venir en Arabie Saoudite. Ceux-ci les envoient à Djeddah où ils retrouvent certains de leurs coreligionnaires avec lesquels ils ont pris le vol à Accra. Ils se parlent même en mina, mais ne savent pas le sort qui leur sera réservé. De Djeddah, ils sont convoyés dans le désert sous prétexte qu’ils vont être formés pour devenir des garde-de-corps de leurs patrons. « Mais c’est un canular, relève Hassane qui est rentré début août dernier. Dans le désert, nous avons été formés aux stratégies de guerre et à la manipulation des différents types d’armes. Musulmans et non musulmans sont endoctrinés. Après cette formation, nous avons été envoyés en Syrie, selon la demande des différentes factions. Chaque patron a des relations dans les différentes factions qui s’affrontent en Syrie : rebelles, Etat islamique et forces loyalistes de Bachar el-Assad. Ce qui faisait que nous nous battions entre nous, entre amis avec qui nous avons voyagé depuis Accra ». Des larmes coulent sur ses joues chétives. Nous l’avons rencontré à deux reprises et chaque fois qu’il se met à parler de son séjour saoudien et syrien, les larmes l’envahissent. « J’ai vu des choses incroyables dans ce pays et je ne peux pas conseiller aux gens d’y aller. On m’a dit qu’il y avait de l’argent là-bas. Mais je suis plutôt allé faire la guerre. Nous sommes nombreux à avoir fait le voyage de la Syrie, mais je ne sais pas si tout ce monde aura la vie sauve », poursuit-il.

La chance, Hassane en avait eu : « Si quelqu’un dit qu’Allah n’est pas vivant, il a menti. Allah est vivant. Il est parmi nous. Il m’a sauvé la vie ». Il a profité de la vigilance de ses chefs pour fuir et rallier la Turquie où il s’est déclaré sans papier. Appréhendé par la police turque, il a passé quelques semaines en prison avant d’être rapatrié dans un pays voisin. « Je suis rentré sans un sou. C’est l’organisation dans laquelle nous combattions, qui nous payait. C’est entre 500 et 700 euros. Mais nous étions obligés de cacher l’argent dans nos bottes et certains y mouraient avec leur argent », ajoute-t-il.

Pour la suite de l’histoire, Hassane s’est assuré que nous ne sommes pas en train de le filmer avec une camera cachée. Il se déshabille et nous montre des impacts de balles à l’épaule, dans le dos et sur sa cuisse gauche. « Sur le champ de bataille, nous prenions la drogue qu’on appelle captagon. Quand tu prends ça, tu vois l’homme comme un poussin sur lequel tu peux marcher. Ta force est décuplée. Tu peux prendre deux ou trois balles, mais tu es toujours débout pour tirer. Il fallait être sur le terrain pour mieux comprendre ce que je suis en train de vous raconter », déclare-t-il. A la question de savoir s’il a tué un ou des Togolais pendant les combats, il répond : « Je ne sais pas. Sous l’emprise de la drogue, tu ne sens rien ». Et les larmes coulent de nouveau.

En réalité, le captagon est considéré comme la drogue qui fait oublier la peur aux djihadistes. A en croire un haut cadre libanais cité par l’AFP, « Les pays du Golfe en sont les premiers consommateurs, spécialement l'Arabie saoudite à laquelle est destinée la majorité de la marchandise. Ils en consomment beaucoup car ils pensent que c'est un stimulant sexuel ». Et les combattants de tous bords en usent au front. « Ça donne la pêche, tu te mets à combattre sans te fatiguer. Tu marches droit devant toi. Tu ne connais plus la peur. Les combattants l'utilisent pour veiller, pour contrôler leurs nerfs … », explique un trafiquant dans ce reportage réalisé par la chaîne de télévision ARTE. Même son de cloche chez un officier de la brigade des stupéfiants de Homs qui s’est confié à Reuters : « On les frappait et ils ne ressentaient pas la douleur. La plupart d'entre eux rigolaient alors qu'on les bourrait de coups ».

De tout ce qui précède, le gouvernement togolais est-il au courant de l’existence de ces réseaux qui envoient des gens en Arabie Saoudite ? Nous répondons par l’affirmative en nous basant sur le communiqué du 9 juillet 2015 conjointement signé par les ministres des Affaires étrangères et de la Sécurité et de la Protection. « Il existerait des réseaux de trafic d’êtres humains, pudiquement appelés « agences de placement », à la tête desquels se trouveraient des Libanais et des Togolais. La même situation prévaut dans d’autres pays comme l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït, etc. », indique le communiqué. A-t-on ouvert une enquête pour démasquer ces trafiquants ? Non. A la cellule des Togolais de l’extérieur au ministère des Affaires étrangère où nous nous sommes rendus, on nous a fait savoir que le communiqué du 9 juillet 2015 qui était consacré à la situation des Togolais au Liban reste d’actualité. « Les dispositions qui ont été prises sont toujours d’actualité et concernent tous les pays du Golfe. Souvent, ce sont des négociations entre employeurs et employés. Nous ne sommes saisis que plus tard quand il y a des problèmes », explique une source. Mais par rapport aux Togolais qui sont envoyés en Syrie via l’Arabie Saoudite, ils affirment n’être au courant de rien et que c’est nous qui leur donnons cette information. La boucle est donc bouclée. Pendant ce temps, personne n’est au Consulat général du Togo en Arabie Saoudite pour décrocher nos nombreux appels téléphoniques. De même, nous n’avons reçu aucune réponse aux questions que nous avons envoyées par mail. Ainsi va le Togo émergent pour 2030 ! Mais le danger est là avec ces hommes qu’on transforme en « robots » en Syrie et qui, si Dieu leur prête vie, rentreront un jour au bercail.

Réalisée par Ben LATE (Liberté) et Lonlon KOFFI (Le Potentiel)