Vous etes sur la version ARCHIVES. Cliquez ici pour afficher la nouvelle version de iciLome.com
 6:49:41 AM Vendredi, 19 Avril 2024 | 
Actualité  |  Immobilier  |  Annonces classées  |  Forums  |  Annuaire  |  Videos  |  Photos 


Grand reportage : Tabligbo, la ville fantôme au cœur du scandale des « Panama papers »

Togo - Societe
S’il y a une ville togolaise qui est sous le feu des projecteurs ces derniers jours, c’est bien évidemment Tabligbo, qui abrite des usines comme Wacem, Fortia dont les dirigeants sont au cœur du scandale des Panama Papers, et Scan-Togo. Situé à 80 Km au Nord-est de Lomé, Tabligbo chef-lieu de la préfecture de Yoto, compte environ 17 mille habitants qui vivent essentiellement de l’agriculture même si les « jobs » dans les usines implantées dan la ville reste un gagne pain pour la majorité des ménages. Le constat au Togo est que l’extraction des ressources minières ne profite paradoxalement pas aux zones concernées et Tabligbo en est incontestablement la preuve. Une visite dans la localité a permis de découvrir une ville qui n’existe que de nom. Des infrastructures routières dans un état piteux, des salles de classe en pailles. Tabligbo est une ville polluée. La poussière est la « nourriture de base » des habitants de cette ville. Pourtant parler de centre de santé dans cette localité se révèle être un exercice compliqué. L’hôpital public de Tabligbo est devenu un champ de maïs, mieux un garage des matériels médicaux vétustes. La plupart des bâtiments administratifs sont délabrés même si un effort se fait ces derniers temps pour rénover quelques uns. Les rares endroits acceptables dans cette agglomération urbaine sont les cités où résident les Indiens et quelques cadres. Ils sont de petits princes et vivent en territoire conquis. Wacem et Fortia dont ces Indiens dirigent où ils brassent des milliards, constituent un véritable mouroir pour ceux qui y travaillent et un cauchemar pour la population en général. Malheureusement, Tabligbo ne reflète qu’une infime partie du désastre que vie la préfecture de Yoto. Les villages avoisinants vivent les mêmes situations, parfois pire. Oublié par l’Etat et délaissé par les sociétés industrielles, Tabligbo présente l’image d’un gros village, mieux un hameau mais construite sur une mine « de calcaire ».
Tabligbo, ville que dans les livres

Ont qualité de villes au Togo généralement les localités qui sont des chefs-lieux de préfectures. Dans les manuels scolaires, Tabligbo figure en bonne place dans les villes minières du Togo. Partant de ce principe, il est aisé d’affirmer que Tabligbo est une ville parmi tant d’autres. Mais la réalité sur le terrain contraste avec cette évidence. Pour rejoindre Tabligbo à partir de Lomé la capitale, deux principales routes s’offrent aux voyageurs ou aux visiteurs. Si la route qui passe par Tsévié, Tchekpo, Ahépé et d’autres petits villages est praticable jusqu’à l’entrée de la ville où elle est en réfection par la société GER qui ne termine jamais ses chantiers, celle de Lomé, Aného, Anfoin reste un chemin de croix. La ville se repère par rapport à l’épaisse fumée dégagée par les hauts fourneaux des usines minières qui y sont installées. Au centre de la ville se trouve un rond point qui reflète l’image de la ville tout entière. Un monument peint par la poussière et qui n’est pas digne de représenter le symbole d’une « cité minière ».

La majorité de la population de Tabligbo est composée de jeunes dont la plupart continuent leur cursus scolaire. Tabligbo dispose d’un seul lycée public, des collèges et plusieurs écoles primaires. Il est triste de constater que dans une ville qui regorge d’énormes ressources minières, il se trouve encore des écoles construites en pailles. L’EPP Talé, le CEG Tabligbo Ville 2 en sont des exemples parmi tant d’autres sans parler de celles qu’on retrouve dans les villages reculés. Tabligbo est connue pour ses industries de par le monde et quand on parle d’industrie, il faut forcement des techniciens, des ingénieurs, bref de la main d’œuvre qualifiée pour faire fonctionner les machines. Mais il est aberrant de se rendre compte que cette ville ne dispose pas d’écoles industrielles pouvant former les jeunes futurs cadres de ces usines. Pire la ville de Tabligbo n’a pas de bibliothèque publique. Celle qui existait avant sa fermeture était logée dans les locaux de l’Agence Togolaise de Presse (ATOP) qui elle-même se trouve dans une brousse. « La mairie de Tabligbo est incapable de trouver un local acceptable devant abriter une bibliothèque alors qu’il y a une coopération franco-togolaise qui voulait doter la bibliothèque de milliers de documents. Ce projet est resté lettre morte depuis 2013 », déplore Franck un jeune du milieu.

A Tabligbo, on produit du ciment mais la ville manque de routes. Celles qui existent sont dans un état exécrable. Les voies qui relient des quartiers entre eux sont difficilement praticables et en période pluvieuse, c’est la catastrophe. En dehors du réseau routier peu développé, les habitants de Tabligbo manquent cruellement d’eau potable. Ce sont les vieilles installations de la Togolaise des Eaux TdE qui desservent quelques ménages, et le reste de la population se débrouille avec l’eau de puits et de forage souvent pullulée. La misère se lie sur les visages. Une ville morte où rien ne bouge.

Le grand marché de Tabligbo qui s’anime tous les mercredis, est un véritable scandale. Il est composé de centaines de hangars fait en paille même s’il existe quelques bâtiments construits récemment. Les femmes de la localité se plaignent régulièrement de l’Etat moyenâgeux du marché. En période de pluie, elles y vivent l’enfer même si le marché électrifié avec des lampadaires grâce aux panneaux solaires.

Les populations autochtones qui vivent de l’agriculture se sont vu spolier leurs terres en faveur des usines. Le drame est que cette exploitation ne profite guère aux fils et filles de cette localité qui vivent dans une paupérisation avancée. Confrontés au désespoir des conditions d’existence dans la zone et à la pression exercée par ces populations sur les terres agricoles qui ont fini par être improductives, la plupart des bras valides ont afflué vers Lomé. Ceux qui restent malgré tout, n’ont que le choix entre la servitude dans les usines détenues par les Indiens ou la conduite de taxi-moto, qui est le métier en vogue dans la localité.

Les Indiens : des roitelets à Tabligbo, mieux des esclavagistes modernes

Les Indiens font la pluie et le beau temps à Tabligbo. Ils sont des seigneurs dans leur usine et de petits rois dans la ville. Ils sont aimés par une minorité qui est leur collabo et exécrés par la majorité des populations. Ils vivent de façon luxueuse dans les cités. Ils sont sans cœur et exploitent à volonté les travailleurs. De CIMAO (Ciment d’Afrique de l’Ouest) devenu WACEM (West African Cement) à Fortia, ces expatriés ne respectent aucune règle humaine. Ils bafouent allègrement les droits des travailleurs à qui ils payent des perdiems miséreux. « Ces Indiens nous traitent comme des moins que rien, pourtant nous sommes ceux qui font le gros du travail. Nous sommes exposés quotidiennement à la poussière, pire nous sommes à la merci des machines et engins de travail. Nous prenons des risques énormes en faisant ce boulot. Nous n’avons même pas de minium de droit. Pas de casques, de bottes ni de gants. Nous ne disposons pas de conventions collectives interprofessionnelles. Pas de congés ni de retraites garanties. Le salaire, pas la peine d’en parler », s’indigne un responsable syndical de Wacem. Ce dernier n’a pas manqué de rappeler les malheureux évènements de 2015 où cinq de leurs camarades et un Indien ont perdu la vie suite à l’explosion d’une citerne à fuel. « Ce drame nous a permis de voir le vrai visage de ces Indiens. Ils sont sans pitié et font ce qui leur plaît avec la bénédiction des autorités du pays. Nous avons mené une grève de neuf mois pour exiger des conditions plus dignes. La réponse, plus de 700 personnes ont été arbitrairement renvoyées. C’est cruel. Ils sont l’incarnation de la méchanceté sur terre. Parmi les licenciés, il y a ceux qui ont perdu leur femme et leurs enfants. D’autres qui ont de la chance sont devenus des conducteurs de taxi-moto », ajoute t-il.

Les Indiens ont juste une chose en commun avec les autochtones, c’est qu’ils pratiquent les mêmes routes exécrables sauf qu’eux les empruntent dans de grosses voitures. En dehors de quelques salles de classes offertes à la ville, les dividendes de leurs usines ne profitent guère à la préfecture. Ici, les quelque ristournes versées à la préfecture sont détournées par les vieux véreux de la Délégation spéciale et leurs complices dont certains sont basés à Lomé.

Un désastre sanitaire et écologique, une ville sinistrée

Une grande ville comme Tabligbo ne dispose pas d’un centre de santé de qualité. L’hôpital de Tabligbo est dans un état lamentable. Vétusté des bâtiments, manque de personnels qualifiés, matériels défectueux sont ses véritables caractéristiques. L’enceinte est transformée en un champ de maïs. Les populations n’hésitent pas les conditions de traitement dans cet hôpital. « Ici à Tabligbo, plus de 80% des malades préfèrent aller se faire soigner chez les sœurs catholiques de Kouvé ou de Katihoè qui se trouvent à des dizaines de kilomètres de la ville. Parfois on va directement à l’hôpital Saint Jean de Dieu d’Afagnan ou au CHR Tsévié », affirme un enseignant.

Il est d’autant plus scandaleux de voir que Tabligbo est une ville polluée. Les gros camions qui circulent dans la ville soulèvent quotidiennement de la poussière inhalée par les populations qui souffrent régulièrement de problèmes de santés liés à cette pollution poussée de la ville. Mais pas d’accompagnement de la part des autorités administratives ni celles de Wacem et autres qui sont à la base de ce désastre sanitaire.

L’autre aspect du sinistre que vivent les populations de Tabligbo est environnemental. Tout abord il faut noter que les usines sont implantées au cœur de la ville. Ces usines dégagent naturellement des gaz à effet de serre qui, indiscutablement, ont des effets sur les populations. « Il était prévu que des arbres soient plantés entre les usines et les lieux d’habitation depuis des années, mais les responsables de Wacem et Fortia n’ont jamais fait cela. On n’a pas d’espace vert dans toute cette grande ville », s’indigne un jeune rencontré dans la cour du lycée de Tabligbo. Parfois déjà à 17h, il fait nuit à Tabligbo, la ville étant couverte de fumée et de poussière.

Yoto est une préfecture bénie naturellement. Les ressources minières sont légion, exploitées et transformées sur place. La terre est fertile. Mais au-delà de ces atouts majeurs qui devront impacter le développement de la localité, Yoto a également produit un florilège d’acteurs politiques qui ont occupé des postes majeurs dans la vie de la nation. Au rang de ces cadres se trouvent en pole position « l’ancien Directeur du port, ancien ministre, ancien président de l’Assemblée Nationale, ancien Premier Ministre », Gabriel Messan Agbéyomé Kodjo qui est de Tokpli. Il y a ensuite Me Yawovi Agboyibo (ancien Premier ministre), Léopold Gninivi (ancien ministre des Mines), Kokou Agbémadon (ancien ministre des Mines et Coordonnateur national de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), Henri Gbonè (ancien député et complice des Indiens)... Il est impensable que ces dignitaires qui ont eu à occuper des postes de responsabilité dans ce pays ne puissent pas aider à la réalisation des infrastructures de base dans leur préfecture et/ou village.

Tabligbo est une ville minière, mais la « mine » des habitants reste toujours fermée et froissée car ses ressources minières ne profitent qu’à une bande de personnes lugubres.

Shalom Ametokpo