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Les archives, outil de reconstitution de la mémoire et de réconciliation – Le cas de l’Allemagne un exemple pour le peuple togolais

Togo - Opinions
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Les archives, outil de reconstitution de la mémoire et de réconciliation – Le cas de l’Allemagne un exemple pour le peuple togolais

Jonas Bakoubayi Billy

Les années qui ont suivi la fin du colonialisme ont représenté un épisode douloureux dans l’histoire du Togo, et ce, jusqu’en 2005. Afin d’assumer ce passé et de se construire un avenir meilleur, le gouvernement togolais a institué en 2009 la « Commission Vérité, Justice et Réconciliation », chargée d’enquêter sur les exactions du passé et d’ouvrir un dialogue sain entre anciennes victimes et anciens bourreaux.

Cette démarche souligne le rôle primordial des archives comme source de droit et outil de réconciliation.
Elle n’est cependant pas le propre des pays africains : l’Allemagne, dont la construction administrative remonte à l’âge féodale, et qui a connu aux XXe siècles plusieurs formes de régimes totalitaires, a elle aussi engagé un processus de reconstitution de sa mémoire suite à sa réunification, en 1989. Cet article propose une approche comparée entre les expériences allemande et togolaise.


Suite au décret N° 2009/046/PR du 25 février 2009 pris par le Président de la République Togolaise en Conseil des Ministres fut créée la « Commission Vérité, Justice et Réconciliation » (CVJR). Cette commission a pour tâche d’élucider le passé douloureux du Togo de 1958 à 2005. Cette époque est marquée par les règnes de Sylvanus Épiphanio Olympio (1958–1963), Emmanuel Bodjollé (1963), Nicolas Grunitzky (1963–1967), Kléber Dadjo (1967), Gnassingbé Eyadema (1967–2005), Abbas Bonfoh (2005) et le début de la période de Faure Gnassingbé.

C’est principalement sous les règnes de Sylvanus Olympio et de Gnassingbé Eyadéma (particulièrement au cours de l’année 2005) que le Togo a vécu des événements douloureux et atroces. Certains cas sont connus de la majorité des Togolais, mais d’autres sont restés dans l’ombre. On peut citer entre autres la persécution d’Anani Santos, d’Antoine Méatchi et d’autres, et la répression de la population de Lama-Kara en avril 1961 ainsi que l’ensemble des crimes, injustices et abus de pouvoir perpétrés pendant la « période Eyadéma ».

La situation togolaise: 1958–2005

En eff et, c’est sous le premier régime postcolonial que l’âgisme et le régionalisme ont été le plus pratiqués au Togo. Les jeunes perdirent les postes de direction au profi t des plus âgés.1
Ce fut aussi le cas pour les natifs du Nord-Togo qui durent s’eff acer devant leurs compatriotes du Sud.
Les populations du Nord étaient en général évincées du gouvernement. Ce que constate Ernest Milcent en 1967 en ces termes:

Auréolé par ses succès, le leader Ewé aurait pu à cett e époque, faire l’unanimité autour de lui et se rallier toutes les races du Togo. Mais, administrateur compétent, il ne sut pas s’élever au-dessus des intérêts de sa classe sociale et des préjugés des gens de son ethnie. Lorsqu’il
constitua son gouvernement, il n’accorda que deux strapontins sans importance aux gens du Nord et n’off rit même aucun poste aux Cabrais.2

Ceci prouve que S. Olympio n’était entouré que des gens de sa région, en fait de son ethnie. Les Togolais du Nord demeuraient des citoyens de seconde zone, comme ils l’avaient été à l’époque coloniale allemande.
Sur le plan politique en général, le régime Olympio fut marqué par l’oppression des opposants. Les partis d’opposition tels que l’ « Union Démocratique des Populations du Togo » de Nicolas Grunitzky et de Méatchi ainsi que Juvento ( Justice, Union, Vigilance, Education, Nationalisme, Ténacité, Optimisme) d’Anani Santos et autres furent considérés
comme indésirables. Lors des élections présidentielles et législatives du 9 avril 1961, tous les partis d’opposition furent poussés à l’illégalité avant d’être dissous peu après. Leurs chefs furent forcés à l’exil dans les pays voisins. Ainsi étaient-ils exclus de jure et de facto de la course et Sylvanus Olympio et son parti Comité de l’Unité Togolaise (CUT) furent les seuls candidats et gagnèrent les élections avec 98 % des voix.3
D’ailleurs, seul le CUT avait une existence légale4. Cett e élection fut contestée par l’opposition, qui demanda à la population de Lama-Kara et de Bassari (son fi ef) de la boycott er en menant des actions d’incivisme.
Mais cett e contestation fut réprimée dans le sang par la gendarmerie.5
A la veille du coup d’État de Janvier 1963, le Togo d’Olympio comptait offi ciellement 87 prisonniers politiques. Il s’agissait des présumés coupables d’une tentative de coup d’État du 1er décembre 1961 dont le Dr Kpodar aurait été l’instigateur.
La liberté de presse et d’expression n’existait pratiquement pas. M. Wilson, rédacteur en chef du journal « Vérité Togolaise » et l’ambassadeur d’URSS alors accrédité à Lomé l’avaient appris à leurs dépens : que la presse ne critique pas le président et l’on ne doit pas s’abonner à un journal de l’opposition à 25.000 F CFA par mois.6
Sur bien des points, le régime du Général Eyadéma Gnassingbé a ressemblé à celui de Sylvanus Olympio. La liberté de presse et d’opinion y a été tout aussi bafouée que durant la période Eyadéma.

Durant 43 ans, le Général Gnassingbé régna sans partage sur le Togo. Cette longue période fut marquée par l’absence d’alternance politique, par l’autoritarisme militaire et par les abus de pouvoir des dignitaires du régime.7

Beaucoup de sang a coulé de 1967 à 2005. L’on peut citer une demi-douzaine de coup d’État manqués et d’agressions terroristes de l’opposition armée commandée par Gilchrist Olympio qui se soldaient par des pertes de vie humaines tant militaires que civiles. Sur les ordres du Général Eydéma Gnassingbé, des milliers de manifestants ont été réprimés dans
le sang et d’autres ont retrouvé le chemin de l’exil de 1990 à 2005, année de sa disparition.
Il est diffi cile de mener des recherches scientifi ques et d’aboutir à un résultat objectif et fi able. Cett e période est très récente et les documents d’archives pertinents sont encore incommunicables, conformément au droit des archives


La Commission Vérité, Justice et Réconciliation du Togo

Les époques Olympio et Eyadéma méritent néanmoins d’être étudiées. Il est primordial que les Togolais sachent ce qui s’est réellement passé et se réconcilient.
C’est pourquoi la « Commission Vérité, Justice et Réconciliation » s’est donné pour tâche de «  recueillir les plaintes, déterminer les causes des violences, leur étendue et les conséquences, et proposer des mesures susceptibles de favoriser le pardon et la réconciliation nationale ». La voie empruntée est uniquement celle des interviews et des témoignages des acteurs (« Coupables et victimes »). Cett e méthode a aussi des inconvénients tels que la subjectivité et la partialité. D’où la nécessité d’interroger aussi les archives.

Les archives ont un rôle essentiel à jouer pour apporter la preuve des injustices passées et off rir aux victimes une chance de réconciliation, comme on a pu le constater au cours de la dernière décennie.8
Dans une certaine mesure, cett e force de preuve s’inscrit également
dans la continuité de la conservation des archives à des fi ns historiques.
Dans la société féodale, les archives avaient pour fonction la préservation des droits, surtout des droits féodaux, et la protection des privilèges féodaux du propriétaire des archives, donc de ses intérêts de classe.9
Elles constituaient la mémoire de son administration.
Les documents d’archives étaient utilisés au cours des litiges comme preuves apportées en justice.

Afin de comprendre en quoi l’expérience allemande peut éclairer la situation togolaise, il apparaît nécessaire de rappeler quelques éléments de l’histoire archivistique allemande.


Les archives allemandes : le contexte historique

Au XVIème siècle, avec la création des services administratifs centraux des territoires alle mands et avec la croissance toujours forte de l’écrit et de la correspondance dans l’administration, les archives, devinrent une institution autonome et cessèrent d’être la propriété du souverain.
Elles servaient désormais l’intérêt pratique de l’État territorial, de la ville, etc.10 La valeur att ribuée aux documents d’archives reposait avant tout sur leur force probante. Cett e conception restera inchangée aux XVIIème et XVIIIème siècles, même si ici et là des historiens de la cour consultaient les archives en vue d’exalterles mérites des princes et souverains au service
desquels ils étaient ou encore de leurs dynasties; tout en respectant d’ailleurs de rigoureuses mesures de censure.

C’est ainsi que l’impératrice Marie-Th érèse d‘Autriche (1717–1780) créa en 1749, neuf ans après son accession au trône, les Archives de la Maison, de la Cour impériale et d’Etat à Vienne suite à des confl its judiciaires perpétuels autour du trône de l’Empire des Habsbourg.
Afi n que les titres nobiliaires et successoraux soient à portée de main en cas de besoin, Marie-Th érèse demanda la centralisation à Vienne de tous les documents de la cour dissé-minés à travers l’empire. Le besoin évoqué n’était autre que le règlement des contentieux surgissant à l’occasion de la succession au trône. Marie-Th érèse s’exprima clairement à ce sujet en déclarant qu’il s’agissait « de la défense [des] droits de succession contre les divers prétendants, du nécessaire rassemblement des écrits secrets et documents qui se trouvent dispersés dans les anciennes résidences de [leurs] ancêtres ».11

Cett e conception ne changea qu’au XIXème siècle. Suite à la Révolution française de 1789, au Reichsdeputationshauptbeschluss (la décision de la Députation, ou « recès ») en 1803 et au Congrès de Vienne (1er novembre 1814 au 9 juin 1815), les documents d’archives perdirent
leur caractère de titre juridique. Dès lors, les documents de cett e nature perdirent le caractère de preuve documentaire.12 Eckhart G. Franz att ribue même l’image actuelle des archives à la Révolution Française.13 À partir de cett e période, les archives ne furent plus exploitées qu’à des fi ns scientifi ques, plus particulièrement en vue de recherches historiques.14

En revanche, les archives vont jouer un rôle clé dans la vie politique allemande des périodes les plus marquantes de l’histoire contemporaine  : le Troisième Reich, l’ « Allemagne divisée » et l’ « Allemagne réunifi ée ». Elles vont être utilisées d’abord par le Troisième Reich puis, après la guerre, par les puissances occupantes à des fi ns politiques, dans des buts précis.


L’utilisation des archives avant et pendant la Seconde Guerre mondiale

Aussitôt après son arrivée au pouvoir, le parti ouvrier allemand national-socialiste (le parti Nazi) décida de confi squer les fortunes des «  ennemis du peuple et de L’État  ».15 Ces « ennemis » étaient le Parti communiste allemand,16 le Parti social-démocrate allemand,17
ceux qui n’adhéraient pas aux idéaux du régime et surtout les Juifs. Les livres et les documents d’archives appartenant aux détenteurs de ces fortunes fi rent partie des biens confi squés.18
Ainsi le ministre prussien des fi nances, dans une circulaire du 23 mars 1934, décréta-t-il, la confi scation des livres et des documents d’archives dans l’intérêt de la Bibliothèque nationale prussienne. Cett e circulaire fut envoyée le 28 mars 1934 à tous les présidents de gouvernement
et à tous les préfets de police. Le but de la Bibliothèque nationale prussienne était de compléter la collection d’ouvrages de propagande politique. Ceci fut le début de la confi scation nationale des livres et des documents d’archives. Cett e pratique allait ensuite s’étendre hors des frontières du Reich.19 Ces livres et documents confi squés allaient servir à d’autres fins.

Le régime Nazi a été marqué par la volonté d’extermination des Juifs. Encore fallait-il les identifi er. La méthode la plus connue était la recherche anthropométrique (mensurations crâniennes, forme du nez, etc.) ; mais on pratiquait aussi la recherche historique basée sur l’exploitation des documents d’archives. Ainsi pour vérifi er la pure origine aryenne des
Allemands, les Nazis avaient-ils également recours aux archives. Les documents pertinents étaient les actes de naissance, de mariage et de décès. Les archives appropriées étaient celles des municipalités et les archives pastorales. Dans les archives municipales, qui étaient
aux mains des autorités nazies, l’identifi cation et l’enregistrement des citoyens de «  race aryenne » étaient simples. Pour s’en assurer, il suffi sait d’explorer les documents des archives pastorales. Les documents les plus exploités étaient les registres paroissiaux (actes de décès, de baptêmes et de mariages).20

Sous le Troisième Reich, les archives ont aussi joué un rôle primordial dans l’élaboration des projets coloniaux nazis. Pour pouvoir maîtriser la connaissance de la politique coloniale des autres puissances, les Nazis avaient besoin des documents d’archives. Ils voulaient comprendre pourquoi les Français, les Anglais, les Espagnols, les Hollandais, les Portugais et les Allemands de Guillaume II avaient connu ici des succès et là des échecs. Comment pouvaient-ils coloniser les peuples d’Afrique sans heurt? Aussi, après la prise de Bruxelles et de Paris en 1940, l’Offi ce Politique Colonial Allemand (Kolonialpolitisches Amt, KPA) créa-t-il une annexe dans chacune de ces deux villes (KPA-Paris et KPA-Brüssel).21

Ces annexes avaient pour mission de consulter ou de piller tous les documents pertinents des ministères.22 Par ailleurs, les archives constituaient l’un des premiers butins et trophées de guerre.23
Début 1943, la guerre bascula à l’avantage des Alliés. A chaque victoire ou prise de localité, les documents d’archives constituaient un précieux butin. En 1945, les Nazis sentant approcher la fi n, brûlèrent les documents les plus importants, comme le rapporte Rudolph Asmis dans ses mémoires.
Néanmoins, les Alliés – surtout l’Armée Rouge et les Américains – purent s’emparer de documents très importants.24 Ces documents servirent à identifi er les criminels nazis et les crimes qu’ils avaient commis et donc à les juger. Ainsi constituèrent-ils la base des actes d’accusation lors du procès de Nuremberg.
Chacune des puissances victorieuses s’empara donc de prisonniers mais aussi d’archives pour les exploiter dans le domaine des recherches scientifi ques. Les documents saisis en Allemagne et dans les territoires libérés furent utiles à l’Armée Rouge, aux Services secrets, aux chercheurs et scientifi ques soviétiques ainsi qu’américains, à la politique nationale et dans le domaine économique.

Les archives sous la République démocratique allemande et à l’heure de la réuni cation

Ainsi que l’écrit le spécialiste des archives à l’époque de la RDA (République démocratique allemande), Gerhart Enders, le régime du Parti socialiste unifi é de la RDA s’appuya sur les archives pour asseoir son pouvoir politique et économique.25 Les Archives centrales allemandes avaient pour consigne, selon l’arrêté sur les archives d’État du 17 juin 1965,26 de fournir le matériel nécessaire aux diff érentes institutions pour la propagande contre la RFA et pour le développement de l’économie et de la science. Ceci constitua même dès 1962 l’un des principes de l’archivistique de la République démocratique allemande.27 L’arrêté reprenait les clauses du VIème congrès du Parti.28 Pour élucider le passé de la NSDAP et démasquer le caractère criminel de la dictature nazie, le régime du Parti socialiste unifi é procéda aussi à la saisie et à la communication des archives.29

Afi n qu’elles puissent jouer effi cacement leur rôle, les archives bénéfi cièrent d’une considération toute particulière. Les centres des archives de l’administration exerçaient une grande infl uence sur la gestion des documents. Des archivistes bien formés y furent par conséquent engagés. Ainsi, dans les années 1980, un tiers des organes centraux d’État et des institutions furent att ribués aux archivistes.30

A la même époque en RFA, les Archives fédérales participèrent à partir de 1957 à la poursuite des Nazis et à la réparation des préjudices subis au cours de l’ère nationalesocialiste.
En 1953 furent créées les Archives fédérales allemandes, dont le siège était situé à Coblence.31 Pour la constitution de leurs fonds, elles avaient dû solliciter auprès des ÉtatsUnis la restitution des documents emportés d’Allemagne nazie. Avec la création des Archives fédérales, de nouveaux documents pertinents concernant les Nazis et leurs crimes furent découverts.32 Ainsi furent relancées des recherches sur les crimes perpétrés par ces derniers avec pour conséquence la reprise de la traque des anciens Nazis et le dédommagement des victimes


A chaque régime ses préjudices. Le régime du Parti socialiste unifi é de la RDA a fait à son tour des victimes et commis des injustices. Donc, après la réunifi cation, il fallut enquêter sur les crimes et injustices perpétrés sous la responsabilité du ministère de la Sécurité d’État (Ministerium für Staatssicherheit, MfS), ou Stasi en vue de dédommager les victimes. La
Stasi était issue de la «Hauptverwaltung zum Schutze der Volkswirtschaft » (Administration centrale pour la protection de l’économie nationale) du ministère de l’Intérieur de la RDA et avait été créée par une loi du 8 février 1950 en cett e période d’antagonisme entre les deux Allemagnes. Pour en comprendre les activités, il faut consulter ses archives.

Qu’y trouve-t-on ? Elles contiennent le fi chage de plusieurs millions de personnes,
en premier lieu des citoyens de la République démocratique allemande, mais aussi de la
République fédérale d’Allemagne et d’autres États étrangers.33 A la suite de l’eff ondrement de
la RDA, elles ont été confi ées à un organisme spécifi que, le Bundesbeauft ragte für die Unterlagen
des Staatssicherheitsdienstes der ehemaligen Deutschen Demokratischen Republik (Délégué
fédéral chargé des dossiers de la Sécurité d’État de l’ancienne République démocratique
allemande) ou BStU.34

Une partie de ces archives avait été mystérieusement récupérée par la CIA au moment de
la réunifi cation allemande puis a fi nalement été retournée à l’Allemagne et confi ée au BStU
en 2003.
Ces archives sont connues sous le nom de Rosenholz-Akten (les dossiers Rosenholz
– Rosewood). Les dossiers Rosenholz contiennent 381 CD-ROM de la Hauptverwaltung
Aufk lärung (HVA) – administration centrale de reconnaissance, du service de renseignement
à l’étranger (Auslandsnachrichtendienst), soit environ 350.000 fi chiers.35
Une autre partie de ces archives consiste en de nombreux sacs de documents déchiquetés
(on parle de plus de 15.500 sacs représentant 16 millions de pages) à l’automne 1989 alors
que la Stasi avait donné l’ordre de détruire les dossiers « pouvant incriminer les employés
offi cieux [informateurs] » qui étaient estimés en 1988 à 189.000 (Il s’agissait de voisins,
collègues de travail ou même membres de la famille proche ou lointaine). Les employés
titulaires quant à eux étaient plus de 91.015.

Depuis 2007, un projet de reconstitution informatisée de ces documents de la Stasi
est en cours. Ce projet permet aux victimes de se renseigner sur les crimes et les criminels.
L’actuel vice-président et ex-président du Bundestag (Parlement fédéral allemand),
Wolfgang Th ierse, député de la SPD (parti social-démocrate allemand) disait en 1991 : « Je
veux comprendre pourquoi mon voisin est devenu délateur ».3

Mais tout ceci ne va pas sans créer des dilemmes diffi ciles à résoudre. Ainsi la coalition
dirigeante CDU/CSU-FDP (parti chrétien-démocrate d’Allemagne/aile bavaroise du parti
chrétien-démocrate – parti libéral allemand) a voté une loi le 30 septembre 2012 aux termes
de laquelle (paragraphe IV art. 37a) les anciens fonctionnaires de la Stasi ne doivent plus
rester en poste dans les services de documentation de ladite Stasi.37 Or le même Wolfgang
Th ierse, ancien citoyen de la RDA, critique cett e décision. Par ailleurs, un autre parlementaire,
Wolfgang Wieland (membre des Verts), s’est également insurgé contre ce projet
émanant de la Coalition. Dans son discours au Bundestag le 30 septembre 2011, il a souligné
qu’un état de droit ne connaît ni représailles ni vengeance.38 Il considère inconstitutionnelle
la mutation autoritaire des anciens employés de la Stasi par une loi spéciale, tout en soulignant
cependant qu’il serait extrêmement préjudiciable que d’anciens coupables bénéfi -cient d’une situation matérielle meilleure que celle de nombre de leurs victimes.39
Aujourd’hui, la volonté des Allemands est d’arriver à la réconciliation par l’élucidation du passé pour démarrer une nouvelle ère de relations entre les citoyens. L’exemple de l’Allemagne est aussi valable pour tous les peuples qui ont vécu sous des régimes dictatoriaux et qui veulent vivre à l’avenir dans la paix, la démocratie. Ils ne doivent pas oublier le passé.
Comment peut-on se réconcilier si on ne connaît pas les raisons de la discorde? Il est donc impérieux qu’historiennes et historiens élucident le passé en s’appuyant sur les archives.
Cela permettra de connaître la vérité et de partager les torts

Les archives comme outil de connaissance du passé

Ceci, néanmoins, peut présenter un danger… Les archives peuvent aussi être une bombe à retardement. Dans les sociétés où, traditionnellement, un crime de sang doit être lavé par le sang, les archives peuvent déclencher un nouveau confl it. Il faut donc que la loi du talion soit rayée de la législation et que l’état de droit que décrit le député Wolfgang Wieland prenne le pas sur la vengeance et les représailles si l’on veut que les archives jouent un rôle dans la réconciliation

Cependant, les archives ne nous livrent pas toutes les informations. Nous l’avons dit plus haut, les offi ciers de la Stasi de même que les Nazis, sentant approcher la fi n du régime, avaient détruit des documents. Ce n’est pourtant pas l’apanage des régimes totalitaires comme l’on a l’habitude de le dire. Helmut Kohl, avant de quitt er la chancellerie, en 1998, détruisit des données de son ordinateur et fi t disparaître des documents importants.40 Ce sont les dirigeants qui imposent ce qui doit être versé aux archives. Donc ces dernières comportent bien des lacunes. Pour les combler il faut s’appuyer sur l’histoire orale – l’oral history


Mieux un peuple comprend le passé, mieux il vit l’avenir. Mieux est comprise la dictature, plus grandes sont les chances de succès de la transition politique en vue d’asseoir une démocratie durable. C’est en cela que les archives jouent un rôle très important en tant que témoins du passé et garants de l’avenir. Botho Brachmann, quant à lui, dit : « Les archives sont les médiatrices entre le passé, le présent et l’avenir ».41


Elles apportent la preuve, l’explication et la justifi cation à la fois des actions passées et des décisions actuelles. Les archives permett ent à la société de jouer toute une gamme de rôles, et aux communautés civilisées de s’enraciner et de se développer, en favorisant la recherche et l’éducation, mais aussi en protégeant les droits de l’homme et en aff ermissant les identités. Les archives créent la transparence en garantissant à long terme la compréhensibilité de l’action administrative.

Le rôle des archives dans le processus de réconciliation des Allemands peut également s’appliquer aux Togolais, qui ont connu des situations similaires. Il convient donc qu’au Togo

les archives bénéfi cient d’une bonne conservation et d’une protection sans failles. Pour cela il faut les restaurer si elles sont endommagées, les microfi lmer et les numériser.42 La numérisation des documents est aussi une ouverture vers la démocratie. Elle permet d’instaurer le « e-Government », en allemand : E-Regierung. Grâce à cett e avancée technologique, le citoyen est en contact 24 heures sur 24 avec les informations des autorités. Ce qui est une caractéristique de la transparence, et qui devrait être la marque de toute démocratie

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1 CORNEVIN Robert, Histoire du Togo, Berger-Levrault, Paris, 1969, pp. 409 ff .

2 MILCENT Ernest, « Tribalisme et Vie politique dans les Etats du Bénin » in Mois en Afr ique, 18, juin 1967,
p. 51.

3 Politisches Archiv des Auswärtigen Amts (PAAA) B 34/287.

4 PAAA B 34/285.

5 PAAA B 34/285.

6 PAAA B 34/288

7 TOULABOR Comi M., Le Togo sous Éyadéma, Éditions Karthala, Paris, 1986, pp. 30 ff .

8 Voir par exemple : HARRIS Verne, ‘Contesting Remembering and Forgett ing: the Archive of South Africa’s Truth and Reconciliation Commission’ in Arc hives and justice : a South Afr ican perspective , Society of American
Archivists, Chicago, 2006, pp. 289–304; MNJAMA Nathan, ‘Th e Orentlicher Principles on the Preservation and Access to Archives Bearing Witness to Human Rights Violations’ in Information Development, 24:3, Aug. 2008,
pp. 213–225; NANNELLI Elizabeth, ‘Memory, records, history: the Records of the Commission for Reception, Truth, and Reconciliation in Timor-Leste’ in Archival Science, 9:1–2( June 2009), pp. 29–41.

9 BRA CHMANN Botho, Archivwesen der Deutschen Demokratischen Republik: Th eorie und Praxis, VEB
Deutscher Verlag der Wissenschaft en, Berlin,1984, p. 363 ff .

10 ENDERS Gerhart, Archivverwaltungslehre, Deutscher Verlag der Wissenschaft en, Berlin, 1967., p. 16;
BRA CHMANN Botho, Archivwesen der Deutschen Demokratischen Republik: Th eorie und Praxis, VEB Deutscher
Verlag der Wissenschaft en, Berlin,1984, p. 92.

11 DELSALLE Paul, Une histoire de l’archivistique, Presses de l’Université de Québec, Québec, 2000, p. 131.

12 BRA CHMANN Botho, Archivwesen der Deutschen Demokratischen Republik: Th eorie und Praxis, VEB
Deutscher Verlag der Wissenschaft en, Berlin,1984, p. 366 ff .

13 FRA NZ Eckhart G., Einführung in die Archivkunde, 8. Aufl age, WBG (Wissenschaft liche Buchgesellschaft ),
Darmstadt, 2010, p. 11.

14 DELSALLE Paul, La recherche historique en archives, XIXe et XXe siècles: de 1789 à nos jours, Ophrys, Paris,
1996.

15 DEHNEL Regine, NS-Raubgut in Bibliotheken : Suche, Ergebnisse, Perspektiven ; dritt es Hannoversches
Symposium: im Auft rag der Gott fr ied-Wilhelm-Leibniz-Bibliothek – Niedersächsische Landesbibliothek, Vitt orio
Klostermann, Frankfurt am Main, 2008.

16 Kommunistische Partei Deutschlands (KPD).

17 Sozialdemokratische Partei Deutschlands (SPD).

18 KRETZSCHMAR Robert (Red.), Das deutsche Archivwesen und der Nationalsozialismus : 75. Deutscher
Archivtag 2005 in Stutt gart (27.-30.09.20059), Klartext Verlag, Essen, 2007, pp. 82–115.

19 BRIEL Cornelia, „Die Preußische Staatsbibliothek und die Reichstauschstelle als Verteilerinstitutionen beschlagnahmter Literatur. Strukturen. Hypothesen. Beispiele“ in DEHNEL Regine, NS-Raubgut in Bibliotheken : Suche, Ergebnisse, Perspektiven ; dritt es Hannoversches Symposium: im Auft rag der Gott fr ied-Wilhelm-LeibnizBibliothek
– Niedersächsische Landesbibliothek, Vitt orio Klostermann, Frankfurt am Main, 2008, pp. 35 ff .

20 KRETZSCHMAR Robert (Red.), Das deutsche Archivwesen und der Nationalsozialismus, pp. 116 ff ..

21 BILLY Jonas Bakoubayi, Musterkolonie des Rassenstaats: Tog

22 Bundesarchiv Berlin-Lichterfelde NS 6/340; NS 52/44; NS 52/62; NS 52/88; NS 52/95; PAAA R 105103.

23 LEHR Stefan, „Deutsche Archivare und ihhre Archivpolitik in „Generalgouvernement“ (1939–1945)“ in KRETZSCHMAR, Das deutsche Archivwesen und der Nationalsozialismus, pp. 166–174.

24 LIVI Massiliano, „Gestohlen, verschwunden, wiedergefunden, der Fall des „International Archief voor de Vrouwenbeweging (IAV) in Amsterdam“)“ in KRETZSCHMAR, „Das deutsche Archivwesen und der Nationalsozialismus,pp. 86 ff .; SCHREYER Hermann, „Das staatliche Archivwesen der DDR [Deutsche
Demokratische Republik] : Ein Überblick“, Droste Verlag, Düsseldorf, 2008, pp. 7 ff .

25 ENDERS, Archivverwaltungslehre, p. 18.

26 Bundesarchiv Berlin-Lichterfelde DO 1/21334; DO 1/21292.

27 Grundsätze zur weiteren sozialistischen Entwicklung des staatlichen Archivwesens der Deutschen
Demokratischen Republik, veröff entlicht von der Staatlichen Archivverwaltung im Ministerium des Innern der
Deutschen Demokratischen Republik, 1962, p. 6.

28 Das Programm des Sozialismus ist der Kompaß unseres Handelns : Schlußfolgerungen aus dem VI. Parteitag der Sozialistischen Einheitspartei Deutschlands für die Arbeit im staatlichen Archivwesen der Deutschen
Demokratischen Republik, Veröff entlicht von der Staatlichen Archivverwaltung im Ministerium des Innern der Deutschen Demokratischen Republik, 1963, pp. 4 ff ..

29 SCHREYER, Das staatliche Archivwesen, pp. 245 ff ..

30 HAKER, Gisela, „Zur Anleitungstätigkeit des Zentralen Staatsarchivs bei der Vorbereitung von Archivgutübernahmen aus den Verwaltungsarchiven“ in Archivmitt eilungen: Zeitschrift für Th eorie und Praxis des
Archivwesens, herausgegeben von der staatlichen Archiverwaltung der Deutschen Demokratischen Republik, Jahrgang 33,
Heft 1/1983, p. 36; HOFFMANN Heinz, Behördliche Schrift verwaltung. Ein Handbuch für das Ordnen, Registrieren, Aussondern und Archivieren von Akten der Behörden, Harald Boldt Verlag, Boppard am Rhein, 1993, p. 70.
31 Pour l’histoire détaillée des Archives Fédérales Allemandes voir son site  : www.bundesarchiv.de/
bundesarchiv/geschichte/index.html.de (consulté le 30 novembre 2012)

32 BOBERA CH Heinz, „Die Beteiligung des Bundesarchivs an der Verfolgung und Wiedergutmachung nationalsozialistischen Unrechts in den sechziger Jahren“ in OLDENHAGE Klaus, SCHREYER Hermann und WERNER Wolfram (Hrsg.), Archiv und Geschichte: Festschrift für Friedrich P.  Kahlenberg, Düsseldorf, Droste Verlag, 2000, pp. 264 ff .

33 Les opérations d’espionnage étaient eff ectuées en RDA aussi bien qu’à l’étranger. Les espionnages envers les Etats étrangers étaient menés dans les représentations diplomatiques par des employés nationaux et hors du pays soit par des diplomates ou par des offi ciers surtout dans les pays développés. (Bundesarchiv Berlin-Lichterfelde B
206/1872 Hauptverwaltung in MfS – Allgemeines) ; B 206/1802 MfS-Offi ziere als Berater in Ghana ; B 206/1835 ;
B 208/1845 Einsatz von Offi zieren der HVA in den Auslandsvertretungen (AV) der DDR); B 206/1870 Führung von Agenten durch Gegnerische Nachrichtendienst (GND) Personal in Auslandsvertretungen der DDR)

35 MÜLLER-ENBERGS Helmut, »Rosenholz«. Eine Quellenkritik, Die Bundesbeauft ragte für die Unterlagen des Staatssicherheitsdienstes der Ehemaligen Deutschen Demokratischen Republik, Abteilung Bildung und
Forschung, Berlin, 2007, pp. 16 ff ..

36 www.badische-zeitung.de/deutschland-1/ein-stueck-gestohlenes-leben--54238570.html (consulté le 30 novembre 2012).

37 Plenarprotokoll 17/131 des Bundestags: Stenografi scher Bericht des 131. Sitzung, Berlin, Freitag, den 30.
September 2011, S. 15551; www.dradio.de/aktuell/1567210/; www.bstu.bund.de/SharedDocs/Downloads/DE/
stug_8–novellierung.pdf?__blob=publicationFile (consulté le 30 novembre 2012).
Il faut reconnaître que cett e loi est très diffi cile dans son application. Un an après son adoption et sa promulgation, la mutation des collaborateurs du Délégué fédéral chargé des dossiers de la Sécurité d’État de l’ancienne République démocratique allemande qui ont travaillé au Ministère de l’intérieur de la RDA s’éternise. Seules trois des 47 personnes concernées ont été mutées, déclare le chef du BStu, Roland Jahn, dans une interview accordée au « Frankfurter Allgemein Sonntagszeitung » du 24 novembre 2012. (www.freiepresse.de/NACHRICHTEN/
DEUTSCHLAND/Nur-drei-ehemalige-Stasi-Mitarbeiter-haben-Jahns-Behoerde-verlassen-artikel8166179.php; htt p://wissen.dradio.de/nachrichten.58.de.html?drn:news_id=162024 (consulté le 30 novembre 2012))

38 Plenarprotokoll 17/131 des Bundestags: Stenografi scher Bericht der 131. Sitzung, Berlin, Freitag, den 30. September 2011, p. 15545.

39 Plenarprotokoll 17/131 des Bundestags: Stenografi scher Bericht der 131. Sitzung, Berlin, Freitag, den 30. September 2011, p. 15545.

40 PRA NTL Heribert, „Das Gedächtnis der Gesellschaft . Die Systemrelevanz der Archive. Warum Archivare Politiker sind“ in SCHMITT Heiner, Alles was Recht ist. Archivische Fragen – juristische Antworten, 81. Deutshcer Archivtag in Bremen (21. – 24. September 2011), Verband deutscher Archivarinnen und Archivare e.V., 2012, Fulda,
pp. 23 ff .

41 BRA CHMANN, Archivwesen der DDR, p. 15.

42 BILLY Jonas Bakoubayi, Vorschlag für ein Pilotprojekt Restaurierung, Digitalisierung und Mikroverfi lmung von deutschsprachigen Unterlagen im Nationalarchiv der Republik Togo, VDM Verlag Dr. Mü ller, Saarbrü cken, 2008.




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