Vous etes sur la version ARCHIVES. Cliquez ici pour afficher la nouvelle version de iciLome.com
 7:53:44 PM Jeudi, 28 Mars 2024 | 
Actualité  |  Immobilier  |  Annonces classées  |  Forums  |  Annuaire  |  Videos  |  Photos 


Environnement : Après des années de massacre, vers la fin du juteux business des faux-tecks ?

Togo - Societe
Le Conseil des ministres du mercredi 22 juin dernier a donné un nouveau tour de vis au juteux business des faux-tecks au Togo. De nouvelles mesures sont prises pour rattraper les trafiquants qui, jusque-là, réussissaient à contourner la loi, bénéficiant surtout des complicités au sein des services administratifs de l’Etat à cet effet.
« Afin de limiter la surexploitation de cette essence (ndlr : faux tecks), le Conseil des ministres décide la suspension provisoire de toute autorisation de coupe et d’importation de faux-tecks sur le territoire et sa réexportation à partir du territoire national, ainsi que son exploitation et sa réexportation à partir du territoire national ; le conseil impose un moratoire de dix ans sur la délivrance des autorisations d’importation et de transport de madriers de faux-tecks du pays et d’autres pays de la sous-région », a-t-on appris mercredi du communiqué du Conseil des ministres.

Le gouvernement motive sa décision : « Le constat a été fait que le « vène », essence communément appelée « faux- teck », fait aujourd’hui l’objet d’une forte exportation vers certains pays asiatiques à partir du port autonome de Lomé. En effet, les opérateurs économiques nationaux, en complicité avec certaines entreprises asiatiques, utilisent les autorisations d’importation de produits forestiers ligneux, régulièrement obtenues au Togo, pour s’adonner, sur l’ensemble du territoire national à l’exploitation illégale et excessive de cette essence qu’ils transportent nuitamment au moyen de tracteurs jusqu’aux frontières des pays voisins pour ensuite faire passer des produits comme s’ils provenaient de ces pays ».

Enfin ? Ce n’est pas tôt en tout cas, devrait-on dire de cette décision du gouvernement, qui intervient après une décennie de massacre organisé contre ce bois, jusque-là épargné par les scies. En fin février dernier, L’Alternative publiait un dossier sur le massacre dans le parc Fazao-Malfakassa et nous en avions profité pour attirer l’attention de l’opinion sur ce qu’on peut considérer comme un crime environnemental dirigé contre ce bois. Nous avions alors recensé des témoignages sur lesquels nous voudrions bien revenir.

Jusqu’au début des années 2000, le « faux-teck » ou le bois de « vène » n’était pas encore soumis à des coupes et exportations excessives. Peu en utilisaient comme bois d’œuvre. Traditionnellement, il est plutôt utilisé dans la fabrication des mortiers ou pour ses vertus médicinales. Puis, se sont organisés subitement des réseaux de trafiquants qui ont poussé des tentacules solides jusque parmi les agents de l’Etat, essentiellement du ministère en charge de l’environnement et de la protection forestière. Au bout de la chaîne, se retrouvent des Chinois (que le gouvernement a soigneusement évité de nommer en se contentant de parler d’Asiatiques) qui ont créé un véritable système de drain de ces produits des pays de l’Afrique de l’Ouest vers le leur. On se rappelle encore qu’il y a quelques semaines, un ancien ministre sénégalais avait fait une sortie médiatique pour dénoncer l’exportation massive du même type de bois dans des zones frontalières entre le Sénégal et la Gambie vers la même destination, chinoise. Toute chose qui montre que le désastre s’étend au-delà de nos frontières. Mais dans notre pays, il a un aspect beaucoup plus saisissant, la faiblesse de notre couvert végétal. Avec un rythme de 15000 à 16000 hectares de forêts qui disparaissent chaque année, le Togo ne peut plus se permettre de rester complaisant vis-à-vis des dégâts environnementaux.

« Actuellement le couvert forestier productif total du Togo est d’environ 386 000 ha, soit un taux de 6,8% de la superficie nationale. Malgré cette faible couverture forestière, le taux annuel de la déforestation est de 4,5%, soit l’un des plus forts taux de déforestation au monde (…) Cette régression des surfaces forestières, avec leurs multiples biens et services, marginalise le Togo par rapport aux besoins nationaux et à la moyenne internationale recommandée par la FAO qui est de 30% en termes de couverture forestière », indique, dès l’ouverture de la préface, la Politique forestière nationale adoptée en 2011. Cinq ans après, la situation est plus catastrophique. En 2011, le faux-teck ne figurait pas parmi les essences menacées. En tout cas, le document de la Politique forestière nationale ne l’a pas cité sous cette rubrique. Aujourd’hui il se place parmi les premières essences en voie de disparition et dont la protection a dû nécessiter une décision en Conseil des ministres. Cette situation indique clairement l’agressivité avec laquelle les trafiquants ont opéré en si peu de temps.

Selon une étude doctorale réalisée par Kossi Ségla à l’Université de Lomé et soutenue en février dernier, entre 2010 et 2014, le Togo, sans être un grand pays forestier, a exporté par an, en moyenne, 41, 480 tonnes de bois. Et le faux-teck seul a représenté 46 % de cette exportation, pratiquement dans le même ordre que le teck (qui, lui, contrairement au faux-teck, est planté) qu’il est même en train de dépasser. « Ils (les trafiquants) ont tout coupé dans le domaine rural. Vous ne pouvez même plus trouver actuellement un seul pied. Maintenant ils s’acharnent sur les aires protégées », se désole le professeur Kwami Kokou, spécialiste des questions forestières à l’Université de Lomé. L’universitaire dit avoir vu lui-même des stocks de faux-tecks vers Togodo, au Sud-Est du pays, à la sortie d’une aire protégée. Et pour lui, les responsables sont bien connus : « selon les enquêtes, ce sont les agents du ministère de l’Environnement qui sont de connivence avec les exploitants pour commettre ces forfaits ». Le ministre de l’Environnement et des Ressources forestières, André Johnson a fait de la traque de ces trafiquants son cheval de bataille; mais visiblement le réseau semble trop puissant. Conséquence, il a fallu que la présidence de la République vole à son secours en se saisissant de l’affaire pour mener ses propres investigations, n’ayant plus confiance aux agents du ministère de tutelle. Cette investigation a abouti à l’arrestation de plus de 400 camions de faux-tecks au port autonome de Lomé, ces derniers mois. Et selon le Conseil des ministres, « les rapports indiquent que sur les milliers de madriers saisis par l’administration forestière, environ 85 % sont des faux tecks ».

Les trafiquants de bois au Togo ne sont pas des millions. Ils sont bien connus. Et continuent de sévir impunément. Leurs complices dans l’administration aussi sont bien connus et continuent de se sucrer royalement en toute impunité au détriment du patrimoine public. Curieusement, personne ne les inquiète. Même le Conseil des ministres a été incapable de nommer clairement les agents de l’administration publique et les Chinois qui se situent en amont et en aval de tout le processus du trafic. Et de toute évidence, le réseau dépasse les limites du ministère en charge de l’Environnement. Selon les informations, plusieurs haut-perchés du pouvoir sont mouillés dans ce business sale, y compris jusque dans les milieux judiciaires et militaires. Ce qui pourrait justifier l’incapacité du pouvoir à sévir réellement contre les réseaux en question. Mais tant que les réseaux existeront et seront introuvables, le gouvernement pourra continuer son hypocrisie. Sans réellement mettre fin aux dégâts. Parce que, en réalité, toutes ces quantités énormes de faux tecks exportées à partir du Togo l’ont été de façon illégale, malgré les interdictions. Les nouveaux tours de vis donnés par le Conseil des ministres peuvent ne pas suffire pour arrêter les trafiquants dans leur boulimie. Ils pourront trouver d’autres mécanismes pour contourner les textes en vigueur ou se ruer vers d’autres ressources forestières tout aussi vulnérables que le faux teck. Il faut bien qu’un jour, cesse l’impunité contre les criminels de tout genre qui sévissent au Togo.

Il y a cinq ans, on ne pouvait imaginer les dégâts que subirait l’espère de bois de « vène » dans notre pays. Aujourd’hui, nul ne peut imaginer quelle ressource tomberait dans les mois et années à venir dans les griffes des prédateurs. Tant que ces derniers continueront de conserver leur capacité de nuisance, ils ne manqueront pas de porter atteinte au patrimoine végétal et animal national : « Celui qui a fini de manger du foie gras à horreur des oies vivantes », dira l’autre !

Maxime DOMEGNI (L’ALTERNATIVE)