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Interview de Said Baba ACOTIE, président de l’Observatoire Togolais des Prisons (OTP) : « Nous avons mené des actions de coulisse qui ont contribué à la libération de Bodjona »

Togo - Justice
Dans un entretien à lui accordé, le magistrat Said Baba ACOTIE, Président de l’observatoire Togolais des Prisons (OTP) parle du rebondissement de l’affaire de la restauration de la faune de Mango, la libération de Pascal Bodjona, l’affaire de l’atteinte à la sureté de l’Etat, le dossier des incendies des marché de Lomé et Kara, les réformes et sur la vie de l’observatoire togolais des prisons. Lecture !
Comment se portent les prisons du Togo ?

Vous savez, les prisons du Togo sont à l’image des prisons africaines. C’est la surpopulation carcérale, bref, c’est les mêmes problèmes. Ce que nous souhaitons, c’est que les efforts se poursuivent pour qu’on puisse aménager ces prisons afin que la vie en leur sein devienne tenable. C’est là où j’ai salué récemment la construction de la nouvelle prison de Kpalimé qui permettra de désengorger ces prisons surtout celle de Lomé. Par exemple, vous avez les prisonniers de Danyi, d’Agou, de Kpalimé etc… qui croupissent à Lomé et il faut que le juge se déplace pour venir à Lomé, tenir son audience pour l’instruction. Au même moment, il y a d’autres tâches qui l’attendent. Tout ceci est une perte de temps.

En tant que Président de l’observatoire, il y a des gens qui croupissent en prison, on vient d’en parler, pour des raisons que certains jugent d’injustes mais on ne vous sent pas notamment pour la libération de Pascal Bodjona, d’abord les rendez-vous, visite et ensuite quelle action avez-vous faites concrètement pour sa libération ?

En réalité, ça dépend des hommes que vous avez à la tête des organisations. Moi je suis magistrat. Je fais une appréciation objective des cas. Je crois que je n’ai pas besoin de faire du tapage pour me faire entendre. Je vous confie qu’il y a des prisonniers qui croupissent dans les prisions dont on n’en parle pas mais pour lesquels nous faisons des actions presque quotidiennes. Même s’il faut faire des actions pour ceux-là que certains appellent grosses pointures, c’est des actions de coulisses très efficaces. Nous avons mené des actions de coulisse qui ont contribué à la libération de Bodjona par exemple. Pour le cas de Kpatcha, je me rappelle que dans une parution, nous avions invité le chef de l’Etat à penser à ce cas car non seulement cela contribuerait à l’apaisement mais la famille étant la famille, à un moment donné, on peut arrêter la poursuite pour une réconciliation.

Est-ce juridiquement possible ?

Oui c’est possible. Vous savez, le chef de l’Etat est le premier magistrat quoi qu’on fasse. La justice a beau pris des décisions, mais dès que le chef de l’Etat accorde la grâce, c’est automatique. Je ne vois pas ce juge là qui va supplanter le chef suprême de la magistrature pour dire non. S’il lui accorde la grâce tout est terminé.

La semaine dernière, l’on a assisté à un rebondissement dans l’affaire de la réhabilitation de la faune à Mango. En tant que fils de la localité, pouvez-vous nous dire exactement de quoi s’agit-il ?

Sincèrement, moi aussi j’ai appris ces évènements comme vous à travers les médias. En effet, c’est des évènements qu’il faut comprendre au vu de la gestion passée de la faune dans cette localité. Les gens ont encore des souvenirs amers. Je pense que si le ministère de l’environnement avait pris des dispositions et discuté avec les fils de Mango sur la faisabilité de la chose, on aurait pu nous épargner de ces victimes de plus. Si je prends l’exemple de l’interdiction de l’excision, lorsqu’on demande aux exciseuses d’abandonner les lames et les couteaux, on leur trouve nécessairement des activités de substitution pour leur permettre de subvenir à leurs besoins quotidiens. Dans le cas précis, vous n’êtes pas sans savoir que la population de Mango ne vit que de l’agriculture, je pourrais dire à 99% agricoles. Donc les terres cultivables sont très précieuses et vitales. Alors lorsque vous leur prenez ces terres pour en faire des aires protégées sans mesures d’accompagnement, cela ne peut que susciter révolte. Dans ce projet, on parle d’aires protégées, différentes des aires animalières. Cela signifie que c’est un cantonnement qui peut apparaitre comme un zoo qui va attirer les touristes et autres curieux. C’est une bonne chose, mais lorsqu’on veut faire la faune jusqu’aux chambres des populations, cela doit forcément faire naitre des problèmes. Car personne, qui soit-il, où soit-il, ne saurait accepter cela. Donc moi je comprends la réaction de la population. Au même moment, nous les invitons au calme. Car le simple fait que le président de la république demande de suspendre le projet signifie qu’il a été mal piloté au départ. A présent, il faut bien impliquer et sensibiliser la population à la base afin qu’elle adhère. Aujourd’hui, il est question de participation. Nous invitons donc le ministère à revoir sa copie et faire le projet en communion avec la population. On ne peut pas faire la faune sans les populations. Le projet a été financé à hauteur de 65 milliards. Je crois qu’avec ce montant on peut constituer des zoos, construire des hôtels et prévoir des terres cultivables pour les paysans.

Justement dans le cadre de ces évènements, on a assisté à un rebondissement où la population exigeait la libération des personnes arrêtées avant l’inhumation des victimes. Vous êtes magistrat de profession et président de l’Observatoire Togolais des Prisons, qu’est-ce que vous pouvez dire par rapport à cette exigence de la population ?

Pour moi en tant que magistrat, il va de soi que l’on rétablisse la vérité. Mais est-ce que la population a cette compréhension de la situation ? Donc il faut comprendre sa réaction par rapport au niveau de sa compréhension de la situation. Parce que quelque part, elle se dit que si l’on n’exige pas la libération des détenus, est-ce qu’après l’enterrement de victimes la justice va continuer son travail pour qu’on puisse libérer un jour les détenus ? Mais en tant que magistrat, moi je dis qu’il faut situer absolument les responsabilités car il s’agit de mort d’hommes. Il faut qu’on essaie de clarifier les choses et je crois que c’est pour cela que le dossier est à l’instruction. Quand la population pose ses préalables, c’est aux autorités de savoir concilier les deux bords. On déjà libéré certains détenus, c’était un pas important. On pouvait en libérer encore au moins un parmi les quatre qui sont encore détenus et donner l’impression que ça évolue. En ce moment si on établie après les responsabilités on pourra poursuivre qui de droit. Vous savez, la justice elle-même évolue au vue de la tension sociale et c’est compte tenu de tension social qu’on mène la répression.

Alors en tant que fils de la localité, qu’est-ce vous conseillez à vos frères, d’enterrer les victimes d’abord ou de continuer la résistance ?

Vous savez, c’est des sujets très sensibles. Moi je n’ai pas de consignes à donner aux populations. Mais je crois qu’il revient au gouvernement de voir toute la médiation à mener pour essayer de trouver une issue à ce problème.

Il y a un peu plu d’une semaine, l’ancien ministre M. Pascal Bodjona détenu à la prison civile de Tsévié a été libéré. Quelle analyse faites-vous de cette libération que certains traitent de surprise?

Pascal Bodjona, c’est un collègue à moi. On était ensemble à la faculté de droit. Je connais bien l’homme et je sais aussi que c’est un politique avéré. Nul n’est au dessus de la loi. Il fait l’objet d’une procédure judiciaire suite à une poursuite contre lui pour escroquerie. Vu l’évolution du dossier jusqu’à ce jour, d’aucun disent que les magistrats n’ont pas la main libre etc… Je crois pour ma part que seuls M. Pascal Bodjona et Faure Gnassingbé savent de quoi il s’agit réellement dans cette affaire. Quand à la justice, elle ne pilote que ce qu’on lui a présenté et suivant la loi. Si les gens parlent d’autres considérations, cela ne concerne pas du tout la justice. Donc s’il ne tient qu’à la justice, l’instruction doit être menée jusqu’à son terme et aboutir à un jugement. Il va d’ailleurs de l’intérêt de Pascal Bodjona que la lumière soit fait pour situer sa responsabilité ou non parce qu’il est un homme politique. Il ne faudrait pas qu’il traine des casseroles.

Donc la procédure de la libération n’est pas claire, voulez vous dire ?

Non, retenez qu’il y a le côté politique de l’homme et le côté judiciaire. Peut être la libération est intervenue à cause du côté politique de l’homme. Mais s’il faut piloter l’affaire juridiquement, je pense qu’on doit aboutir à un procès pour que M. Bodjona, comme lui-même dit qu’il est innocent puisse être lavé de tout soupçon. Il doit insister qu’il ait un procès un jour pour que la lumière soit faite. Parce que si vous aspirez à des postes politiques ce n’est bien que vous trainez des affaires judicaires sur le dos. Car à tout moment vos adversaires peuvent évoquer cela. Je ne dis pas que sa libération n’est pas une bonne chose mais ça n’arrange que le côté politique et surtout pour l’apaisement. Mais il faut qu’un jour on essaie de clarifier le dossier par un procès.

Il y a aussi Kpatcha Gnasingbé qui demeure en prison. Que dites-vous par rapport à sa situation ?

Je pense que ce dossier est semblable à celui de Bodjona. Il y a le côté judiciaire et le côté politique de l’homme. Si une libération doit intervenir, elle ne sera que politique et au nom de l’apaisement et de la réconciliation parce que vous n’allez pas dire que M. Kpatcha n’a pas d’adeptes qui souhaiteraient le voir libre. Mais s’il faut s’en tenir au côté judiciaire, Kpatcha doit purger sa condamnation d’une vingtaine d’années. Pour le reste, la justice a fait jusqu’alors ce qu’il pouvait.

Dans les deux cas, vous avez associé le côté politique et le côté judiciaire. Est-ce à dire qu’on se sert de la justice pour se régler les comptes politiques?

Non je ne crois pas. Dans cette affaire par exemple, vous allez constater que c’est le nom de Kpatcha qu’on prononce alors qu’il n’est pas le seul détenu. On ne parle pas des autres détenus justement parce qu’ils ne sont politiques. On parle simplement de codétenus sans les nommer ni clamer la libération. Si aujourd’hui Kpatcha doit être libéré, ses codétenus doivent aussi être libérés. Car si l’auteur principal est libéré pourquoi les complices vont continuer de croupir ? C’est la règle de l’accessoire sur le sort du principal. Mais il est souhaitable que le chef de l’Etat se penche plus sur cette affaire et accorder pourquoi pas une grâce présidentielle car cela contribuerait à l’apaisement.

Il y a aussi les détenus de l’affaire des incendies des marchés de Lomé et Kara qui continuent de croupir à la prison. Dans ce cas précis, qu’est-ce qu’il y a lieu de faire ?

Le procureur de la république a eu à le dire, il y a quelques jours qu’il y aura bientôt un jugement. Je crois qu’il vaut mieux s’en tenir à cela et lui faire confiance jusqu’à preuve du contraire. Vous savez, nous sommes en matière criminel. Je cois que je suis des rares personnes à avoir dénoncé ceux qui parlaient de dédommagement. Heureusement, les gens ont compris et ils ont changé de formule. Ne peux dédommager que celui-là qui est auteur ou si vous avez souscrit à une assurance. Nous exhortons les juges en charge du dossier à accélérer les choses afin qu’il ait un procès et que les détenus puissent connaitre leur sort.

On va terminer par la question des réformes. L’un des maux dont souffre le Togo, c’est les réformes, qu’elles soient politiques, économiques ou sociales. Quel est votre avis sur ces réformes qui ont toujours du plomb dans l’aile au Togo?

De l’avis de tout le monde, il faut parvenir à ces réformes parce qu’aucun pays ne peut rester en marge de l’évolution et le Togo doit s’inscrire dans le concert des nations. Personne n’aura à gagner en bloquant quelques réformes que ce soit car si les générations se renouvellent, c’est justement par les réformes. Lorsque vous ne faites pas de réformes, c’est qu’il y a un blocage au plan économique et social. Vous savez, la politique détermine tout. Lorsque vous avez un bon cadre, de bonnes réformes politiques, tout le reste suit. C’est pourquoi il urge qu’on organise les élections locales. Ce qui se passe actuellement dans nos milieux est une preuve de l’urgence de doter nos institutions locales d’élus qui soient redevables. Il faut qu’il ait des réformes politiques pour qu’on puisse amorcer les autres réformes car si les gens sont stressés, ils ne vous écoutent plus et c’est l’impression qu’on a maintenant au Togo. Il faut que le gouvernement s’efforce de rehausser le niveau de vie, le pouvoir d’achat des populations.

Votre dernier mot ?

Je tiens à vous remercier pour l’occasion que vous nous donner pour que de temps en temps nous puissions donner notre avis par rapport à la situation socio politique de notre pays puisque après tout nous sommes issus du peuple, c’est nous qui vivons avec le bas peuple. Nous essayerons de recenser les problèmes qui se posent à lui et faire échos afin que les politiques en prennent connaissance et puissent agir pour le bien être de ce peuple.

Interview réalisée par Arouna I.