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CE QUI EST LONG : du bon usage de la Fronde de David.

Togo - Opinions
J’ai été conforté dans mes propres réflexions sur la situation du Togo, par cette citation d’un auteur japonais, que celui-ci emprunte à la tradition de son pays : “ Laisse-toi enrouler par ce qui est long, dit éloquemment le proverbe. “ Et Akira Mizubayashi de poursuivre, non sans cette forme d’ironie que l’on appelle antiphrase : ici la non remise en cause de ce qui est long, le pouvoir, est une valeur; la soumission aveugle est une sagesse“1
Ce qui est long au Togo, tout comme dans la société japonaise que décrit cet auteur, c’est un pouvoir, ou pour être plus près de la réalité togolaise, un système mis en place depuis janvier 1963, qui n’a fondamentalement pas changé, qui nous entraîne d’une manière ou d’une autre, qui que nous soyons, que l’observateur étranger, pour ses propres intérêts veut considérer comme solide, veut nous inculquer comme synonyme de la stabilité, veut voir infiniment se prolonger, toujours pourvu que ses propres intérêts soient saufs…mais, ce n’est pas là le plus grave. Le plus grave c’est que nous-mêmes nous sommes très vite tentés, invités, convaincus d’appeler tel. Et, les raisons de prendre ce qui est long pour ce qui est stable, ce qui est solide, ce qui, finalement, est la meilleure société pour nous, ne manquent pas.
Malgré son caractère inique, injuste pour la majorité d’une population qui a des difficultés quotidiennes à s’y retrouver, à y retrouver sa place ou simplement à trouver le minimum vital, en dépit de ses bases objectivement illégales, de ses manifestations peu conformes à la logique qu’on y décèle lorsque l’on se met à réfléchir, ses défenseurs pourront toujours arguer du fait que ce système survit aux soubresauts, aux mouvements d’humeur émanant de telle ou telle couche de la population, du fait que, en fin de compte, quels que soient les moyens utilisés pour y parvenir, il s’impose à tous ceux qui voudraient le remettre en cause : violence, meurtres, violations de la Loi fondamentale, achat des consciences, fraudes électorales etc.
Ainsi au Togo, la longévité du régime rime avec solidité, stabilité et pourquoi pas, légalité.
Il y a lieu de chercher les complices de ce système : ils peuvent être répartis dans différentes catégories. Ceux qui sont conscients de leur rôle et le jouent sans complexe, sans faux semblants. Mais aussi, ceux qui, sciemment, prétendant le combattre, lui apportent leur concours. Enfin, il y a ceux qui, alliés objectifs du système, concourent à le maintenir, malgré eux. Un exemple très simple : il y a quelques mois, j’avais cru qu’au Togo, les contestataires du système n’avaient plus qu’un objectif à atteindre : sa fin. Ils l’avaient clamé en slogans ! mais, j’ai dû me rendre compte, comme d’autres citoyens, que le slogan étant la seule arme non matérielle mise à notre disposition par le système lui-même, notre slogan pour chasser ce système n’a fait qu’aller rejoindre la longue corde des incantations, tout aussi inefficaces les unes que les autres. Dois-je ajouter un autre exemple qui prouve à quel point nous sommes prompts à nous laisser enrouler dans la corde ? Les manifestations dont le but était de réclamer la fin du système, se sont éteintes le jour où les grands leaders d’opposition ont été invités à des négociations par ceux qui veillent bien sur la corde et ont intérêt à ce qu’elle ne se brise pas, faisant miroiter à nos leaders le reflet luisant de sièges au parlement, avec tous les avantages y afférents. Laisse-toi enrouler…par la chaîne des avantages, chaîne de la « sagesse » à laquelle nous sommes habitués. Impossible de voir une autre forme de sagesse, une autre valeur…Et, en matière de valeur, quel prix accorder au fait que des femmes, pendant ces manifestations, se sont mises presque dans la tenue d’Eve, signe, dans la tradition africaine, du plus haut degré que puisse atteindre la révolte et la colère d’une population ? Ceci, en même temps que nous utilisons l’allégorie biblique des sept tours de Jéricho, ici réduits à trois ! Et combien de bougies brûlées, combien de chemins de croix arpentés… Et, a-t-on calculé le nombre de kilomètre de chapelets égrenés ? Lorsque, rassemblant toutes nos énergies, nous grimpons la corde de la révolte jusqu’à ce degré et que, sans toucher au but nous nous laissons subitement choir ainsi, au point de devoir la prochaine fois, si prochaine fois il y a, recommencer à zéro, quelle crédibilité peut-on nous accorder ? Ne dira-t-on pas simplement qu’à la longue file de charlatanismes dont sait user le système (cultes à l’occasion des fêtes officielles ou soi-disant pour bénir le régime, recours à des religieux pour trancher dans des conflits politiques ou même dans des controverses historiques…), nous n’opposons de notre côté, qu’une suite de charlatanismes, rien de plus ? Si c’est cela l’opposition, le système peut toujours lui dire merci, comme beaucoup de citoyens le savent et le disent. Puis, il y a eu d’autres slogans comme « Pas de réformes, pas d’élections ». Nul, peut-être, parmi ceux qui sont finalement allés aux élections, ne s’est posé la question de savoir, si ce qui était visé, c’était la situation nouvelle, correspondant aux aspirations de nos populations à l’issue d’élections équitables et transparentes, ou si c’était le renforcement de leur propre position en tant que parti de l’opposition ayant recueilli le plus de voix (comment ? pour quoi faire ?) à ces élections. Et dans le même ordre d’idées, avant les élections, quelles qu’elles soient, quel était l’aboutissement de la chaîne de nos « conclaves », « unions de l’opposition », coalitions, alliances etc. ? La simple preuve que nous sommes capables d’en sortir avec de nouvelles brouilles, de nouvelles invectives à lancer les uns contre les autres, de nouvelles blessures qui mettront du temps à se cicatriser, ou une nouvelle force politique ?
J’ironisais, il y a quelques jours dans un article intitulé Bodémakutu II fera-t-il ce discours, en envisageant que ledit Bodémakutu II, pour faire diversion, pour occuper la gent politique de notre pays, pour déchaîner de nouvelles passions dans le pays susceptibles d’engager nos esprits ailleurs que sur une stratégie de sa fin, promettrait peut-être des élections locales. Que constatons-nous aujourd’hui ? Ce n’est pas ce Bodémakutu II qui tient ce discours, celui des élections locales, mais bien l’opposition. Comme si tout avait été normal, normalement accompli jusqu’ici au Togo : législatives, présidentielle, locales ! Bravo. Lorsqu’on a contesté les présidentielles de 2015 (sans avoir d’ailleurs fini de remettre en cause, avant, les dernières législatives, ni avant celles-ci, les présidentielles de 2005 et de 2010), que compte-t-on obtenir en se lançant dans les éventuelles prochaines locales ?
Qu’il me soit permis de dire que le système, lui, au moins reste conséquent avec lui-même en n’organisant pas du tout d’élections locales, puisque pour lui, la longue corde des années sans maires et sans conseillers municipaux élus, tout comme la chaîne des violations de la Constitution a jusqu’ici bien fonctionné. La chaîne la plus longue des contestations sans suite contre la pieuvre aux tentacules les plus longs du système, est-ce cela que nous souhaitons ? Si nous voulions autre chose, nous aurions réfléchi et agi autrement. Quand donc nos tentatives de changement radical, c’est-à-dire, de renversement de ce système qu’abhorre le peuple togolais, n’iront pas simplement mourir, comme les autres fois, aux pieds de la pieuvre ?

La fin de la corde en apparence si solide du régime ? Ce n’est certainement pas dans une discussion faussement intellectuelle. Mon Chaka dans On joue la comédie se moque bien d’une telle discussion puérile entre spectateurs « savants », au moment où, sur la potence, cependant qu’il attendait son exécution, ces derniers voulaient en découdre :

«PREMIER SPECTATEUR (à Chaka) Hé, Chaka, qu'est-ce que tu en penses ? Moi je dis que c'est Négritude.

DEUXIEME SPECTATEUR Et moi je soutiens que c'est Tigritude !

CHAKA Négritude ! Tigritude ! De quoi est-ce que je me mêle ? Ma foi ! Si vous voulez savoir mon inquiétude interrogez, cette corde. Elle vous dira le véritable noeud du problème. Et si elle n'était tissée que de mots blancs, sa blanchitude serait bien vite rompue depuis des siècles qu'elle étouffe notre souffle Négritude ! Tigritude ! Messieurs les philosophes, bouffez des mots tant que vous voulez.

Mais s'il vous prend l'envie de vous bouffer le nez, ne grâce de me mêlez pas à votre querelle.

Car je n'ai pas fini, moi, de me battre pour me libérer de la HANGRITUDE !
PREMIER SPECTATEUR Ah ! Je comprends ! (Magistral) HANGRITUDE, de l'Anglais TO HANG, pendre et du suffixe gréco-latin itudimen indiquant un état . . . donc Hangritude veut dire. . .

CHAKA (rigolant) Ha ! ha ! ha ! Comme il vous plaira, Monsieur le professeur. . . »

J’ai toujours admiré les savants dont, heureusement, je ne suis pas. Mais, je crois que la vraie solution au problème du Togo et de l’Afrique se trouve dans une détermination du peuple, plutôt que dans une discussion de savants, qu’elle soit philosophique, juridique, littéraire etc.

Du reste, avons-nous, à tête froide, les bases d’une réflexion savante sur la situation politique du Togo et d’une façon générale, celle d’un certain nombre de pays africains qui n’ont pas fini de liquider leur passif de crimes commis à des fins politiques ?

1° Un acte sanglant dont nous ne connaissons jusqu’ici ni les auteurs réels, ni leurs motivations profondes ; j’ai vu en photo Gilchrist Olympio déposant un bouquet de fleurs sur la tombe de son père à Agoué ; cela est bien comme geste d’affection et de devoir filial, limité au cadre de la famille du défunt ; mais objectivement, officiellement, ce geste remplace-t-il une enquête, la constitution d’un dossier, sinon juridique, au moins à verser à un document historique, apportant un éclairage aux esprits qui ne se contentent pas de ce que sommairement l’on nomme coup d’État ? Et, en dehors de l’assassinat du premier président du Togo que pense-t-on des actes de violence meurtrière commis en vue de s’emparer du pouvoir et de le conserver, de janvier 1963 à ce jour ? Si l’on veut simplement rester dans la logique du geste de Gilchrist Olympio, ce sont des milliers de Togolais qui iront, individuellement fleurir les tombes de leurs proches. Et, encore, on pourrait dire que ces derniers sont logés à meilleure enseigne, parce qu’il y a eu des morts sans sépulture, des disparus dont on ignore jusqu’ici le sort final. Pour ceux qui nous parlent de vérité, justice, réconciliation, le geste de Gilchrist Olympio ne vaut nullement ces valeurs qu’un peuple blessé de mille manières attend et qu’il risque d’attendre toujours, si rien, ni personne n’intervient pour mettre fin d’abord au système.

2° Un tissu d’absurdités et de fourberies que l’on a recouvert, en apparence par un discours pompeux, conçu, bien sûr, par des intellectuels de notre pays, prônant les nobles idéaux de « creuset national, d’unité et de réconciliation nationales…de stabilité », diffusés par les hérauts de l’animation, amplifiés par des slogans, plusieurs années durant. Et ce tissu, loin d’être abandonné parce que reconnu désuet, s’élargit, s’allonge d’année en année, de fausses élections en fausses élections, cependant que les faux dialogues succèdent aux faux dialogues, les faux accords se multiplient sans fin, tout étant simplement conçu dans le but de favoriser le triomphe du mensonge sur la vérité.

3° Une succession au trône, toute aussi sanglante que le crime fondateur lui-même, arithmétiquement plus meurtrier, rocambolesque en plus, que l’on a déguisée en pratique démocratique. C’est la macabre comédie du pouvoir qui se poursuit au Togo des Gnassingbé.

Rationnellement, l’édifice que l’on prétend national, examiné sous cet angle, ne tient pas debout. Et ce ne sont pas quelques nouveaux charlatans jouant à colmater les brèches qu’il nous faut. Malheureusement, ce ne sont pas ces charlatans qui manquent, revêtus de toutes les couleurs imaginables, sortant de tous les coins que l’on puisse envisager. On peut dire que nous en avons presque à chaque étape de l’histoire de notre pays. C’est à celui qui multiplierait, manipulerait les subtilités plus que les autres, ou avant les autres.

Pour moi, je dirai la chose hardiment : les femmes et les hommes dont ce pays a aujourd’hui besoin, ce sont ceux qui, ayant pris conscience de la situation, ne préconisent rien d’autre que le renversement du système pour le remplacer par un autre.


Sénouvo Agbota ZINSOU

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1 Akira Mizubayashi, Petite éloge de l’errance, Gallimard 2014, p. 53.