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JUSTICE ENVIRONNEMENTALE : Le Togo à contre-courant du nouveau paradigme politique de l’environnement

Togo - Opinions
JUSTICE ENVIRONNEMENTALE :
Le Togo à contre-courant du nouveau paradigme politique de l’environnement

Soiliou Daw Namoro

Il est décidemment debout, le peuple de Mango, devant l’obsession du régime à lui imposer un modèle décrié de l’environnement. Ce peuple ne réclame depuis — aussi bien au père qu’au fils — que son droit à la justice environnementale. Mais, qu’est-ce donc, cette justice environnementale, que Faure Gnassingbé, ses conseillers et ses soutiens refusent obstinément de concéder ? La simple invocation d’une justice environnementale suggère que la répartition des coûts et des bénéfices des politiques environnementales peut être très inégale et très injuste dans une population. Elle peut l’être aussi à l’échelle planétaire, entre différentes régions ou différents pays.

Cette importante notion — de justice environnementale — a vu le jour aux États-Unis où l’équité sociale constitue un critère majeur dans l’élaboration des politiques environnementales, notamment, depuis le décret 12898 signé par le Président Bill Clinton le 11 Février 1994. La section 1-1 (IMPLEMENTATION) de ce décret stipule que

« Dans toute la mesure du possible, dans le cadre de la loi, et conformément aux principes énoncés dans le rapport sur la National Performance Review (L'Examen National du Rendement ), chaque agence fédérale doit faire de la réalisation de la justice environnementale, une composante de sa mission, par l’identification, ainsi que la solution, le cas échéant, des problèmes liés aux conséquences négatives et disproportionnellement élevées, en termes de santé et d’impact environnemental, de ses programmes, ses politiques, et ses activités, sur les populations minoritaires et les populations à revenus faibles des Etats Unis d’Amérique… »

Si les États Unis en sont arrivés à ce concept et cette pratique, c’est bien parce que leurs politiques passées ont eu, et continuent d’avoir des effets extrêmement nocifs sur les espaces vitaux des populations faibles, en particulier, les populations dites « de couleur ». Le rôle décisif joué par le Président Clinton dans l’avènement de cette fameuse loi, ne doit cependant pas faire oublier que les pionniers de la justice environnementale constituent les noirs et autre minorités raciales des États Unis dont les initiatives dans ce domaine ont revêtu, dès le début, un caractère international. En effet, ce sont les délégués du premier sommet de la National People of Color Environmental Leadership, tenu du 24 au 27 Octobre 1991, à Washington DC, qui ont énoncé les dix-sept (17) principes de la justice environnementale qui ont largement influencé les débats postérieurs (académiques ou politiques) menés sur la question aux États Unis et dans le monde, et inspiré des mouvements de défense des droits des populations en matière d’environnement aux quatre coins du monde.

Dans le principe 7 des résolutions de ce sommet, la Justice Environnementale affirme le droit des peuples concernés de participer, en tant que partenaires égaux, à tous les niveaux de prise de décision ayant trait à, ou pouvant avoir des conséquences sur l’environnement, notamment celles qui concernent la détermination des besoins, la planification la réalisation et l’évaluation des politiques.
Le principe 9 de la Justice Environnementale affirme le droit des victimes de l’injustice environnementale à être pleinement dédommagées des conséquences subies, et à recevoir des soins médicaux appropriés.
Le principe 10 fait de l’injustice environnementale, une violation du droit international, de la Déclaration Universelle des Droit de l’Homme, et de la Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide.
Le Principe 15 s’oppose à toute occupation militaire, à la répression et l’exploitation des terres, des hommes, et autres formes de vie.

Si nombre de ces dix-sept principes concernent la liberté que les grandes entreprises ont d’infliger des coûts externes (de pollution) aux populations les plus faibles, ces principes ne concernent pas moins l’appropriation par ces entreprises des espaces habités par les pauvres. Dans le préambule de ses résolutions, le sommet déclare clairement son objectif de mise sur pieds d’un mouvement national et international de tous les peuples « de couleur » pour combattre la destruction et l’accaparement de leurs terres et de leurs communautés.

Pour en revenir au Togo, l’exploitation du phosphate, par exemple, constitue un sérieux cas d’injustice sociale causée par l’Etat. Ce cas d’injustice est bien connu des Togolais qui n’ont, d’ailleurs, jamais cessé de le dénoncer. Lisons ce qu’en dit, par exemple, Amouzouvi Emmanuel Komitsè:
« La société des phosphates provoque de sérieuses dégradations de l’environnement. Ces dommages rendent de plus en plus difficiles les conditions de vie des populations locales. L’exploitation se faisant à ciel ouvert, elle entraîne la dégradation de milliers d’hectares de terres qui après exploitation, ne font l’objet d’aucun réaménagement. C’est ainsi que la zone d’exploitation qui jadis était une plaine est devenue une zone accidentée, souvent difficile d’accès, marquée par des collines, des plateaux et des vallées artificiels.» Un rapport édifiant sur cette injustice est aussi fourni par Isidore Sassou Akolor et Etonam Akapko-Ahianyo dans leur article « Togo, véritable envers de l’exploitation du phosphate,» sur le blog Africinfos.

L’hypocrisie de l’État togolais est manifeste dans l’incohérence qui caractérise sa politique d’environnement. D’un côté, il n’hésite pas à arracher sans compensation, des terres aux populations pour en extraire des minerais, et sans offrir la moindre solution pour les conséquences négatives de cette industrie extractive sur la dégradation de l’environnement. Ces conséquences sont, en somme, considérées par l’État comme un mal national nécessaire. De l’autre, il chasse d’autres populations de leurs terres et les tue au besoin pour, soi-disant, protéger la faune. Autrement dit, l’État qui s’approprie illégitimement le foncier et pollue sans réserve, et sans rendre compte, demande à des populations, déjà appauvries par des décennies de privation et d’exactions, d’abandonner leurs terres pour protéger la nature. Vu le caractère meurtrier de cette politique, il est normal de se demander si les soutiens du régime peuvent aider à le raisonner.

La France et l’Allemagne sont les deux puissances qui, de par leurs liens historiques avec le Togo, et leurs assistances multiformes au régime des Gnassingbé, sont les plus à même de contribuer à faire cesser la violence de ce régime contre la population du Togo, en particulier en matière d’environnement. Il convient toutefois de faire remarquer que ces pays n’ont, eux-mêmes, découvert le concept de justice environnementale que récemment. Nonobstant cette courte expérience, nous pensons que ces pays ont le devoir et la responsabilité d’aider Faure Gnassingbé à épargner les vies de ses concitoyens. Le Rapport du groupe de travail qui, en préparation de la participation de la France au sommet de Johannesburg (IFEN, Octobre 2006), fut mis en place en 2002 par le Comité français pour le sommet mondial du développement durable, n’affirme-t-il pas clairement que l’inégalité écologique « s’apprécie non seulement au regard de considérations “écologiques” au sens strict (pollutions, hygiène publique, milieux naturels...), mais aussi en termes d’espace vital, de ressources renouvelables accessibles, de qualité des établissements humains, de conditions de vie, de paysage, etc… que l’on considère comme contraire aux droits ou au respect de la personne humaine, et de surcroît susceptible d’engendrer des déséquilibres préjudiciables au bon fonctionnement de la collectivité» ?

Ce qu’il faut déduire et retenir de ce qui précède est que le gouvernement togolais rame à contre-courant de l’idée aujourd’hui dominante de la gestion participative en matière de politique et de justice environnementales. Les autorités togolaises ont pourtant, très probablement, été représentées à la première session de l'Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (UNEA) — du Programme des Nations Unies pour l'environnement — qui s’est tenue à Nairobi, pas plus tard que l’année dernière, et qui a largement abordé la question de la justice environnementale.

En fait l’apparent manque de bon sens du régime face à la question de la faune, vient probablement des calculs auxquels il se livre et que l’on peut imaginer sans peine: face au risque d’explosion du système qu’il a pu maîtriser jusqu’ici avec des moyens violents, céder à la population de Mango pourrait donner des idées à d’autres populations. Muré dans cette peur, ce pouvoir dont la violence est déjà avérée, se laisse donc prendre à Mango au piège d’un affrontement permanent dans lequel le meurtre devient progressivement et dangereusement banal. Les puissances qui le soutiennent doivent savoir qu’elles partagent pleinement la responsabilité des souffrances qu’endurent les victimes innocentes de sa politique macabre de l’environnement.

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1 Executive Order 12898, Environmental Justice for Low Income & Minority Populations, 1994.
2 Traduction et notes de l’auteur.
3 “To the greatest extent practicable and permitted by law, and consistent with the principles set forth in the report on the National Performance Review, each Federal agency shall make achieving environmental justice part of its mission by identifying and addressing, as appropriate, disproportionately high and adverse human health or environmental effects of its programs, policies, and activities on minority populations and low-income populations in the United States …”


4 Principles of Environmental Justice, http://www.ejnet.org/ej/principles.html. Consulté le 26 Novembre 2015.
5 Ibid.
6 Ibid.
7 Ibid.
8 Amouzouvi Emmanuel Komitsè, « Problématique de la gestion durable des phosphates au Togo », Ritimo, http://www.ritimo.org/Problematique-de-la-gestion-durable-des-phosphates-au-Togo. Visitee le 26 Novembre 2015.
9 http://www.u.org/esa/dsd_aofw_ni/ni_pdfs/NationalReparts/togo/mining.pdf
10 La protection concerne aussi les reptiles, même si les généraux de l’armée peuvent, eux, se livrer à (ou commanditer) la chasse aux crocodiles. Voir icilome.com, 5/26/2013, Affaire de tuerie de crocodiles à Koudassi Gare/ Les vérités de Togbui Galley Komlan : « Le Colonel Kadanga a envoyé des hommes venus chasser des crocodiles dans notre barrage » ;
https://www.icilome.com/nouvelles/news.asp?id=11&idnews=32968
11 « L’environnement en France », Institut Français de l’Environnement (IFEN), Synthèses 2006. Ils’agit du rapport « Hommes et environnement, les grands oubliés du développement ? » Voir le
Livre Blanc des acteurs français du développement durable, Sommet mondial du développement durable – Johannesbourg 2002.