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Election présidentielle 2015 au Togo :Monsieur Placca, ne vous excusez pas, le Togo est une démocratie.

Togo - Opinions
Dans une interview qui a fait le buzz sur la toile et les réseaux sociaux, le journaliste Jean Baptiste Placca concluait son analyse des lendemains d’élections au Togo par la phrase suivante : « Et si, malgré tout, ce pays est quand même une démocratie, alors, il faut bien convenir que c’est une démocratie tétraplégique ».
Je ne sais pas ce que la Fédération Togolaise des Associations de Personnes Handicapées (FETAPH) et ses membres pensent de cette comparaison peu flatteuse dans une société où le fait de ne pas être comme l’autre est souvent considéré comme une punition divine méritée. Cela étant, je dirais que Jean Baptiste Placca a vu juste dans la première partie de la phrase où son « et si, malgré tout.» sonne comme une invite à nous Togolais à affronter notre propre image dans le miroir trouble de notre démocratie. Car si les observateurs en viennent presque à devoir s’excuser de présenter notre pays comme une démocratie, n’est-ce pas parce que nous nous comportons comme si c’est contraints et forcés que nous nous sommes engagés sur la voie de la démocratie ! Malgré toutes les avancées obtenues de haute lutte par le peuple, tout ce que fait la classe politique dans ce pays qui se veut « l’or de l’humanité » donne en effet du Togo l’image de ce que j’appellerais une « Möchte-Gerne-Demokratie », c’est-à-dire un pays qui se prend pour une démocratie alors qu’il ne l’est pas du tout en réalité. Le peuple Togolais ne mérite point cette image dégradante dont l’entière responsabilité repose sur les incompétences de la classe politique et l’élite qui l’accompagne.
Les réactions d’indignation qui foisonnent depuis le scandale de la double-publication des résultats de l’élection présidentielle par le Président de la CENI le 28 avril puis par son Vice-président trois jours plus tard me laissent perplexe. C’est dommage que ces querelles politiciennes autour des résultats aient éclipsé le fait que pour la première fois dans notre pays une élection majeure s’est déroulée sans incidents ni accidents. Et le pire c’est que sans même se donner un temps de réflexion pour analyser ce qui s’est passé, partis d’opposition participationnistes et partisans du boycott se livrent déjà à leur passe-temps favori en se lançant dans une surenchère de communiqués pour occuper le terrain du meilleur parti d’opposition. Au lieu de s’indigner et d’ouvrir de nouveaux fronts sans lendemain par des discours réchauffés qui jusqu’ici ont brillé par leur inefficacité, chacun devrait assumer ses positions d’avant l’élection et cesser une bonne fois pour toute de pointer le doit sur l’autre.

Il est vrai que les élections à elles seules ne font pas une démocratie. Mais la démocratie sans élections, cela n’a pas de sens. Définie par un homme célèbre de l’histoire nord-américaine comme un système de « Gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », personne ne niera au regard de toutes les atrocités commises en son nom dans le monde que la démocratie, si elle a jamais existé telle quelle, n’est plus aujourd’hui qu’une caricature d’elle-même, parce que devenue une affaire d’une élite qui, sous prétexte de défendre les intérêts du peuple se crée son petit monde à elle avec ses règles propres bien loin des discours idylliques prêchés dans des meetings et campagnes politiques. A l’inverse de la religion, son meilleur ennemi, la démocratie ne relève pas du droit divin. Elle est l’émanation de la volonté de ceux qui l’adoptent, en principe. Ce n’est rien d’autre qu’un mode d’organisation de la vie commune au centre duquel se joue un jeu des « Droits réciproques » entre les électeurs et les dirigeants. Les premiers ont le droit de choisir librement les seconds, lesquels acquièrent en retour le droit de diriger parce que choisis par les premiers. Ainsi vu, lutter pour la démocratie est une chose. Gérer la démocratie au quotidien en est une autre. Si la première tâche incombe au peuple, la seconde incombe à ses élites.

Dans le cas du Togo à la veille de l’élection présidentiel, chacun des acteurs politiques y allait de ses certitudes sur ce que sera ou ne sera pas l’élection présidentielle. Les uns nous promettaient des lendemains qui chantent tandis que les autres nous promettaient l’apocalypse. On avait donc le choix. Il y avait d’un côté, le pouvoir et ses alliés de circonstance composés de Leaders politiques de l’opposition participationniste et de l’autre ceux qui ne juraient que par le boycott pour des raisons diverses. Pour le pouvoir, la tenue de cette élection avec la participation d’une frange importante de ce que le Professeur Gu-Konu appelle le courant dominant de l’opposition était en soi une victoire. Jusqu’à quelques heures de clôture du dépôt de candidatures, il n’était pas possible de savoir si les délais allaient pouvoir être respectés. Lors du scrutin précédant de 2010, le pouvoir avait dû rallonger la date de dépôt de candidatures pour permettre aux « retardataires » de l’opposition de déposer leurs candidatures dans les « délais ». Mais cette fois-ci, chacun a respecté les règles du jeu ; des règles contestées pare que contestables, mais des règles quand-même avec les quelles tout le monde a bien fini par s’arranger. Pour l’opposition participationniste, c’est également une victoire, une double victoire même : en allant aux élections elle est convaincue d’avoir montré à ceux qui en douteraient encore qu’elle est capable de prendre ses responsabilités en toutes circonstances et gagner l’élection présidentielle même sans les réformes réclamées à cor et à cri depuis des années. Mais surtout elle n’est pas peu fière d’avoir dribblé au passage ses amis boycotteurs qui se sont laissés duper par le « Pas de réforme, pas d’élection ».
C’est dans un rare sursaut de patriotisme que l’opposition participationniste s’était mise à l’unisson avec le pouvoir pour appeler les électeurs à participer massivement et pacifiquement à ce rendez-vous historique sensé ouvrir une nouvelle ère qui rendrait obsolète le « vainquons ou mourrons » de notre hymne national. Car dans une élection démocratique apaisée, personne ne mourra puisque tout le monde vaincra. Et pour prouver qu’ils sont sérieux, le futur perdant promettait d’appeler le futur gagnant pour le féliciter. Au vu de la confusion qui a été volontairement orchestrée au lendemain du scrutin on peut se demander si les protagonistes n’avaient pas oublié d’échanger leurs numéros de téléphone respectifs. Il n’empêche que jamais dans l’histoire de notre « Möchte-Gerne-Demokratie », pouvoir et opposition n’avaient autant travaillé main dans la main avec détermination et abnégation à la veille d’un scrutin. Par un jeu de chaises musicales, le représentant de CAP 2015 avait fait son entrée à la CENI pour y occuper le poste de Vice-président en lieu et place du représentant de l’ANC. Ni l’ANC ni CAP 2015, encore moins le bureau de la CENI n’avait jugé utile de donner les motifs de ce changement de dernière minute. Il faut dire qu’auparavant c’est UNIR qui avait procédé à un remaniement de ses représentants au sein de la CENI et là également les électeurs n’avaient pas eu droit à une quelconque explication.
De fait à l’approche du scrutin, tout s’était emballé et personne n’avait plus le temps pour s’occuper des coquetteries politiciennes. Les yeux étaient rivés sur l’échéancier. Il fallait prendre ses responsabilités pour éviter le vide juridique au lendemain du 25 avril. Aussi pendant que la campagne battait son plein et que les caravanes des cinq « heureux élus » sillonnaient le pays en distribuant de petits et gros cadeaux, à la CENI on négociait encore dur pour mettre les derniers points sur les I de SUCCES, système de collecte et de transmission des résultats des CELI vers la CENI. Faute d’avoir obtenu gain de cause dans ses revendications de réformes constitutionnelles et institutionnelles, l’opposition participationniste s’est offerte un dernier baroud d’honneur contre le pouvoir en faisant de SUCCES son ultime cheval de bataille. Étonnamment conciliant le pouvoir qui n’est pas de la dernière pluie a joué le jeu et un accord a ainsi pu être signé au dernier moment. Bien qu’écrit noir-sur-blanc, cet accord fut pourtant l’objet d’interprétations diamétralement opposées, à tel point qu’on se demandait si les signataires avaient eu le même texte. Tout ceci se passait à quelques heures du scrutin. Autant dire qu’au moment où ils allaient voter, les électeurs ne savaient pas sur la base de quelles règles leurs suffrages allaient être dépouillés et comptabilisés. Mais ceci n’était pas un drame, en réalité. Cela montrait a contrario que le Togo était bel et bien entré de plein pied dans l’ère de la démocratie, les tactiques politiciennes auxquelles se livrent les acteurs politiques étant en quelque sorte la cerise sur le gâteau.

Par leur courage et leur détermination, les Togolais se sont adjugés au prix de nombreux sacrifices le droit irréversible de désigner leurs dirigeants politiques par la voie des urnes. Il revient à l’élite politique de s’organiser pour mettre en place les mécanismes lui permettant de s’adjuger à son tour le droit de diriger. On peut être tenté de traiter de démagogie les récents appels à la (re)mobilisation du peuple en ces lendemains de rendez-vous électoral bâclé pour masquer des échecs personnels. Je ne partage pas ce point de vue parce que, d’une part cela ne correspond pas à la vérité et d’autre part ce serait une provocation gratuite, voire une injure contre ceux qui ont lancé lesdits appels. Non, ces appels ne sont pas de la démagogie au contraire ils sont à mon avis le reflet d’une réalité bien plus inquiétante, à savoir l’incapacité de la classe politique togolaise et l’élite de tout bord à donner un contour et du contenu aux efforts du peuple togolais. Oui ! on peut le dire tout haut, le Togo n’est pas une « Möchte-Gerne-Demokratie », le TOGO EST BIEN UNE DÉMOCRATIE. Mais que vaut une démocratie sans démocrates. C’est cette question que nous devons tous nous poser.

Moudassirou Katakpaou-Touré
Francfort, le 22 mai 2015