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La hiérarchisation des génocides et des crimes contre l’humanité : Pourquoi le Président François Hollande a-t-il tort et l’artiste Joëlle Ursull raison?

Togo - Opinions
Lors de la commémoration du 70ème anniversaire de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz, le président français François Hollande a déclaré que «  la Shoah est le plus grand crime, le plus grand génocide, jamais commis. »
Surprise de cette exercice d’hiérarchisation des crimes et des génocides, l’artiste Joëlle Ursull écrit une lettre ouverte à son président dans laquelle elle manifeste toute sa fureur.
Pourquoi la colère de madame Ursull est-elle légitime et pourquoi monsieur François aurait-il dû éviter l’emploi de l’adverbe « plus .»

Il y a quelques années de cela, une visite d’étude nous a conduits au bord du fleuve Danube en Hongrie. Les chaussures qui longeaient ce tranquille cours d’eau témoignent du caractère macabre de la largesse de son lit.
À la vue de ce symbole, témoignage de l’honneur qu’a connu tout un peuple, nous étions restés tranquilles toute la nuit.
Nous ne savions pas que nous étions tout simplement au tout début de nos émotions. Le matin, alors que nous étions encore sous le choc de la veille, on nous conduisit à la Maison de la Terreur. Ce que nous avons vu sur place nous a fait tout simplement perdre le chemin de la sortie.
Submergés par la douleur et la tristesse à la vue des photos de milliers de morts, d’instruments les plus effrayants qui ont servi à éliminer des milliers et des milliers d’enfants innocents, de femmes enceintes, des vieilles femmes et des personnes en situation de handicap, nous avons alors crié et dit ceci : « Aucune barbarie au monde, ne peut être mesurée à celle que nous voyons-là. »
Sans le savoir, nous avions oublié pour un temps, la même barbarie qu’a connue le peuple auquel nous appartenons ainsi que ses stigmates que nous portons encore aujourd’hui.
Mieux et certainement, nous venons plutôt de l’exprimer inconsciemment.
Nous avions quand même dit qu’aucune barbarie au monde ne peut être mesurée à la barbarie que nous voyons-là ! Avions-nous alors hiérarchisé les barbaries ? Certainement pas. C’est l’horreur de la chose que d’autres on vécu en tant que peuple et que nous aussi nous avons vécu en tant que peuple et continuons malheureusement de vivre, qui nous a conduits à nous exprimer ainsi.
Est-ce aussi le cas du président français dans sa déclaration?
Pourquoi a-t-il tort de hisser la Shoah au rang du plus grand crime, du plus grand génocide de l’humanité ?

La Traitre négrière, la colonisation et la Shoah : des génocides et des crimes contre l’humanité 
Selon le Statut de Rome, “on entend par génocide les actes listés ci-dessous lorsqu’ils sont commis dans l’intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
meurtre de membres du groupe ;
atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.”

Si l’on analyse la traitre négrière, la colonisation et la Shoah à la lumière de cette définition, il est évident que ces trois barbaries humaines sont des génocides.

Selon le Projet Aladin, la Shoah qui veut dire “catastrophe” en hébreu, “désigne l'extermination systématique des Juifs perpétrée par le régime nazi durant la seconde guerre mondiale de 1941 à 1945.”
À travers un racisme d’exclusion et finalement d’extermination avec son “Endlösung” ou solution finale, le régime nazi a mis en œuvre son projet d’extermination de tous les Juifs d’Europe.
Ainsi, durant quatre ans, environ 6 millions de Juifs seront injustement tués dans des conditions qu’aucune grossièreté humaine ne puisse accepter.

La traitre des esclaves est un projet d’élimination de masse qui est intellectuellement pensé et juridiquement justifié par les savants et les rois occidentaux, du moins pour ce qui est du commerce triangulaire.
À partir de là, son application se fera par la chasse à l’homme, l’alcoolisation de masse, la capture, la castration, l’enchaînement et la mise en cale des milliers et des milliers d’Africains, suivis de leur déportation vers le monde arabe, asiatique, européen et américain.
Tout au long de son processus, cette pratique honteuse est accompagnée d’une élimination de masse.
Barbarie qui a duré environ 20 siècles (14 siècles pour le monde arabo-musulman et 4 siècles pour le monde occidental), elle aura occasionné un nombre de victimes directes estimé à environ 60 millions (42 millions pour le monde musulman, 17 millions pour la traitre négrière, ceci en nombre total des esclaves embarqués, le nombre de débarqués inférieur à cause des massacres, des décès dus au mauvais traitement, à la fatigue, la faim, la maladie en cours de route.)
À ce chiffre vertigineux, viennent naturellement s’ajouter les morts endogènes, c’est-à-dire les massacres qui ont été commises pendant la capture des esclaves en Afrique et les morts exogènes, c’est-à-dire les esclaves qui ont perdu la vie sur le champ de l’esclavage une fois qu’ils aient été débarqué.

La colonisation qui a suivi la traitre négrière est aussi un projet qui va dans la droite ligne du processus d’élimination du peuple africain. Elle a débouché sur les tueries de masse, le morcellement et l’occupation des territoires d’Afrique, le pillage des ressources naturelles d’Afrique, la destruction de la culture et de la civilisation africaine.
Les famines et les maladies endémiques qui sont le corolaire de cette entreprise destructrice, inhumaine et déshumanisante, ne sont pas des signes positifs pouvant étayer les thèses de ceux qui affirment que l’esclavage, la traitre négrière et la colonisation ont pour objectifs de donner du « sucre » aux Africains.

Rappelons que la théorie qui a sous-tendu l’organisation et l’application notamment de la traitre négrière et de la colonisation est claire : les savants et aristocrates occidentaux de l’époque, de même que leur école, et successeurs d’aujourd’hui ont décrété que les Africains sont des êtres qui n’ont pas d’âme. « S’ils les noirs n’ont pas d’âme, on peut les asservir sans souci. », concluent-ils.
C’est ce décret qui a conduit l’Afrique à être victime du racisme de domination, d’exploitation et d’élimination.

On voit donc que, qu’il s’agisse de la Shoah, de la traitre des esclaves ou de la colonisation, tous les éléments sont réunis quant à la volonté manifeste de destruction totale ou partielle d’un peuple par des actes bien précis.
En cela, ces trois fléaux sont bel et bien des génocides et des crimes contre l’humanité.

L’évidence d’une hiérarchisation des phénomènes de racisme :
En 2013, nous nous sommes inscrits dans une initiative européenne de lutte contre le racisme.
Très tôt, un fait nous a profondément marqués. Il s’agit d’une enquête qui est faite sur l’opinion des jeunes par rapport aux discours racistes.
L’enquête qui devrait définir des pistes d’action à suivre pour lutter contre les phénomènes racistes et discriminatoires, a conduit à définir en amont, des groupes minoritaires qui sont les plus exposés à ces manifestations de haine.
Dans la définition des ces groupes-cibles, on a relevé notamment les homosexuels, le Juifs, les Musulmans, les Rom, les personnes en situation de handicap, les sans-abri, les migrants, les femmes, les étrangers, les membres d’une minorité ethnique, les membres d’une minorité nationale.
Dans ce lot d’élus, les Africains ne s’y figurent pas, du moins directement.
Pas vraiment surpris mais interpellés, nous avons alors attirer publiquement l’attention de nos camarades sur ce que nous considérions comme un manquement à l’enquête.
Une réponse lapidaire a alors été réservée à notre intervention. Pour le groupe de travail, les Africains ont été inclus dans le groupe-cible des étrangers, des migrants et les membres d’une minorité ethnique.

L’initiative s’est poursuivie et l’honnêteté nous force à dire qu’au fur et à mesure qu’elle avançait, beaucoup d’efforts sont faits pour y impliquer tous les groupes potentiellement victimes du phénomène raciste et discriminatoire.

Nous pensions alors que les choses sont rentrées dans l’ordre. Malheureusement, nous nous sommes trompés.
Durant la grande conférence qui devait servir de cadre général d’évaluation de l’activité et d’élaboration de recommandations fortes à soumettre au Conseil de l’Europe, un passage du texte final nous a mis devant le fait accompli et du coup, fait comprendre que le “ fait racial” a encore beaucoup de chemin à faire dans sa démarche de justice égalitaire, quant il s’agit de nommer les maux, de reconnaître les faits et de réparer les crimes.

Le passage en question a mentionné clairement toutes les formes spécifiques de racisme ou mieux, des autres formes de discriminations. On y a cité L’antitsiganisme, l’antisémitisme, le rejet des personnes handicapées, l’homophobie, la transphobie, l’islamophobie, le sexisme, la xénophobie et la ségrégation. Le racisme anti-africain ou anti-noir quant à lui, n’est pas clairement nommé. Il est remplacé par le terme générique “racisme.”
Un terme plutôt employé à juste titre diront certains. Ils auront à priori raison puisqu’en réalité, le racisme dans son sens premier, est une idéologie qui est clairement dirigée contre le peuple africain et appliquée comme telle.
Malheureusement, les personnes africaines qui s’activent notamment en Europe pour la reconnaissance du peuple africain, ont conscience que le racisme, dans sa signification moderne, cache d’autres réalités.

Dans une démarche de plus en plus manifeste de relayer le racisme anti-africain au dernier rang, le terme “racisme” est devenu un “fourre-tout”, si nous reprenons les mots de Taguieff.
Ainsi, tout rapport interpersonnel ou entre les individus et les institutions, qui prête à une inégalité de traitement est-il qualifié de racisme.
Dans cette logique, la misandrie, la misogynie, les inégalités intra-groupe à titre d’exemple, sont considérés comme des actes racistes.
Un Français peut être alors raciste envers un Espagnol et un Africain subsaharien peut-être raciste envers un autre Africain subsaharien.
Cette situation satisfait beaucoup de personnes et particulièrement celles-là qui sont prêtes à vous répondre «tout le monde fait face au racisme », dès qu’un acte raciste dirigé notamment contre un Africain est porté à la connaissance de l’opinion publique.
À cet imbroglio dans les termes, il faut également noter l’emploi tout aussi maladroit qu’adroit de “concurrence victimaire” dès que les groupes victimes en général et africain en particulier, veulent attirer l’attention sur le traitement inégalitaire des questions liées au racisme.
En effet, dès que les auteurs veulent fuir leurs responsabilités de reconnaissance et de réparation des crimes qu’ils ont commis, ils aiment utiliser ce terme pour jouer de la diversion dans les têtes et dans les esprits.

En règle générale le racisme anti-africain est relayé au dernier rang et l’exemple de l’initiative européenne de lutte contre le racisme ne veut rappeler que cette triste réalité.
L'oubli de commémorer la traitre négrière, alors que le projet européen s'était rappelé, tout au long de son exécution, des autres crimes du passé, ne fait que confirmer cette "discrimination" du racisme anti-africain.
De mémoire d’homme, certains événements de grande envergure ont marqué de leur empreinte, cette stratification des crimes du passé liés au racisme. Citons notamment la Conférence de Durban durant laquelle, de grands Etats esclavagistes ont refusé de reconnaître la traitre négrière comme un génocide.
À ce refus de reconnaissance, s’est ajouté celui aussi de la réparation.
Quant à la colonisation, certains iront jusqu’à lui trouver des points positifs à l’épanouissement du peuple africain.

La déclaration du Président François Hollande se situe donc dans la droite ligne de cette hiérarchisation des crimes, voilà pourquoi elle ne s’inscrit pas dans la même logique que notre cri de colère à la Maison de la Terreur.

Au-delà de ce classement des génocides et des crimes contre l’humanité, la leçon juive :
Le régime nazi, dans sa folle entreprise d’extermination de tout un peuple, a envoyé en exil, des milliers de Juifs.
Malgré l’honneur du génocide qu’il a connu et la dispersion d’un grand nombre de ses membres, le peuple juif a montré une forte capacité à rebondir pour devenir aujourd’hui un peuple uni et puissant.
Beaucoup d’éléments ont concouru à cette renaissance dont le racisme d’exclusion lui-même qui a sous-tendu l’ « Endlösung ».
Hitler pensait qu’une fois tout un peuple éliminé, aucune question ne se posera quant à sa résurrection. Il n’a donc pas pu poser l’hypothèse d’un éventuel retour pour s’y préparer.
C’est naturellement mal juger l’instinct de suivie chez un peuple ainsi que la force des événements à faire basculer leur cours, d’un côté comme de l’autre.
Le peuple juif, devant sa mort programmé, a héroïquement résisté et même commencé à organiser sa relève.
Ainsi, a-t-il refusé de céder le moindre parcelle de sa culture devant les armes les plus puissantes d’Hitler, a organisé des résistances physiques et spirituelles et fait le plus important, a gardé une notion de peuple malgré sa dispersion.
Les Juifs, où qu’ils se trouvent, se sont fondamentalement et ce, que ce soit au niveau individuel ou collectif, identifiés à leur peuple et à leur culture, et de différentes manières, se sont organisés pour se reconstruire.
Voilà d’ailleurs pourquoi, malgré l’antériorité de la dispersion des Africains, la sociologue Monique Eckmann affirme que « le terme de diaspora a longtemps été marqué par l’expérience juive, peuple dispersé depuis deux mille ans et ayant maintenu une conscience d’appartenance par-delà des siècles .»

Point donc de s’étonner de cet appel lancé par le Premier Ministre Israélien à l’endroit des Juifs d’Europe : «Nous nous préparons à une vague massive d’alyah [immigration juive] d’Europe ; nous appelons à une vague d’alyah massive d’Europe. Je veux dire à tous les Juifs d’Europe, et aux Juifs où qu’ils soient: Israël est la patrie de tous les Juifs… Israël vous attend les bras ouverts »

C’est donc fort de cette appartenance à un peuple suivie d’une organisation finement structurée, que le peuple juif a arraché des réparations de la Shoah, la dernière retentissante étant celle du Gouvernement français sur le rôle de la SNCF dans la déportation des Juifs.


Qu’en est-il du peuple africain ? Quelle leçon tirer de l’expérience juive pour renaître ?
Le peuple africain, à l’image du peuple juif face au nazisme, a vaillamment résisté aux razzias négrières et à la colonisation.
Point de rappeler à l’occasion, les prouesses de Somary, Gbehanzin et Ménélik contre l’invasion étrangère.
Point non plus de refaire le film « Racines » dans lequel Kunta Kinté symbolisait les résistances africaines au niveau individuel et microsocial.
Point non plus de rappeler, les organisations ici et là de la diaspora africaine pour reconstruire l’Afrique.
Malheureusement, le résultat n’est pas la même quant on le compare au renouveau juif.
À l’opposé des Juifs, les Africains n’ont pas réussi à relever la tête, à obtenir des réparations et à reconstruire solidement l’Afrique.
Plusieurs raisons expliquent cet échec, singulièrement la mise continuelle à jour des outils du racisme de domination et d’exploitation ; sa stratégie bien ficelée de division des Africains notamment sur le plan géographique (morcellement de l’Afrique en pseudos-pays) et culturelle (on fait croire aux Africains qu’ils n’ont aucune similarité culturelle entre eux) et fait le plus insurmontable, la non-appartenance des Africains à l’identité occidentale.
En effet, à l’opposé du peuple juif qui fait partie intégrante de l‘identité occidentale, situation qui a forcé en un moment donné les pays occidentaux à prendre fait et cause pour la question juive, les Africains ne sont pas des Occidentaux pour prétendre obtenir un tel soutien.
Dans ce cas, Ils ne peuvent finalement compter que sur eux-mêmes, en tirant toutes les leçons de l'expérience juive, fondamentalement pour ce qui est de cette capacité à rester un peuple uni malgré la dispersion, à s’identifier à un espace géographique commun, c’est-à-dire l’Afrique et à œuvrer à la restaurer et à la protéger.
Les Africains ne doivent plus attendre le moindre événement, comme celui qui a conduit l'artiste Ursull à s'adresser publiquement à son président, pour réagir.
Où qu’ils se re-trouvent, ils doivent plutôt agir notamment par la recherche de moyens novateurs devant les aider à déjouer les pièges de la division et de la désorganisation.
Ils doivent, dans une démarche rigoureuse et collective, arracher la reconnaissance et la réparation des crimes et génocides imposés à leur peuple.