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Réflexion autour d’une controverse politique : la nature juridique de l’Accord Politique Global (APG) du 20 août 2006

Togo - Opinions
Par Adama KPODAR/Dodzi KOKOROKO

Un réformisme constitutionnel en arlésienne ! Et pourtant, les signataires de l’Accord Politique Global (APG) du 20 août 2006 y croyaient ferme, avec certainement une « naïveté » sur la place du temps en politique. On imagine sans peine les blocages actuels avec son cortège de prétentions réformistes tranchées et parfois surprenantes non pas du point de vue politique mais juridique. Au rang des interprétations partisanes, figure la constitutionnalité de l’APG, laquelle sera au cœur de cette note.
De par son objet, un accord politique à l’image de l’APG, intervient dans le cadre d’un blocage institutionnel et constitutionnel qu’il faut dénouer. On le présente en effet comme une convention, un arrangement entre les protagonistes d’une crise interne, généralement entre le pouvoir d’Etat, le parti au pouvoir, l’opposition et la société civile dans le but de la résorber. En revanche, dans sa conception large, une norme constitutionnelle ou un texte à valeur constitutionnelle est synonyme de Constitution. Elle désigne les lois relatives à l’organisation des pouvoirs publics et leurs rapports. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’article 159 de la Constitution togolaise qui dispose que « la présente Constitution sera exécutée comme Loi Fondamentale de la République togolaise ». Dans d’autres pays notamment le Bénin, il est affirmé que « la présente loi sera exécutée comme Constitution de la République ».

Au sens strict, la loi constitutionnelle est celle adoptée selon une procédure spéciale prévue par la Constitution en vue de sa révision. Ce cas est réglé par l’article 144 de notre Constitution. En dehors de ces deux situations, il arrive, et cela est de plus en plus fréquent dans les démocraties modernes, que les juges découvrent ou dégagent des principes ou des objectifs ayant valeur constitutionnelle. Cette hypothèse ne fera pas partie de cette note.

Cependant, étant entendu que l’accord politique est appelé à régler des problèmes en marge et parfois concurremment avec la Constitution en vigueur, il arrive qu’en cas de conflit politique une partie de ses signataires cherchent à s’en prévaloir et l’autre à se rabattre sur la Constitution. Pour les premiers, la Constitution doit s’effacer devant l’accord politique, seul texte consensuel appelé à régir la vie politique et institutionnelle. Pour les seconds, tant que les réformes ne sont pas faites, la priorité doit toujours être donnée à la Constitution en vigueur. Ils estiment dès lors que l’accord politique ne peut tenir lieu de Constitution.

La question qui mérite d’être posée ici et qui permettra d’amorcer une tentative de réponse à cette querelle politique est la suivante : comment un texte ou une norme acquiert-il/elle une valeur constitutionnelle ?

Un texte acquiert valeur constitutionnelle dans deux cas bien distincts. Soit il est mis en place par le constituant originaire, soit il révise ou modifie suivant une procédure consacrée une norme constitutionnelle déjà en vigueur. Au surplus, l’hypothèse d’un APG oscillant entre feuille de route constitutionnelle et « petite constitution » pourra encore être envisagée.


I- Une valeur constitutionnelle contestée
La recherche du fondement de l’attribution du label « constitutionnel » s’est déployée dans d’innombrables directions et a souvent mêlé plusieurs questions. Mais celle de l’autorité originaire et fondatrice de l’acte en cause fait l’unanimité. Rechercher l’exercice du pouvoir constituant originaire est l’un des premiers réflexes sécularisés du constitutionnaliste moderne. En démocratie, le peuple est souverain et le pouvoir constituant originaire lui appartient. Il l’exerce indirectement par l’intermédiaire de ses représentants, et directement par référendum. Une norme est revêtue de valeur constitutionnelle à travers l’exercice du pouvoir constituant soit dans le cadre d’une assemblée constituante désignée par le peuple (démocratie représentative ou gouvernante), soit par le peuple lui-même (démocratie directe).

Une troisième hypothèse permet de distinguer entre les pratiques institutionnelles et les accords entre les institutions constitutionnelles.

A- L’APG n’est pas le résultat d’une assemblée constituante
L’assemblée constituante est mise en place par élection ou désignation avec des régimes juridiques variés. Sa mission est d’élaborer une nouvelle constitution. Cette voie a été récemment suivie par la Tunisie où les élections du 23 octobre 2011 ont permis de mettre en place une assemblée de 217 membres. Celle-ci adopta en janvier 2014 l’actuelle Constitution tunisienne.
On pourrait marquer un arrêt et dans ce cadre voir si l’APG pourrait bénéficier du sceau constitutionnel. Avant de répondre p ar l’affirmative, il faudrait encore que tous ceux qui ont participé à l’élaboration de cet accord aient été élus ou choisis par le peuple souverain. Cette condition ne semble point établie car les parties l’ayant signé n’ont reçu de mandat clair du peuple togolais. Il s’agissait en effet d’une partie de la classe politique (RPT, CAR, CDPA, CPP, UFC, PDR), de la société civile (GF2D, REFAMPT) et du gouvernement.

Bien qu’ayant posé les jalons de la République revitalisée, les acteurs précités ne peuvent toutefois exercer une quelconque compétence en son nom et pour son compte en l’absence de tout mandat. Certes, l’on ne saurait dénier toute légitimité aux parties prenantes au dialogue. La participation d’un membre de gouvernement, de représentants de partis politiques parlementaires ou extra-parlementaires et de la société civile donne seulement à l’évidence une certaine solennité à l’APG. La présence au Dialogue de partis politiques disposant de députés à l’Assemblée nationale ne peut en aucun cas être assimilée à une délégation implicite encore moins explicite de compétence en matière de révision constitutionnelle post-crise.

Les parlementaires en tant que représentants du peuple souverain ne peuvent déléguer cette compétence à un autre organe. La supériorité de la Constitution s’oppose à ce que l’organe investi d’une compétence en délègue l’exercice à une autre autorité ou organe. On ne peut déléguer en effet qu’un pouvoir dont on peut disposer, or les gouvernants n’ont pas un droit propre sur leur fonction, elle leur est confiée en considération des garanties particulières qu’offrent leur mode de désignation et leur statut. S’ils pouvaient la déléguer à d’autres, c’est toute l’organisation du Pouvoir dans l’Etat qui serait mise en cause.  C’est alors de la Constitution que les gouvernants tiennent leur délégation. Comment pourraient-ils s’autoriser à déléguer sans détruire le fondement de leur autorité. C’est pour cette raison que dans les démocraties, les organes devant être investis d’une compétence constitutionnelle procèdent toujours directement du peuple et avec habilitation expresse.

B- L’APG n’est pas le fruit du peuple souverain
La deuxième voie d’élaboration de la Constitution est le recours au peuple par referendum (Constitution du 14 octobre 1992). Dans cette hypothèse, le texte élaboré par une commission, une convention ou par le pouvoir exécutif est soumis au peuple aux fins d’approbation. Cette deuxième hypothèse peut donc difficilement conférer une valeur constitutionnelle à l’APG d’août 2006. Il n’a pas été soumis à l’adoption du peuple par référendum.
Il reste alors à savoir si l’APG est une coutume constitutionnelle ou une convention de la Constitution.

C- L’incompatibilité de l’APG avec la coutume constitutionnelle et la convention de la Constitution
La coutume constitutionnelle, à l’inverse de la constitution coutumière, est analysée comme l’ensemble des pratiques politiques et institutionnelles auxquelles donne lieu l’application de la Constitution elle-même. Elles peuvent combler le silence de la Constitution, approfondir certaines de ses dispositions ou même être contraires à la Constitution. Cette hypothèse est à écarter ici, car en l’espèce, l’Accord Politique Global est un acte écrit et non des pratiques institutionnelles.

La convention de la Constitution est un arrangement ou un accord entre les institutions constitutionnelles destiné au bon fonctionnement des pouvoirs publics. La question de sa valeur constitutionnelle reste controversée. Pour les uns, un arrangement entre institutions constitutionnelles demeure une sorte de « constitutionnal moralities » et ne saurait avoir une valeur constitutionnelle, sa justiciabilité étant fortement contestée. Pour d’autres, il pourrait avoir une valeur constitutionnelle sur le fondement de ce qu’il s’agit d’une entente entre des institutions constitutionnelles pour dénouer une crise ou pour faire évoluer l’ordre constitutionnel.
Au bénéfice de ces analyses, l’Accord Politique Global ne peut pas être considéré comme une convention de la Constitution puisque les acteurs ne sont pas tous des institutions constitutionnelles stricto sensu. Il n’est un arrangement politique entre le gouvernement, une partie des partis politiques et la société civile.

II- Une valeur constitutionnelle discutée
Par la révision, une norme peut acquérir valeur constitutionnelle si elle est destinée à compléter ou à modifier une autre norme constitutionnelle. Il en est ainsi car les Constitutions, disait le doyen Collard, « ne sont pas des tentes dressées pour le sommeil ». L’adaptation de la Constitution aux situations nouvelles peut se révéler nécessaire lorsqu’il n’y a plus consensus sur certaines de ses dispositions. Un accord politique, à l’image de l’APG, pourrait alors entre autres tracer les voies ou poser les principes généraux à suivre en vue de sa réadaptation.

L’analyse de l’APG en vue de l’identification d’une probable valeur constitutionnelle sera alors conduite au double point de vue formel et matériel.

A- L’impossible valeur constitutionnelle au point de vue formel
Sur le plan formel, et en matière de révision, une norme constitutionnelle est celle dont l’adoption répond à une procédure fixée par la Constitution elle-même.

Au Togo, la voie royale de cette réadaptation est tracée par l’article 144 de la Loi fondamentale du 14 octobre 1992. La procédure d’élaboration de l’APG est-elle celle magistralement tracée par la Constitution togolaise ? Il serait hasardeux de répondre par l’affirmative. En réalité, l’APG en lui-même ne peut pas être vu comme un texte révisant la Constitution. Le point 3.1 stipule par exemple que « les parties prenantes au Dialogue s’accordent pour que le gouvernement d’Union nationale engage les réformes dans un esprit de large consensus ». De même au point 3.2, il est dit « les parties prenantes au Dialogue national engagent le gouvernement à étudier les propositions de révision constitutionnelle, notamment… ». En renvoyant la mise en œuvre des réformes au gouvernement d’Union nationale, il semble que l’APG n’entend pas opérer lui-même les réformes. Mieux, il ne constitue pas lui-même une réforme. Il se contente de prévoir les canaux dans lesquels doivent s’inscrire les actions du gouvernement. Il est alors clair que du point de vue formel, l’APG ne peut être vu comme un texte constitutionnel. Dans ce prolongement, quelle réflexion inspire-t-il au point de vue matériel ?

B- La possible valeur constitutionnelle au point de vue matériel
Sur le plan matériel, l’APG contient incontestablement des dispositions à caractère constitutionnel, car il traite des matières qui relèvent dans un Etat démocratique de la compétence du constituant. Il aborde des questions d’intérêt national : le fonctionnement régulier des institutions républicaines ; le respect des droits humains ; l’équité et la transparence des élections à savoir : les conditions d’éligibilité, le mode de scrutin, le découpage électoral, le contentieux électoral,… le régime politique, la nomination et les prérogatives du Premier ministre, les conditions d’éligibilité du Président de la République, la durée du mandat présidentiel….

Toutefois, il faut également relever que même à ce niveau, à l’exception notable de la question du mode de scrutin aux élections législatives (1.2.3), l’accord n’aborde les questions constitutionnelles que de manière-cadre. Il ne coud pas en effet une camisole en prêt-à-porter des réformes. Il prend la posture d’un aiguilleur qui montre la voie que devraient suivre les « réformateurs » de l’urgence et par suite l’organe de révision tel que prévu par la Constitution du 14 octobre 1992. On reconnaîtra dès lors au cadre de discussions de l’APG la qualité d’un comité consultatif à versant constitutionnel et social.

III- Feuille de route constitutionnelle ou petite constitution ?
L’APG serait-il une petite constitution instaurant un droit constitutionnel de crise ? Ou s’agit-il d’une feuille de route constitutionnelle devant irriguer l’esprit des institutions dans le cadre des réformes ?

A-Sur le plan formel
Conceptualisée par Marcel Prelot, la « notion de petite constitution » est définie récemment par Otto Pfersmann comme des normes « provisoires », parfois même formalisées, souvent uniquement matérielles », intermédiaires entre la Constitution révolue et la Constitution future encore au stade de projet. La « petite constitution » remplit une triple fonction étalée dans une triple dimension temporelle s’inscrivant dans une logique augustinienne faite du présent du passé, du présent du présent et du présent du futur.

Sur le premier temps, la « petite constitution » tout en symbolisant une rupture avec l’ordre juridique ancien opère au même moment une transposition de certaines composantes de cet ordre dans l’ordre nouveau. L’APG assure cette fonction puisque la Constitution politique n’est qu’en partie contestée et son versant social n’est nullement remis en cause. Sur le présent du présent, la petite constitution organise à titre transitoire les rapports entre les pouvoirs publics, sur la base d’un texte non nécessairement de forme constitutionnelle, et contribue à la définition d’un ordre juridique de relais. L’APG remplit également cette mission en prévoyant la mise en place d’une nouvelle Assemblée nationale, la recomposition de la Cour constitutionnelle et la formation d’un gouvernement d’union nationale auxquelles sont assignées des missions précises conformément à la feuille de route annexée à l’Accord (Annexe II). Sur le troisième temps, elle définit les conditions de formalisation de la Constitution « future » par la détermination de l’organe appelé à jouer le rôle de pouvoir constituant. A ce niveau également, l’APG précise en son point 1.1 que « compte tenu du rôle déterminant de l’Assemblée nationale pour la crédibilité des institutions démocratiques, la poursuite des réformes constitutionnelles et l’enracinement de l’Etat de droit, les parties s’engagent à créer les conditions qui garantiront des élections libres, ouvertes et transparentes ». Il revient donc au gouvernement (point 3.2) et au Parlement constituant de poursuivre et de mettre en œuvre les réformes.

On retiendra donc que sur un plan formel, l’APG vise à réhabiliter la Constitution du 14 octobre 1992. En effet, avant sa conclusion, il n’existait quasiment plus de consensus autour de l’ordre juridique institué par la Constitution de 1992. Celle-ci était contestée depuis sa première révision en 2002. Il fallait donc la sanctuariser par un accord politique en vue de la rendre consensuelle.

B-Sur le plan matériel
Cependant, sur le plan matériel, l’APG ne constitue pas en lui-même une solution à toutes les difficultés posées par l’absence de consensus politique autour de la Constitution. En effet, très peu de ses stipulations sont prescriptives. En d’autres termes, elles épousent pour la plupart une logique de réhabilitation de la Constitution mère par des propositions de piste de réformes. L’accord a ainsi été orienté vers les points de réformes sans préciser les principes fondamentaux qui doivent les guider. A titre illustratif, on mentionnera le point 1.2 qui dresse un catalogue d’éléments portant sur le régime électoral sans aucune indication sur leur contenu. Au paragraphe 1.2.7 relatif au montant de la caution « les parties prenantes au Dialogue conviennent de la réduction du montant de la caution pour les élections. Le taux de réduction sera fixé par le gouvernement » sans qu’on ne précise sur quelle base elle doit être indexée ou au regard de quels critères objectifs la réduction devra être opérée. Il en est des points 3.1 et 3.2. Sur ces derniers points, il est simplement dit que la réforme devrait prendre en compte « le régime politique, la nomination et les prérogatives du Premier ministre, les conditions d’éligibilité du président de la République, la durée et la limitation du mandat présidentiel, l’institution d’un Sénat, la réforme de la Cour constitutionnelle ».

Mais comment doivent s’opérer les réformes sur ces différents points ? Quels sont les principes qui doivent les guider ? Sur tous ces points notamment sur la question du mandat présidentiel au cœur de la politique du ping-pong entre une partie de l’opposition parlementaire et le parti au pouvoir, il est seulement dit que « les parties prenantes au Dialogue national, engagent le gouvernement à étudier les propositions de révision constitutionnelle…». Il semble, par conséquent, que l’APG ne peut qu’être considéré comme une feuille de route constitutionnelle au service des acteurs politiques et de l’Assemblée nationale. Il s’en déduit que l’APG ne peut que revendiquer le titre moins prestigieux de « petite constitution » a minima.

Que conclure alors si notre droit constitutionnel est encore debout : réviser la Constitution, hier, aujourd’hui et demain est une affaire sérieuse qui doit engager l’avenir au-delà de tous les jeux et enjeux politiques.
En attendant, l’APG n’a pas en lui-même valeur constitutionnelle.