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Liberté d’expression, lutte contre le terrorisme :Faure Gnassingbé qui ferme les radios et réprime les manifestations pacifiques au Togo, joue à Charlie en France

Togo - Politique

Paris, la capitale française a connu dimanche dernier une manifestation particulière, la marche républicaine organisée en condamnation de l’attentat perpétré le 7 janvier dernier contre le journal satirique Charlie Hebdo et ayant coûté la vie à une bonne vingtaine de personnes. Aux côtés de François Hollande, il y avait les chefs d’Etats et d’institutions de l’Union européenne, mais aussi du continent africain. Et parmi les dirigeants du continent qui ont cru devoir être présents à cette manifestation, se trouvait…Faure Gnassingbé. Il est allé défendre la liberté d’expression, puis crier haro sur les terroristes. Si seulement il était Charlie dans son pays aussi!
Faure Gnassingbé Charlie en France

Ils étaient une bonne quarantaine de chefs d’Etats et de gouvernements d’Europe et d’Afrique à assister à la marche républicaine ce dimanche à Paris, pour condamner les tueries qui ont fait une vingtaine de morts dont une bonne douzaine de journalistes, caricaturistes ou employés du journal satirique français Charlie Hebdo. Et dans le lot, on comptait six dirigeants africains : Boni Yayi du Bénin, Ali Bongo du Gabon, Ibrahim Boubacar Kéita du Mali, Mahamadou Issoufou du Niger, Macky Sall du Sénégal et notre bien-aimé (sic) Faure Gnassingbé du Togo. Si la solidarité est une valeur chère à l’Afrique, cette présence des dirigeants du continent soulève néanmoins quelques critiques plus ou moins légitimes. « IBK, lui, ne serait pas de la partie que l’on parlerait d’ingratitude. C’est la France qui a sauvé le Mali des mains des djihadistes à travers l’opération Serval. Le reste des dirigeants est allé en France pour entrer simplement dans les bonnes grâces de François Hollande. Je veux notamment parler de ceux qui sont tentés par des envies de s’accrocher au pouvoir, Ali Bongo, Boni Yayi et Faure Gnassingbé. Ils font les yeux doux à la France afin qu’elle ferme les yeux si éventuellement ils décident de rempiler (…) Boko Haram sévit au Nord du Nigeria et du Cameroun et plusieurs jeunes filles ont été enlevées depuis des mois. Pourquoi ces chefs d’Etat n’ont-ils pas manifesté pour réclamer leur libération ? Nègrerie !», râle un analyste. Passons.

La présence qui nous intéresse ici, nous autres Togolais, c’est sans doute celle de Faure Gnassingbé. Après avoir promptement réagi à l’attentat et envoyé un message de compassion à son homologue français, il a cru devoir participer personnellement à cette marche, pour apporter sa solidarité à la France. La solidarité est une des valeurs chères à l’Afrique, et le geste doit être plutôt salué. Mais Faure Gnassingbé participer à la marche, c’est d’abord se poser en défenseur de la liberté d’expression, puis grand protecteur du bien-être des populations. C’est ici que cela fait rire ou plutôt révolte certains, lorsqu’on jette un regard sur sa gouvernance en question.

…Et pourtant la liberté d’expression est martyrisée au Togo !

« Je suis Charlie ». C’est la phrase à la mode, la symbolique de la condamnation de cet attentat meurtrier en phrase. Par cette petite phrase sur des affiches ou des écriteaux, c’est d’abord l’engagement à la liberté de pensée, d’opinion et de presse que ses porteurs réaffirment. Joueurs et dirigeants sportifs l’ont réaffirmé le week-end dernier à l’occasion des matchs de championnats européens de football. A défaut de brandir aussi des affiches portant ce message, Faure Gnassingbé en s’associant à cette marche, le partage. Mais au Togo, les libertés de pensée, d’expression et de presse ne sont que relatives. Même si elles sont concédées par les textes, leur jouissance reste soumise à des restrictions.

Dans notre pays, ce n’est pas facile d’être critique à l’endroit du pouvoir. Les médias qui s’inscrivent dans cette dynamique s’exposent simplement à la faux du pouvoir. Sous Faure Gnassingbé, deux radios au moins ont été fermées. Il s’agit d’abord de X-Solaire, bâillonnée en novembre 2010 pour une histoire de récépissé. Même après avoir obtenu le précieux sésame après des démarches laborieuses, le pouvoir, à travers l’Autorité de régulation des postes et télécommunication (ART & P) et la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac), a trouvé des arguments pour la maintenir fermée, condamnant ses employés au chômage. C’est simplement le ton de la radio qui gênait. Ce fut ensuite le tour au lendemain des législatives de juillet 2013, de Légende FM. Ici aussi, la Haac n’a entendu aucune raison. Victoire FM est aujourd’hui dans l’œil du cyclone. A côté de ces radios, il y a aussi des journaux dont La Nouvelle, Tribune d’Afrique qui ont été fermés. D’autres qui tiennent encore sont quotidiennement l’objet d’acharnement, convoqués à la Haac pour un oui ou un non. La Justice étant sous ordre du pouvoir, ils sont harcelés de plaintes. Faut-il le rappeler, Faure Gnassingbé lui-même en a porté. Pour avoir écrit un article sur les incendies, le Directeur de Publication du quotidien privé Liberté, Zeus Komi Aziadouvo a été inculpé dans cette affaire. Une façon donc de l’empêcher d’aborder le sujet. Le confrère Félix Nahm de radio Légende, pour avoir fait une interview à Olivier Amah, le président de l’Association des victimes de la torture au Togo (Asvitto), a dû entrer dans le maquis afin de sauver sa peau ; et depuis il est introuvable.

Les médias critiques au Togo sont par ailleurs l’objet d’une asphyxie financière, privés de publicités de la part des sociétés d’Etat, et parfois de l’aide de l’Etat à la presse. La part devant revenir à Liberté au titre de l’année 2013 est bloquée par la Haac dont on a cru devoir récemment renforcer le pouvoir repressif. La sécurité même des journalistes est problématique. A part les agressions dont ils sont l’objet sur les lieux de reportage, des plans d’élimination physique sont parfois concoctés contre les responsables de journaux critiques, depuis les couloirs de l’Agence nationale de renseignement (Anr) ; et les concernés n’ont la vie sauve que par la grâce de la Providence qui leur fait toujours mettre la puce à l’oreille par un membre de la conspiration. Le confrère Younglove Egbeboua Amavi ne s’est-il pas vu arracher la mâchoire par un tir de grenade lacrymogène à bout portant lors d’une manifestation anti-loi liberticide de la Haac ? Le journaliste et politique Atsutsè Agbobli n’a-t-il pas été tué en août 2008 ? Quelle compassion Faure Gnassingbé Charliea-t-il manifestée à leur endroit ?

A part la liberté de presse, la liberté d’expression ou d’opinion est quotidiennement confisquée. Il ne fait pas bon d’être opposant irréductible à Faure Gnassingbé. Jean-Pierre Fabre et compagnie en savent quelque chose, eux qui ont été inculpés dans l’affaire des incendies criminels, juste pour les bâillonner. Les manifestations anti-Faure Gnassingbé sont réprimées par une rare violence. « Charlie à Paris, Kouachi au Togo », ainsi caricature un compatriote.

Il faut le dire, Paris se révèle finalement un rendez-vous de l’hypocrisie. La défense de la liberté d’expression dont s’auréole Faure Gnassingbé est assez relative. De même que sa fameuse lutte contre le terrorisme. Une chose est évidente, le terrorisme constitue l’une des menaces réelles à la paix et à la stabilité dans le monde et mérite d’être combattu à tout prix. Boko Haram, Al Qaeda et autres organisations terroristes ne devraient pas trouver de circonstances atténuantes. Mais le terrorisme ne devrait pas s’entendre que de la façon dont il se fait. « Il y a aussi des formes non moins pernicieuses de terrorisme. Je pense au refus de l’alternance au pouvoir, dans un pays qui se dit République et ayant opté pour la démocratie. 15 ou 20 ans pour le Fils après le Père qui a passé 38 ans au pouvoir, c’est inconcevable. Lorsqu’on débarque au pouvoir en marchant sur le crane et dans le sang de près de mille de ses concitoyens, refuse l’Etat de droit, viole allègrement les droits de l’Homme, réprime dans le sang les manifestations pacifiques, protège les criminels, utilise la Justice à des fins de règlements de comptes, quand des gens incendient des grands marchés et anéantissent en une nuit l’effort de toute une vie des gens, lorsqu’on instrumentalise l’armée pour s’imposer au pouvoir, on terrorise ses propres compatriotes (…) », relève utilement un observateur.

Tino Kossi