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La CEDEAO peut-elle relever le défi malien ?

Togo - Opinions
Nima Zara
Pendant que les supposés nouveaux maîtres du Mali sont occupés à régler leur problème de légitimité, la rébellion dans le nord du pays avance allègrement et conquiert ville après ville. C’est un fait qui retranche au putsch du 22 mars tout son sens et toute son éventuelle signification. La communauté ouest-africaine pourra-t-elle sauver le Mali de la double crise politique et militaire ? C’est un défi grandeur nature pour Alassane Ouattara, président en exercice de la CEDEAO et ses collègues présidents.

Trop vulnérables, nos démocraties
Le capitaine Amadou Sanogo et ses camarades d’armes ont réalisé l’un des putschs les plus faciles de l’histoire du continent. Une mutinerie, une descente en vielle puis, devant la redoutable facilité de l’avancée, c’est le pouvoir d’Etat qu’on confisque. Plusieurs observateurs font remarquer que le capitaine aujourd’hui chef de junte et ses camarades ne venaient pas à Bamako pour prendre le pouvoir. L’idée ou l’intention de départ était claire et sans ambiguïté : manifester leur agacement face au manque de moyens militaires pour affronter dignement les rebelles. Cette revendication, tout le monde le leur reconnaît, est légitime et, bien qu’une telle action ne soit pas toujours la bienvenue, on pouvait les soutenir et fermer les yeux là-dessus.
Curieusement, de Kati à Bamako jusqu’aux portes de la présidence, résistance zéro. Plus que du couteau dans du beurre, la troupe de mutins a avancé tant et si vite, en l’espace de quelques heures, le pays a donné le sentiment de se mettre à genoux devant eux. A la présidence, de président, point. Des gardes, rien à signaler de ce côté. Que fait-on alors ? Le pouvoir est par terre, il faut le prendre. Ainsi retrace-t-on le fabuleux enchaînement de circonstances qui a conduit au putsch du 22 mars dernier. Trop facile et à ce titre, toutes les tergiversations et les tâtonnements de ces soldats qui sont devenus subitement détenteurs du pouvoir s’expliquent par cette extrême facilité. Sans s’y attendre le moins du monde, Amadou Sanogo s’est retrouvé à la tête d’un pays. Le Mali n’est quand même pas une échoppe de famille dont on reprend la gestion à tout moment. Cela pose une fois encore la fragilité du tissu politique africain, avec lui, c’est la question du développement durable sur ce continent qu’il faut voir. Si l’on peut en quelques heures remettre en cause vingt années d’esquisse démocratique remarquable et heureuse, on peut mesurer la vulnérabilité et la précarité des démocraties que l’on construit ici et là sur le continent.

Des opportunistes méprisables
Après avoir poignardé dans le dos la démocratie malienne sans raison valable, la junte aurait pu montrer de la valeur en corrigeant les maquisards du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) que l’opinion nationale et internationale trouverait un quelconque sens à leur intrusion dans la politique. Confrontée à une vive contestation à Bamako, frappé d’ostracisme immédiat à l’international, la junte est prise entre le marteau et l’enclume. Conséquence : elle ne peut rien faire, elle ne fait rien sur le front de la guerre contre les rebelles touaregs. Ces derniers profitent plutôt de l’incapacité de la junte pour multiplier ses conquêtes. Tessalit, Kidal sont tombées sous leur joug ; Gao n’a pas pu résister longtemps. D’autres villes suivront de toute évidence, Amadou Sanogo et ses camarades assisteront impuissants aux victoires militaires du MNLA.
Pourtant, c’est le prétexte de réclamer des armes pour repousser ces rebelles qui les a sortis de leur caserne et les a conduits par un enchaînement d’événements hasardeux au sommet de l’Etat. Ils y sont mais les rebelles ne sont nullement inquiétés. Ils marquent leur territoire et ridiculisent même le capitaine et ses camarades d’armes, réduits à se camoufler derrière l’alibi de la volonté de ne pas faire tuer des Maliens par des Maliens pour tenter de justifier leur échec. Les rebelles Touaregs ne leur font pas de cadeaux, la CEDEAO de son côté leur a promis l’enfer s’ils ne retournent pas dans les casernes et laissent la politique aux politiques.

Dans les griffes de la CEDEAO
Inexpérimentée, la junte a cru pouvoir se défausser sur les manifestants qui ont occupé le tarmac de l’aéroport de Bamako le jeudi 29 mars. Or, quiconque a une certaine expérience politique, sait a priori que des citoyens ordinaires ne peuvent avoir accès à un tarmac d’aéroport au point d’y organiser un sit-in et une manifestation bruyante anti CEDEAO. Le coup tordu a malheureusement renforcé la détermination des présidents de la communauté sous-régionale. Dans leur repli tactique d’Abidjan, ils n’ont pas hésité à brandir le gros bâton contre les putschistes.
Laurent Gbagbo, qui s’est fait proclamer vainqueur d’une présidentielle alors que la commission électorale et des regards extérieurs mandatés officiellement à cette fin donnaient vainqueur son adversaire du second tour, a connu la menace de ce gros bâton. Pis, il en a fait l’amère expérience. Amadou Sanogo et ses camarades savent dorénavant qu’ils s’exposent aux coups de ce gros bâton si jusqu’aux premiers instants de ce lundi, ils ne reviennent pas à de meilleurs sentiments.
La CEDEAO a notamment menacé les nouveaux patrons du Mali de les asphyxier sur différents plans ? La fermeture des frontières voisines avec le Mali et la traditionnelle suspension des institutions communautaires apparaissent dans l’arsenal de répression comme le moindre mal. Le pouvoir de Bamako risque de manquer de toute ressource financière. La CEDEAO promet en effet de couper les comptes du pays à la banque communautaire, la BCEAO, et de fermer les ports de Lomé, Accra, Lagos, Cotonou, Abidjan, Monrovia ou encore Freetown et Dakar aux gros engins maliens qui font le fret sur la côte.

Pour un gros bâton, c’en est vraiment un car si d’aventure les comptes du pays étaient bloqués, la junte n’aura plus d’argent pour payer les fonctionnaires ni les soldats. En conséquence, on peut supputer un mécontentement général des populations sevrées et affamées, faute de liquidités dans le pays. Quant aux soldats, leur mécontentement ne pouvant jamais être comme celui des civils, Amadou Sanogo et les siens savent du coup ce qui se profile à l’horizon pour eux. Du pain sur la planche, il y en a donc pour eux, en attendant l’intervention militaire hypothétique annoncée par les présidents de la CEDEAO.
La CEDEAO pourra-t-elle relever le défi ?

La junte malienne est sous pression certes, car elle doit trouver des solutions aux équations MNLA et CEDEAO mais cette dernière institution n’est pas moins sous pression. Il lui faudra apporter la preuve qu’elle ne fait pas de la démagogie en réclamant le retour à la légalité constitutionnelle. Son défi premier et ultime est ainsi de réussir à renvoyer dans leur caserne de Kati, le capitaine Amadou Sanogo et tous les autres soldats qui sont entrés par effraction dans le cercle du pouvoir d’Etat. Le pari n’est pas mince.

En fin de matinée d’hier dimanche, la presse internationale a été informée de la décision du capitaine Sanogo de « rétablir la constitution de 1992 et les institutions républicaines » dans les heures qui devaient suivre. Le chef de la junte a également promis d’organiser des consultations générales avec toutes les forces vives du pays en vue de trouver un consensus national sur l’organisation des élections générales et le retour du pouvoir d’Etat entre les mains des civils. Selon des confrères européens qui ont eu la primeur de l’information, le ministre burkinabè des Affaires Etrangères, représentant de son président désigné médiateur, était assis aux côtés du capitaine lorsqu’il annonçait ses résolution. Faut-il y voir la réponse de la junte aux injonctions et menaces de la CEDEAO ?

A première vue, si la CEDEAO se satisfait de ces annonces qui ressemblent beaucoup plus à des proclamations d’intentions, elle donne raison à ceux qui n’y croyaient pas et qui soutenaient qu’elle va faire du bruit pour rien. La CEDEAO ne peut pas avoir demandé le retour des putschistes dans leur caserne pour ensuite se contenter d’une promesse de rétablissement de la constitution et des institutions. Quand cela va-t-il se faire ? Quand la rencontre nationale va-t-elle avoir lieu ? Quelle garantie y a-t-il que la junte va tenir parole ? L’argument selon lequel la junte « fait du dilatoire » est à prendre au sérieux. Il en est de même de celui qui souligne que la CEDEAO a fait beaucoup de bruits pour rien. Si la junte ne se retire pas ce lundi, elle aura fait chou gras et renforcé les doutes sur sa viabilité et son influence réelle dans la sous-région. La junte sera sortie grandie de son démêlé avec la CEDEAO car elle aura réussi à repousser l’échéance de la fronde financière.

La partie n’est pas encore perdue pour la CEDEAO, toutefois ; il lui reste à présent de se montrer vigilante et de contraindre la junte à quitter le palais de Koulouba dans les plus brefs délais. Il en va de sa notoriété et de sa respectabilité. Saura-t-0elle relever le défi ?

Nima Zara
Le Correcteur