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L’Afrique n’est pas maudite… L’Afrique est perfectible

Togo - Opinions
Pierre S. Adjété
Québec, Canada

Face aux crises politiques constantes et aux nombreuses incertitudes démocratiques s’élèvent ces souffles de désespoir poussés dans des soupirs éloquents : l’Afrique est maudite! Pourquoi donc à travers ses pays, l’Afrique serait-elle maudite? Il faut remettre les choses en perspective, et le Mali nous en offre l’occasion. Les rares expériences de démocratie en Afrique sont, elles-mêmes, largement insuffisantes, souvent sans aucun pare-feu républicain et encore très peu solvables ; ces expériences requièrent plutôt des améliorations sensibles, des rectifications démocratiques comme les respectables Blaise Compaoré de ce monde, en leur temps, en avaient fait pour leur révolution; aujourd’hui ils sont médiateurs dans la crise de démocratie au Mali… Modération!

Dans le Sénégal démocratique, pratiquement une dizaine de personnes ont été sacrifiées en quelques mois et sans grand recours, pour assouvir les derniers fantasmes démocratiques du seul Abdoulaye Wade finissant. Au Benin, c’est une liste électorale déniant le droit de vote à une jeunesse en désespoir de cause, et bien d’autres tartufferies démocratiques, qui ont servi à la réélection du Yayi Boni aujourd’hui drapé en immaculé protecteur de la démocratie en Afrique. Il est entendu que le Niger ne doit sa survivance démocratique qu’à un salutaire coup d’État implorée par tous les citoyens et acclamée des deux mains par une Afrique politique soulagée et d’emblée ragaillardie.

Pour autant, il n’est nullement question de cautionner des coups d’État en Afrique, chez qui que ce soit. Des assainissements démocratiques sont néanmoins nécessaires sur le continent africain, notamment au Sénégal, au Benin, au Niger et au Mali; ce sont là les rares exemples de certification démocratique avancée que peut compter la grande Afrique francophone, s’il faut donner du temps à sa plus puissante économie, la Cote d’Ivoire, de se remettre de ses derniers errements.

Le Mali? Effectivement, c’est retranché sur les hauteurs de Koulouba, le palais présidentiel, qu’Amadou Toumani Toure (ATT) a misé seulement sur sa gentillesse pour gouverner le Mali. Des années durant, protégé par le nimbe de son rôle dans l’avènement de la démocratie au Mali, ATT n’a réellement fait la démonstration de son engagement démocratique que lorsque les événements et la tournure des choses l’y forçaient. Prudence incarnée, homme gentil, militaire poli, personnalité affable, quiconque a une seule fois rencontré ATT ne peut s’empêcher de faire ce constat d’une humilité sincère et directe chez le président malien.

L’envers d’ATT est malheureusement son inaction légendaire au seul profit de sa débonnaireté. Crise en Côte d’Ivoire… Quelle crise? Crise en Libye… De quelle crise parlez-vous? Crise au Mali que vous dirigez… Pas de crise au Mali, puisque je suis venu en politique par la crise moi-même. C'est-à-dire que le Mali est occupé par des rebelles Touareg et des militaires sont sommairement exécutés dans le nord du pays… Vous voyez de la crise partout; n’oubliez pas que je suis militaire avant tout.

C’est cette indolence politique qui se referme sur ATT d’une manière si brutale. La démocratie n’est pas le déni : « Jusqu'à sa chute dans la nuit du 21 au 22 mars, Amadou Toumani Touré, dit "ATT", aura adopté le masque du déni. Déni des menaces pesant sur son pays, ainsi que de la fragilité de son régime tombé comme une mangue mûre sur les hauteurs du palais de Koulouba » écrit d’ailleurs La Lettre du Continent dans sa dernière parution de ce mars 2012 interpellateur pour l’Afrique, vingt ans après les soubresauts démocratiques de fortunes diverses sur ce continent.

Sur jeuneafrique.com, le fils d’Alpha Oumar Konaré, Baba, se surprend à trahir le légendaire silence de son père de premier président du Mali démocratique. À coup de « Je », il témoigne de la léthargie ambiante très caractéristique de l’ère ATT, avoue que « les infâmes replis stratégiques de l’armée étaient des défaites avilissantes » et soutient clairement : « Je suis contre le conflit armé face au MNLA, je suis contre la mort de Maliens, loyalistes ou rebelles, ou mutins. Au delà de ça, je suis contre toute perte de vie humaine, quelque soit son origine sociale, ethnique, nationale, religieuse. Je suis pour le dialogue, pour le respect, pour les idées de générosité et de bienveillance. À partir de cela, j’ai été, et je suis encore contre l’envoi de soldats maliens au nord du pays pour combattre le MNLA. Les autres groupes, c’est autre chose. Le MNLA peut nous aider, les Africains peuvent nous aider, les Occidentaux peuvent nous aider. Il en va de notre bien. Il me semble que si nous n’avions pas exposé nos soldats –surtout avec la manière dont cela a été fait, nous ne serions pas dans cette situation de crise. Il aurait fallu agir fermement, plus tôt. »

Les candides propos de Baba, n’excluent pas une certaine nécessité de prise de la parole qui s’impose à son père, l’ancien président du Mali, par ces temps difficiles. La communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) quant à elle ne s’est pas fait prier pour s’imposer et demander le départ des militaires putschistes et le rétablissement de « l’ordre constitutionnel ». Trop brutalement!

En réalité, le principe même du coup de force et les moments choisis jouent à la défaveur des militaires putschistes. La fermeté particulière des présidents ivoiriens et burkinabé à leur encontre, est de ce fait prévisible. À la tête des pays de la CEDEAO, Alassane Ouattara dont le Côte d’Ivoire qu’il dirige sort d’une guerre politique tout comme Blaise Compaoré irrité par les récentes intrusions de ses militaires dans l’espace public burkinabé avaient tous les deux dépassé leur seuil de tolérance sur l’échelle des incertitudes politiques dans la sous-région.

Du dialogue s’impose toutefois avec les nouveaux maitres de Bamako, maintenant qu’ils ont profité des faiblesses notoires d’ATT pour renverser son pouvoir et fragiliser la démocratie malienne. Sans dialogue, et seulement à coup d’ultimatum et de sanctions, la situation risque de s’envenimer et faire monter une dangereuse fièvre nationaliste chez une partie des Maliens. C’est en cela que la démocratie est perfectible dans les États africains, et à coup d’exemples de bonne conduite pour les dirigeants.

Impatience démocratique à la malienne, soif humaine de dignité chez des militaires privés de moyens pour défendre leur pays alors que la hiérarchie militaire est peuplée de « généraux de salon », le verrou de la « démocratie de mirage » qui s’éparpille en Afrique a fini par sauter au Mali, un pays faiblement outillé pour contrer l’insécurité grandissant au Sahara. Autant les erreurs grossières des pouvoirs démocrates ne freinent nullement la démocratie, autant les intrusions passagères des militaires ne pourront normalement pas altérer cette démocratie, quoique fragile.

À quelques jours des nouvelles élections présidentielles au Mali, ici également et vitement, le Grand Pardon devrait aider à transcender les difficultés du moment. Blessés dans leur dignité de militaires face à l’occupation facile du territoire malien par des rebelles, ces mutins transformés en putschistes de circonstance ne présentent aucun muscle ni habileté pour prétendre garder le pouvoir au Mali des temps modernes. Leur intrusion force seulement le débat démocratique qui se doit d’advenir en dehors de toute excitation intellectuelle ou mesures correctives draconiennes.

Le dialogue et la lucidité viendront à bout de la situation malienne beaucoup plus efficacement que l’excitation réactionnaire. C’est d’ailleurs l’avis du malheureux président sortant ATT lui-même : « Le plus important pour moi aujourd’hui, ce n’est pas ma personne… Le plus important d’une manière consensuelle avec l’ensemble de la classe politique malienne et l’ensemble des parties prenantes, de tous les chefs d’États de la CEDEAO, c’est de dégager une sortie de crise… ». Comme l’Afrique est perfectible, le Mali l’est aussi dans sa démocratie de façade avant que tous les États africains n’entrent véritablement en démocratie vraie et comptable.


31 mars 2012