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Evaluation Périodique Universelle (EPU) sur la situation des droits humains au Togo : Entre hypocrisie et double jeu, la bonne volonté reste à prouver

Togo - Opinions
Nima Zara
La libération in extremis des prisonniers politiques notamment militaires et civils à la veille de la présentation par le gouvernement togolais de son rapport sur la situation des droits de l’homme dans le pays a plutôt œuvré à accréditer la thèse selon laquelle la bonne volonté naturelle n’existe pas. Si l’EPU n’était pas à l’ordre du jour, on n’aurait donc pas senti la nécessité de libérer ces citoyens incarcérés sans preuves ni procès. A la fin, c’est un jeu fait d’un dosage disproportionné d’hypocrisie et de proclamation d’intentions qui devient le violon d’Ingres du pouvoir de Lomé.


Toute la bonne volonté du monde
A la tribune de l’Evaluation périodique universelle (EPU) le 15 mars dernier, le gouvernement de notre pays a présenté un rapport sur la situation des droits de l’homme au Togo. Sans que l’on sache trop pourquoi, cette fois-ci, ce ne fut plus le « grand expert » des questions de droits humains, le ministre des arts Hamadou Yacoubou, qui a joué le rôle du ministre des droits de l’homme. La titulaire du portefeuille est « entrée dans ses droits », et c’est donc elle qui a présenté aux membres du Conseil des droits de l’homme des nations unies la déclaration officielle du Togo.
Selon la ministre Doris Wilson, le Togo exprime sa gratitude à tous les pays qui l’ont aidé lors de la présentation de son précédent rapport le 06 octobre 2011. Elle a rappelé les résultats de cette séance, à savoir les 133 recommandations qui ont été faites au Togo, en précisant que le pays en a accepté 112, mis en étude 10 et rejeté 11. De plus, la déclaration établit que le Togo va présenter pour la dernière séance du 15 mars ses réponses aux différentes sollicitations. Ces réponses ont porté sur quatre points notamment les réponses aux recommandations différées, les progrès réalisés depuis le passage du pays devant le conseil des droits de l’homme, les mesures prises suite au rapport d’enquête de la CNDH et le plan d’action national, de mise en œuvre des recommandations issues de l’EPU.
Au premier point, les réponses aux recommandations différées, le gouvernement du Togo a informé le conseil des actions entreprises dans le cadre de la ratification des traités et protocoles internationaux. Si en ce qui concerne les conventions pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et pour la protection des travailleurs migrants et des membres de leurs familles, ce sont des chantiers qui sont ouverts, le Togo a exprimé sa joie de porter à la connaissance du conseil l’adoption par l’Assemblée Nationale togolaise de la loi autorisant la ratification de la convention de l’UNESCO contre la discrimination dans le domaine de l’éducation.
Au chapitre des progrès réalisés depuis le dernier rapport, la déclaration de la délégation togolaise a mis en relief différentes actions dont on peut retenir le lancement du Programme National d’Investissement Agricole (PNIASA) censé œuvrer à la réduction de la pauvreté en milieu rural, la certification obtenue par le pays pour l’éradication du ver de Guinée ainsi que le recrutement de 500 surveillants de prison opérationnels dans 6 mois.
En outre, la déclaration a rappelé les 13 mesures prises au lendemain du scandale du rapport de la CNDH, lesquelles mesures sont présentées comme le fait de la bonne volonté du pouvoir. En précisant que « la ferme volonté du gouvernement togolais de s’acquitter de ses obligations en matière de droits de l’homme est irréversible », la déclaration a décrit le plan national qui doit aboutir à la mise en œuvre des diverses recommandations issues de l’Evaluation Périodique Universelle (EPU). Elle réaffirme en guise de conclusion la détermination du gouvernement « à tout mettre en œuvre pour faire de la promotion et de la protection des droits de l’homme le socle, la vision et (sa) nouvelle orientation pour le développement (du pays) et l’épanouissement intégral des Togolais. »


Rapport de la CNDH : une récupération malheureuse
On suppose que les membres du conseil des droits de l’homme des nations unies et les ambassadeurs présents ont ajouté foi au contenu de la déclaration du gouvernement togolais. Toutefois, vu de Lomé, il est évident que la déclaration contient des actions sujettes à caution. En l’occurrence, tout le monde peut s’étonner valablement et justement de la récupération que le gouvernement a faite du rapport de la CNDH sur la torture à l’Agence Nationale de Renseignements (ANR). A y voir de près, on est tenté de croire que ces mesures annoncées à Lomé et déplacées à Genève sont l’émanation de la libre volonté naturelle du gouvernement de Faure Gnassingbé et de Gilbert Houngbo. Ce n’est pas un secret que c’est après bien de tergiversations et de réticences que ces mesures ont été possibles.
De ce fait, il est flagrant que le gouvernement de notre pays est dans une situation de récupération d’un rapport qui aurait été autre si la vigilance et la bravoure des membres de la commission n’ont pas été de mise. Pourquoi le gouvernement du Togo se gargarise d’avoir fait faire une enquête et produire un rapport sur la torture alors que tout le monde sait que, pour cela, il a fallu la levée de boucliers des médias et des organisations de défense des droits humains ? En retournant à l’origine du problème, on peut rappeler que c’est au cours du procès dans l’affaire de tentative de coup d’Etat d’avril 2009 que des prévenus ont soulevé les tortures dont ils ont été victimes à l’ANR. Un premier paradoxe est que le juge qui rendait la décision de justice n’a pas trouvé opportun de tout annuler et a fait poursuivre le procès jusqu’à condamner les accusés à de lourdes peines de prison. Ce rappel permet de dire qu’en fait, le rapport de la CNDH n’est point l’aboutissement d’un processus régulier. A l’origine, il y a eu des violations de droits humains dont le gouvernement a pris acte, sans s’en plaindre ni s’en émouvoir.
Un deuxième paradoxe concerne le scandale attaché à la publication du rapport. Le président de la CNDH, M. Kounté, n’aurait pas fui pour se réfugier à Paris, les autres membres de la commission ne seraient pas honnêtes et courageux que l’opinion nationale et internationale se serait contentée du rapport qui nie les cas de torture à l’ANR. Nul n’ignore aujourd’hui, au Togo comme à l’étranger, que c’est cette détermination des membres de la commission qui a permis la publication de ce qu’on appelé la « version authentique » du rapport. Dès lors, c’est très surprenant qu’un gouvernement dont les services et les auxiliaires à certains niveaux ont tenté de manipuler et d’édulcorer un rapport trouve subitement l’audace de présenter ce rapport comme une réussite et un fait d’arme. C’est indécent et à la limite impudique. C’est davantage impudique et moralement choquant quand on souligne que le rapport tronqué est apparu premièrement sur le site officiel de la primature puis sur celui du pouvoir. En somme, bien qu’on doive se réjouir du triomphe de la vérité par la publication finalement du rapport authentique, il est clair que le gouvernement n’a pas voulu qu’il en soit ainsi.
La pertinence des 13 mesures, voilà le troisième paradoxe ? A-t-on besoin de signaler encore que la première mesure que tout le monde a souhaitée était la démission du directeur de l’ANR ? De sorte que, pour avoir montré qu’il est incapable une décision de si grande importance communicationnelle et politique, le gouvernement n’a pas comblé les attentes des citoyens. Le cirque organisé autour des 13 mesures laisse plutôt perplexe, vu que ces mesures sont encore des déclarations d’intentions, pour la plupart.


Bonne volonté à prouver
Devant les membres du conseil des droits de l’homme, la ministre Wilson a clamé l’engagement du gouvernement pour la promotion et la protection des droits de l’homme. Elle a affirmé ainsi que le Togo « a conscience que la promotion et la protection des droits de l’homme, non seulement contribuent au développement, mais constituent aussi un facteur essentiel de stabilité et de paix sociale ». C’est bien dit.
Cependant, à l’analyse des faits, peut-on dire que c’est la vérité ? A-t-on oublié que la protection des droits humains est facteur de paix sociale avant de cautionner et de couvrir l’injustice flagrante par laquelle des députés élus au suffrage universel direct ont été chassés de l’Assemblée Nationale sans raisons ? A-t-on oublié cette évidence avant de garder en détention depuis 7 ans des citoyens qu’on n’a pas jugés ? Où était cette conviction lorsque la Gendarmerie et la Police réprimaient sans ménagements les militants de l’opposition dans les rues de Lomé ? Où est cette conviction quand on se montre incapable de démissionner un directeur de service spécial coupable d’avoir organisé la torture des citoyens non encore reconnus coupables ? Que vaut cette conviction lorsque Eugène Atigan est jeté en prison sans qu’on puisse montrer l’objet du délit ?
Chacun des 6 millions de Togolais soulèverait sans doute une question de ce genre, si l’occasion lui en était donnée. Les discours sont faciles, les actes le sont moins. Tous les citoyens du monde ne jugent que sur pièces, sur les actes. Sur ce plan, ce n’est pas faux que Faure Gnassingbé et les siens ont du travail à faire pour combler les attentes des Togolais. Le double jeu et l’hypocrisie n’y feront rien.


Nima Zara
Le Correcteur