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Affaire des neuf députés ANC : Flou et fuite en avant dans une décision biaisée au relent de corruption

Togo - Opinions
Nima Zara
La Cour de justice de la CEDEAO a-t-elle peur de dire la vérité ? A-t-elle peur de dire le droit et de décider clairement si les députés bannis doivent être réintégrés à l’Assemblée Nationale ou non ? Une autre question : le Togo aurait-il influencé la décision de la cour de façon à faire prévaloir le doute qui profite au gouvernement ? Davantage aujourd’hui, ces questions revêtent chacune un épais manteau de pertinence et d’évidence. En renvoyant les deux parties à sa première décision, la Cour de la CEDEAO affiche une attitude bien curieuse. Au-delà de ce flou, la situation ainsi créée n’est pas sans conséquences immédiates sur la politique nationale.

Refus de statuer
L’opinion nationale togolaise a attendu longtemps et dans une grande frénésie et impatience la décision de la cour de justice de la CEDEAO. Après la grande guerre d’interprétation générée par la décision du 7 octobre 2011, tout le monde croyait que la cour se ferait plus précise et plus pertinente. A la date du 13 mars dernier, la décision était encore attendue. La déception est à la hauteur des espérances. Non seulement les juges ont refusé de clarifier leur décision mais aussi et surtout elle avance à nouveau une formule vide et prolégomène comme « renvoyer l’Etat togolais à ses responsabilités ».

En effet, en statuant en ce mardi 13 mars, la Cour de justice de la CEDEAO a indiqué aux plaignants qu’elle ne peut pas dire plus qu’elle a déjà dit. Selon un communiqué de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC), « il apparaît que la Cour de Justice de la CEDEAO, après avoir rappelé son arrêt N° ECW/CCI/JUD/09/11 du 7 octobre 2011, établissant que les neuf députés n’ont jamais démissionné, déclare n’être pas compétente pour prononcer leur réintégration qui, selon elle, aurait dû découler de cet arrêt ». On peut commenter justement que selon la dernière décision de la Cour, cette juridiction n’a pas le pouvoir de dire au gouvernement togolais « rends-toi, réintègre sans attendre les députés abusivement bannis ». De même, la cour pense que ce n’est pas à elle de dire que les députés doivent retourner à l’Assemblée Nationale. Elle se contente du coup de sa litote du 7 octobre de l’année dernière.
Selon le même communiqué, la rétractation de la cour signifie que pour elle, le gouvernement du Togo doit tirer les conclusions adéquates de la première décision et prendre les dispositions nécessaires. Le communiqué dit notamment que « la Cour de Justice de la CEDEAO note donc que cette réintégration relève d’un règlement interne dans lequel l’Etat est mis devant ses obligations de bonne justice et de bonne gouvernance ». Le Togo sera-t-il capable de prendre ses responsabilités ? C’est un autre débat.

Des soupçons de corruption et de manipulation
Dans sa forme, la décision de la cour suscite des inquiétudes et des interrogations justifiées. Il est étonnant en effet que cette cour soit incapable de préciser sa pensée, si tant est qu’elle est sûre de ce qu’elle a dit. Voilà un juge qui a rendu une décision que les parties interprètent chacune à sa manière ; on demande au juge de clarifier sa pensée pour que chaque partie sache à quoi s’en tenir. Contre toute attente et contre tout bon sens, le juge ne trouve rien de mieux à dire que de renvoyer les parties à relire la première décision et à la comprendre comme il faut.
Voilà sans doute une attitude bien singulière de la part d’une juridiction communautaire censée dire le droit et départager les parties en conflit. Pourquoi alors la cour de la CEDEAO semble malaisée à dire clairement ce qu’il en est dans l’affaire des députés bannis ? La situation de flou révoltant et surprenant créée par la cour suffit pour soulever des soupçons de corruption et de manipulation tous azimuts. Une source dit que la présidente de la cour Mme Awa Nana aurait influencé la décision dans le but de ne pas couvrir de honte ses « amis du pouvoir RPT ». Une autre source soutient que c’est le chef de l’Etat Faure Gnassingbé en personne qui aurait tiré les ficelles de façon à entretenir le flou dans le verdict de la cour.

Selon la première source, des attitudes coupables et suspectes ont été observées au cours de la séance du 7 octobre 2011. La source fait ainsi observer que, pendant que l’assistance et les conseils des deux parties attendaient le délibéré de la cour, Mme Awa Nana aurait retenu les jurés durant trois heures d’horloge. Ce n’est qu’après que les jurés ont pu s’installer pour présenter leur décision. La position est que, au cours de cet entretien, la présidente de la cour aurait donné « les dernières consignes » à ses collègues. Ces consignes, dit-on, étaient destinées à édulcorer la décision afin d’ouvrir la brèche de toutes les interprétations.

La même source défend la thèse selon laquelle, pendant que le juré capverdien Benefeito Ramos lisait la décision, il a été interrompu par un assistant qui lui a parlé aux oreilles 2 ou 3 minutes durant. Cette intervention revient à cette source comme un rappel des consignes de la présidente. Par-dessus tout, cette première source fait remarquer que ces différentes influences ont fait que la décision originelle que le juré Ramos devrait présenter a été manipulée en son paragraphe 69 qui a été travesti et transformé en un paragraphe 68 dans lequel la violation perpétrée par la Cour constitutionnelle du Togo en omettant d’écouter les députés concernés n’est plus mise en relief.
La deuxième source semble croire que la manipulation a été ficelée par Faure Gnassingbé en connivence avec la présidente Awa Nana. Les dés auraient ainsi été pipés au cours d’un sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO tenu à Abuja autour du 4 octobre 2011, soit 3 jours avant la décision.

Quelle est la marge de vérité de ces sources et thèses ? On saurait le dire mais une certitude est que le refus obstiné de la cour de dire concrètement sa pensée cache mal un malaise. Ce malaise peut trouver dès lors son origine et sa source dans des pressions éventuelles qui auraient été faites dans le sens de faire triompher la position arbitraire et liberticide du pouvoir RPT. En se montrant incapable de préciser sa pensée et de remettre le sort des citoyens opprimés à la bonne foi et au bon sens d’un gouvernement réputé fin manipulateur, la cour de la CEDEAO ouvre la porte et autorise toutes sortes d’interprétations et de soupçons. Quand on considère l’épisode du rapport à scandale de la Commission Nationale des Droits de l’Homme sur la torture, on a toutes les raisons de croire à la thèse de la manipulation et du conditionnement. C’est bien dommage pour la CEDEAO en général et pour la cour de justice en particulier.

Des conséquences politiques évidentes
Avant même que la décision de la cour de justice ne soit connue, elle était déjà l’objet de marchandage politique. Longtemps, le parti des députés bannis a conditionné tout dialogue avec le gouvernement par la réintégration desdits députés. A l’ouverture récente du dialogue RPT-CAR-ANC, la condition a été rappelée et le gouvernement s’est engagé à se soumettre à la décision qui allait être rendue. A présent que c’est la première décision qui est reconduite, le dialogue pourrait souffrir de la querelle d’interprétation à venir.

Il n’est pas exclu que dans le camp de l’ANC, on comprenne la décision de la cour comme signifiant la réintégration des députés bannis. Sur cette base, on attendrait du gouvernement qu’il tienne sa promesse de se soumettre à ce que la cour va décider. Il est même possible que l’ANC mette sur la table le retour des députés comme préalable à la poursuite des discussions engagées depuis peu.

On peut supputer sans grand risque de se tromper que, fidèle à sa logique de ne pas perdre la face dans le dossier, préférant payer des dommages intérêts que de faire réintégrer les députés bannis, le gouvernement prétexte que la cour n’a pas statué clairement et pour cela refuse de satisfaire la condition de l’ANC. Chacun peut imaginer ce qui pourra se passer alors. Blocages, tiraillements, craintes et incertitudes pour l’avenir. Ainsi se décline le signe indien qui marque la politique nationale depuis plus de 20 ans.

Nima Zara
Le correcteur