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L’Introduction de la Notation dans la zone U.E.M.O.A (Première Partie)

CHRONIQUE - Finances et Economie
     Par Seydina Mohammadou Rassoul TANDIAN*

Première Partie

Le CREPMF (1) vient d’organiser au courant du mois de février dernier à Dakar, un séminaire de réflexion sur « La réforme des garanties et l’introduction de la notation dans le marché financier sous régional BRVM » (2)
Au-delà de l’événement pris comme prétexte à cet article, nous avons souhaité fournir dans les développements qui suivent, un bréviaire à l’usage des dirigeants, journalistes, étudiants et chercheurs, qui nous interpellent souvent à propos de la notation. Puis dans une seconde partie, esquisser les contours que pourrait revêtir l’introduction d’une activité pareille dans notre zone économique.
La notation ou rating suscite souvent des interrogations, des inquiétudes voire de faux espoirs. En tous cas ne laisse pas indifférent quant à son opportunité, sa « légitimité »mais surtout ses contours souvent méconnus de la plupart.
Aussi, nous a t-il semblé opportun, de porter quelques éclairages sur le ton de la vulgarisation au risque de heurter l’orthodoxie de quelques initiés de l’art dont je sollicite ici toute l’indulgence pour un essai nécessairement limité et que je soumets à leur juste délibéré.

Imaginons maintenant, les Etats-Unis du début du vingtième siècle, moment de grande expansion, plus exactement en 1909, les chantiers de chemins de fer fleurissent, le marché financier bat son plein et les possibilités d’enrichissement et de croissance du nouveau monde s’annoncent sans fin. Peu avant, en mai 1896 , Charles Dow, qui a créé une agence de presse avec Edward Jones, publie le premier indice des valeurs industrielles construit à partir d'une liste de douze titres (Dow Jones- un seul, General Electric, en fait toujours partie). La liste sera portée à vingt en 1916 et à trente en 1928. Le célèbre indice boursier est né. Il synthétise en un seul chiffre la performance des 30 valeurs industrielles le composant. Les Infrastructures ferroviaires sont avides de capitaux et vendent à tour de bras du papier sur le marché pour se financer.

C’est dans ce contexte qu’un journaliste du nom de John Moody, régulièrement, écrit des papiers focalisant sur la capacité des entreprises de chemins de fer à tenir leurs engagements.
Ainsi naquit la notation.

Il créât Moody's Investors Service en 1900, et commence à noter les émissions obligataires des compagnies de chemin de fer en 1909. Le but : apprécier la capacité de l'émetteur d'un emprunt à honorer ses engagements, c'est-à-dire à rembourser en temps et en heure, et à respecter les échéances de paiements des intérêts.

Comment une telle activité ne devait - elle pas connaître un succès, et, partant de là se sophistiquer avec l’incroyable imagination de l’ingénierie financière et des banquiers quand on sait ce qui s’en suivit ?

Depuis, la crise de 29 est passée par-là, les chocs pétroliers, les crises boursières, la globalisation et l’intégration croissante des marchés financiers, l’expansion des dernières années de la fin de ce siècle. Et plus récemment les marchés financiers émergents et les scandales boursiers à rebondissements inédits dans l’histoire des marchés financiers réputés quasi infaillibles ?

L’impératif de protection des investisseurs, objectif primordial des régulateurs de marché et conséquence du développement fulgurant des marchés obligataires américains ont mis au premier plan la nécessité de la notation et son essor.
C'est la Caisse Nationale des Télécommunications qui, en 1975, a ouvert la voie de la notation en France. Mais ce n'est véritablement qu'au cours des années 80 que le « rating » se développe, notamment dans la foulée du développement d'un marché de titres de créances négociables (billets de trésorerie, certificats de dépôts...

L’expansion est remarquable durant ces années ; elle s’est diversifiée et porte dorénavant sur tous les titres de créances négociables, favorisée en cela par l’importance des liquidités cherchant à s’investir, notamment sur des émetteurs à la qualité douteuse dénommés les Junks bonds.

En résumé, apprécier la capacité de l'émetteur d'un emprunt à honorer ses engagements, c'est-à-dire à rembourser en temps et en heure, et à respecter les échéances de paiements des intérêts devenait cruciale à mesure que les marchés se modernisaient et se développaient et qu’au même moment, les liquidités cherchaient le profit là où elles pouvaient bien les trouver.

Ce besoin graduel d’informations a été le moteur de la croissance du rating durant les trente dernières années. La Notation se spécialise aussi. Celle des institutions de micro- finance, la notation des fonds d’investissements, la notation sociale ; la notation environnementale ; la notation en matière de gouvernement d’entreprise (corporate governance) constituent les nouveaux horizons du métier.

Mais alors, comment la notation parvient-elle contribuer à l’efficience des marchés financiers, en évaluant le risque des émetteurs, à amoindrir l’asymétrie de l’information et éviter les biais sur le marché ?
Nous tenterons de dévoiler ici la substance du métier, en tentant une explication simplifiée de la méthodologie, puis de l’usage fait par les investisseurs des notes attribuées aux émetteurs.
Puisqu’il s’agit en dernier ressort d’apprécier la probabilité d’un organisme donné à faire face en temps et en heure aux échéances en principal et en intérêt de ses engagements financiers;nous mesurerons d’abord toute l’étendue des applications possibles en se limitant ici aux plus usitées.
La notation financière vise à caractériser le risque d’un titre (titre de créance notamment) ou, plus généralement, le risque associé à un émetteur. Elle s’applique donc à toutes les organisations qui empruntent sur les marchés de capitaux, notamment les entreprises (publiques et privées) et les Etats.

Nous utilisons ici le terme d’émetteurs par commodité de langage et parce qu' historiquement la notation financière a vu le jour sur le marché obligataire. Aujourd’hui, le spectre d’activité de la notation recouvre en réalité non seulement les émetteurs stricto sensu, mais une variété d’autres acteurs qui se font aussi noter. (Etats(3) -généralement appelés souverains, Communautés d’Etats, collectivités locales, Etablissements publics(expl CEMAC), Instituts d’émissions, Assurances, entreprises de tous secteurs, Etablissements universitaires, Institutions financières décentralisées.

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1. Conseil Régional de l’Epargne Publique et des Marchés financiers basé à Abidjan- sans doute à tort l’organe intégré le moins connu de l’UEMOA

2. Séminaire dont la synthèse et les recommandations sont disponibles sur le site du CREPMF www.crepmf.org

3 Le Sénégal en tant que pionnier en Afrique de l’Ouest (2000)ainsi que plusieurs autres pays africains ont été notés récemment à travers une initiative PNUD et Trésor américain. Cf. www.finances. gouv.sn



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Ajoutons aussi qu’en dehors des émetteurs, l’émission elle-même peut être notée, voire des projets de financements notamment les financements structurés, les opérations de titrisation, et les montages financiers dans le cadre de PPP.

Dans les marchés financiers développés, presque toutes les entreprises émettrices de titres de créance sur les marchés de capitaux sont notées par une agence externe (cette notation est obligatoire sur la plupart des marchés. Certaines de ces entreprises sont elles-mêmes cotées en bourse, d’autres non – par exemple les entreprises d’Etat. A l’inverse, de nombreuses entreprises cotées en bourse ne sont pas soumises à la notation par exemple les « blue chips ».

Précisons d’emblée que la notation doit d’abord et avant tout être prise pour ce qu’elle est réellement : Une opinion, un avis que l’agence donne en toute indépendance et qui n’engage qu’elle. Il ne s’agit pas d’un conseil donné à l’investisseur d’acheter, de vendre, d’échanger ou de conserver un titre.
Cette opinion est fondée sur des principes qui sous tendent l’activité et sur un processus interactif entre l’organisme noté et l’agence qui délivre la note.

Au premier rang de ces principes, il faut noter la place primordiale de l’analyse quantitative et qualitative qui, partant de l’analyse des ratios financiers clés de l’organisme évalue subjectivement la stratégie, les processus opérationnels, la direction, la situation concurrentielle, l’environnement réglementaire ainsi que les risques consubstantiels à l’organisme noté.
Dans la mesure où, la note est prédictive, l’autre principe de la notation est (sans lire dans une boule de cristal), de faire de la prospective.

C'est dire qu'on doit réserver les modèles à base quantitative aux situations à très faible changement, où "tout reste égal par ailleurs" : leur domaine exclusif est celui du court terme.
En matière de risque à long terme, les modèles déterministes statiques ne deviennent plus opératoires. On envisagera donc le changement brusque ou lent des paramètres, des relations entre variables, la modification de la liste de variables pertinentes, des modèles et même des raisons pour lesquelles un pays utilise ou non un certain modèle de développement économique.
Enfin, la notation ne découle pas uniquement d'évènements antérieurs qui ne nous sont d’aucune utilité pratique pour l'avenir. Les évènements constatés dans l'année n0, à partir de phénomènes constatés en n-2 ou n-3, ne peuvent à eux seuls fonder l’opinion pendant toute la vie d'un grand contrat jusqu'à n+15 ou d'un investissement lourd jusqu'à n+infini.
La Notation neutralise aussi l’effet des cycles économiques. Les épiphénomènes ou évènements purement conjoncturels ne sont pas des éléments déterminants de la note. Seuls les phénomènes structurels sont pris en compte.

A ces principes correspondent un processus interactif entre l’agence et l’organisme noté. Les agences disposent de leurs propres équipes d’analystes, qui sont en contact régulier avec l’entreprise émettrice. Un canevas est mis en place pour la mise à disposition de l’information, la restitution de ces données, leur discussion à travers une procédure contradictoire y compris la possibilité de contester la note avant sa diffusion et sa publicité à large échelle.

La méthode de détermination de la note fait appel à de multiples critères d’appréciation, et relève en général en dernier ressort d’une décision collégiale au sein des équipes de l’agence. Toutefois, ces méthodes varient d’une agence à l’autre selon le savoir-faire des équipes et le contexte.
Il est reconnu aux agences de notation un droit à disposer d’informations privilégiées de la part de l’entreprise, sous réserve naturellement de conserver ces informations confidentielles et de s’assurer qu’elles ne donnent pas lieu à un délit d’initié. Cette capacité distingue les agences de notation des analystes financiers, qui n’ont en principe accès qu’à l’information publique. Il faut mentionner l’importance croissante de l’intelligence économique dans l’accès aux informations dont les agences ne se privent pas. Il va sans dire que dans des contextes peu sûrs, et eu égard aux derniers scandales financiers dont l’origine pour l’essentiel est la falsification des comptes par les dirigeants, le recours à des sources alternatives d’informations devient crucial pour asseoir la crédibilité d’une agence. Ce problème des sources devient hautement sensible dans le cadre de marché pré- émergents comme les nôtres où l’information économique et financière, si elle existe, présente un degré de fiabilité marginal voire nulle dans la majorité des cas. Le cross - filing, dans le respect des lois et le recours à des sources authentifiées permettent de se couvrir utilement.

La première notation peut avoir lieu à l’initiative de l’entreprise émettrice, ou au contraire être à l’initiative de l’agence sans demande de l’entreprise. Dans ce dernier cas, la relation commence par une notation « sauvage » ,ou « non sollicitée » qui peut évoluer vers une relation durable si l’entreprise choisit de devenir cliente de l’agence. Une fois que la relation commerciale est établie, la rémunération fait l’objet d’une négociation ad hoc entre l’entreprise et l’agence, en général à partir d’une grille de tarifs fixes sur lesquels des rabais peuvent être consentis par l’agence

Dans tous les cas, une fois que la relation est établie, il est très souhaitable pour l’entreprise de faire preuve de constance dans la diffusion des informations, donc de se faire noter régulièrement, sauf à donner un sentiment de fuite face à la perspective d’une notation négative.

Ceci conduit à une obligation de révision périodique de la note de l’entreprise qui sera donc amenée à communiquer périodiquement ses informations à l’agence. La procédure de révision de la note se fait selon un parallélisme des formes c’est à dire vote du comité de notation et droit à contestation (procédure contradictoire). Les entreprises peuvent aussi être mises sous surveillance ou bien tout simplement, la note peut être retirée à l’initiative ou de l’agence ou de l’entreprise.

A la différence des analystes financiers qui émettent un jugement sur la valeur d’une entreprise, les agences de notations émettent un jugement sur son risque, exprimé par une note selon une grille normalisée (propre à chaque agence. Les notes sont classées en catégories d’investissement ou, pour les émissions les plus risquées, en catégorie dite spéculative ou junk bonds. Chaque agence de notation utilise des grilles de notation à long terme qui lui sont propres. Elles comportent une dizaine d'échelons. La notation à long terme concerne les dettes de plus d'un an.
Moody’s a une notation composée de majuscules et de minuscules. De la meilleure note à la moins bonne, la grille est la suivante : Aaa, Aa, A, Baa, Ba, B, Caa, Ca, C. La note est affinée par un chiffre décroissant par ordre d'importance, de 1 à 3, qui indique la position de l'entreprise à l'intérieur d'une catégorie.
D’autres agences ont adopté une grille de notation en majuscules. De la meilleure note à la moins bonne : AAA, AA, A, BBB, BB, B, CCC, CC, C, D. La note est affinée par + ou -, selon que l'entreprise se trouve dans la partie supérieure ou inférieure d'une catégorie.

Toutes ces notes sont complétées par une « perspective » : c'est l'opinion de l'agence sur l'évolution probable de la qualité de crédit de l'entreprise. Ces perspectives sont positives (hausse), stables ou négatives (baisse.)


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Les échelles de notation à court terme des agences comprennent entre 5 et 7 rangs. La notation à court terme concerne les dettes de moins d'un an.

Des événements particuliers peuvent affecter la qualité de crédit de l'entreprise. Les agences ont alors la possibilité de mettre les notes « sous surveillance » avec implication « positive » ou « négative ». Cela peut les amener à confirmer, relever ou abaisser leur note par la suite.

Ces notes sont données selon deux échelles : Une échelle Internationale et une Echelle locale. Il convient de lever une équivoque souvent constatée dans la compréhension de ces échelles. Elles ne constituent pas une hiérarchie de notation. Ces échelles ne font que refléter le référent à partir duquel la note est attribuée. En clair, il s’agit ici de comparer des unités de même catégorie, et donc d’utiliser simplement la même grille d’évaluation pour ces unités.

Lorsqu’une entreprise veut lever des fonds en devises sur le marché international, l’échelle de notation dont elle devra se prévaloir ne sera pas la même que si elle devait emprunter sur son marché national en devise locale. Il s’agit d’une donnée cruciale à intégrer et sur laquelle nous reviendrons dans notre seconde partie, car, la problématique de l’introduction de la notation dans notre zone UEMOA, devra se faire indubitablement par la mise en place d’une matrice d’évaluation au sein de la zone monétaire. Dans la perspective de l’introduction de la notation sur le marché financier BRVM, les agences ne pourront faire l’économie de construire une échelle de notation régionale UEMOA selon les principes et méthodes décrites plus avant.
Le statut des agences de notation est hybride. Comme les analystes financiers, elles s’adressent aux opérateurs des marchés financiers pour leur fournir des informations utiles à leurs décisions ; mais comme les sociétés d’audit, elles sont rémunérées par les émetteurs et ont accès à certaines informations privilégiées. Il en résulte plusieurs interrogations.

Ces modalités sont-elles compatibles avec l’indépendance de jugement de l’agence ?

La « muraille de chine » entre les analystes et les équipes commerciales des agences de notation est étanche c’est à dire que les équipes commerciales en aucun cas ne participent au vote pendant l’attribution de la note à l’organisme qu’elles ont démarchée. Dans le cas d’une notation « sauvage » commençant sans contrat avec l’entreprise, le risque de conflit d’intérêt est nul. De plus, code de conduite régi notamment par l’O. I. C. V, édicte un certain nombre de bonnes pratiques qu’observent les agences.
Sans toutes les citer, elles vont de l’interdiction faite aux analystes d’un émetteur d’acquérir à titre personnel les titres de ce dernier à la gestion des conflits d’intérêts dans les cas où les agences de notation auraient en même temps des activités de conseil pour des entreprises concurrentes d’un même secteur d’activité. La publicité sur les méthodes d’analyse est nécessaire et tous les organismes de régulation tendent à exiger leur divulgation. Du reste les agences de notations ont largement anticipé ce mouvement en publiant sur leurs sites ces méthodes que tout un chacun peut consulter. Compte tenu de l’importance de la notation pour le crédit des entreprises, la qualité des procédures de notation au sein des agences est suffisamment contrôlée, tant en interne qu’en externe par les autorités de régulation qui telle l’A M F en France ou la SEC publient régulièrement des rapports sur l’activité des agences de notation.

Enfin, la notation financière est une profession qui devient de plus en plus régulée eu égard aux enjeux énormes qu’elle entraîne dans son sillage : pour de nombreuses opérations, les émetteurs doivent recevoir une note d’une agence agréée par le régulateur boursier, selon des modalités à peu près similaires dans les principaux pays développés. Cette exigence d’agrément que nous estimons souhaitable aussi longtemps qu’elle n’entame pas l’indépendance des agences, renforce naturellement les barrières à l’entrée du marché de la notation qui existent de toute manière.
(A suivre….)


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· Ancien Directeur aux services financiers du Crédit Agricole Indosuez Luxembourg, Expert- Consultant International
· Directeur de West African Rating Agency

L es informations contenues dans cet article n’engagent ni WARA, ni ses partenaires et n’ont pour d’autres fins que d’informer le large public sur une activité nouvelle dans la zone UEMOA. Les éléments ici décrits ne reflètent que La propre opinion de l’auteur et ne constituent pas un exposé des méthodes ou procédés utilisés par WARA ou ses partenaires.