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Enfer au Togo : Trois jours de sang et de feu

 Enfer au Togo : après la victoire de Faure Gnassingbé : Trois jours de sang et de feu

Le scrutin présidentiel du Togo qui a eu lieu le dimanche 24 avril dernier n'a pas fini de faire des vagues et surtout des victimes tant parmi les togolais que parmi les ressortissants étrangers. La psychose qui a régné avant le vote s'est confirmée 2 heures après le vote pour produire des évènements les plus tragiques que le Togo n'ait jamais connus. Pendant Trois jours et trois nuits, Lomé, la capitale aura connu des atrocités sans précédent dans l'histoire togolaise post indépendance. Après Lomé, l'intérieur du pays a pris le relais. Les affrontements s'y sont poursuivis, malgré tous les appels au calme et à la retenue. Il y a eu au moins 11 morts officiellement, dont 8 brûlés vifs, et le garde du corps du procureur de la République a été découpé à la machette.

Le mardi 26 avril 2005, le Togo comble démocratiquement, le vide laissé par le président Gnassingbé Eyadéma, décédé le 5 février dernier à la tête de l'Etat. La présidente de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), Mme Kissem Tchangaï Walla, a rendu public ce mardi le verdict du scrutin présidentiel du dimanche dans une atmosphère électrique. Faure Essozimma Gnassingbé, candidat du RPT, parti au pouvoir, en obtenant 60,22% des suffrages, a été déclaré élu devant Bob Akitani de l'opposition radicale (38,19). La proclamation des résultats, déclarant le candidat du parti au pouvoir, Faure Eyadéma, vainqueur du scrutin, a déclenché une vague de colère dans le camp de l'opposition radicale dont les partisans ont envahi les rues de Lomé, pour, disent-ils, s'opposer à ce qu'ils appellent "mascarade électorale". Des manifestations d'une rare violence qui ont, en l'espace de quelques heures, transformé la capitale togolaise en un champ de bataille où sueur et sang coulaient à flots, fumée et poussière s'élevaient de partout. Du mardi 26 au jeudi 28 avril, Lomé était une ville morte où gravats, pneus enflammés et troncs ou branches d'arbres, posés par les manifestants, jonchaient les principales artères de la ville. Récit de trois jours d'enfer qui ont failli plonger le Togo dans un chaos total.

Les populations en exil au Bénin et au Ghana

Mardi 26 avril. Peu après dix heures, Mme Kissem Tchangaï Walla, présidente de la CENI, entourée de ses principaux collaborateurs, proclame les résultats qui donnent : Faure Gnassingbé (60,22%), Bob Akitani Emmanuel (38,19%) de la coalition de l'opposition. Les candidats Nicolas Lawson du RDD (qui a désisté à 24 heures du scrutin) et Harry Olympio récoltent, respectivement, 1,4% et 0,55% des suffrages. La présidente Walla précise que ces résultats ne prennent pas en compte ceux de quatre bureaux de vote dont les urnes ont été saccagées le dimanche lors du dépouillement dans la commune de Lomé et environs. "Au vu de ces résultats, le candidat Faure Gnassingbé du RPT est déclaré vainqueur en attendant la validation du scrutin par la Cour constitutionnelle qui proclamera officiellement les résultats'', a-t-elle précisé non sans avoir appelé la classe politique togolaise à accepter ce verdict et à se tendre la main dans la paix et la concorde pour construire le Togo. Mais à peine finit-elle de lancer son appel que les partisans de l'opposition qui se disent prêts à chasser le fraudeur se déversent dans les rues. Les forces de l'ordre déployées depuis dimanche répliquent. Il s'en suit de violents affrontements qui firent 3 morts en l'espace de 40 minutes. Quand la CEDEAO a fait sa déclaration qui valida les résultats, les manifestants s'en ont immédiatement pris aux ressortissants nigériens (le président en exercice de la CEDEAO est Mamadou Tandja, le président du Niger). Selon des sources indépendantes, plus d'une vingtaine de commerces appartenant aux Ngériens ont été pillés et saccagés, 5 nigériens ont trouvé la mort de façon atroce, par flammes, deux autres à coups de gourdin et de machette, un a perdu son œil en voulant défendre ses biens. L'Ambassade de la Chine a été également attaquée par des centaines de manifestants qui ont défoncé le mur de l'enceinte, saccagé tout, avec plusieurs blessés (L'amitié entre la chine et le régime Eyadema aurait profité à Faure). Le silence de la France fut également un motif pour que les manifestants s'attaquent aux ressortissants et intérêts français. Certains ont été molestés. La police a dû exfiltrer près d'une trentaine de français. Les Libanais et nigérians n'ont pas échappé à la furia des manifestants qui ont pillé des domiciles et des magasins, blessé des hommes. Dans cette folie, des manifestants ont pris soin de protéger eux-mêmes l'Ambassade de l'Allemagne. Ce qui n'a pas manqué de faire dire au nouveau ministre de l'intérieur que " des témoignages des chinois confirment les soupçons que le pouvoir de Lomé avait eu le soutien souterrain de cette ambassade à l'opposition. Dans les heures qui ont suivi, cette Ambassade a été attaquée à son tour par une grande masse de jeunes en furie que l'on dit être proches du RPT. L'Ambassade de l'Allemagne a été sérieusement saccagée.

Depuis le mercredi matin donc, c'est à un ballet des populations de Lomé et de certaines localités du Togo vers le Bénin à l'Est et le Ghana à l'Ouest que l’on assiste. Certes, les frontières sont fermées depuis le 22 avril, mais les populations s'amassent le long des lignes de frontières. Elles sont l'objet de harcèlement de certains éléments des forces de l'ordre ou des miliciens qui les rançonnent à défaut de les molester. Jusqu'au vendredi 30 avril, plus de 8000 togolais ont franchi la frontière avec le Bénin. Environ 6000 s'agglutinent le long de la frontière du Ghana. Des services des frontières révèlent aussi qu'environ 500 togolais fuyant la situation auraient atteint la Côte d'Ivoire depuis le vendredi 30 avril, un peu plus de 1000 ont fui vers le Burkina et 600 vers les autres pays. Soit au bas mot 16000 togolais réfugiés en l'espace de 4 jours. Les chancelleries évacuent leur personnel non nécessaire, les ressortissants étrangers organisent des fuites. Des hommes d'affaires s'apprêtent à délocaliser leurs affaires. Les vols d'avion sont restreints.

A Lomé, règne un calme précaire

La ville est divisée deux principales zones d'influence. La partie Ouest, zone d'influence de l'opposition est particulièrement chaude et l'armée y est obligée de faire des patrouilles 24 heures sur 24. Dans cette partie propice à la contestation, le quartier populaire Bé est celui qui connaît le plus d'affrontements et certainement le plus de victimes et de dégâts.

La partie Est, sous influence du RPT de Faure Gnassingbé, est relativement calme, mais a aussi organisé dès le mercredi la sortie des partisans du président Faure qui brandissaient aussi de gourdins, des machettes, des barres de fer pour, ont-ils soutenu, "célébrer la victoire de leur cheval gagnant". Dans la soirée de mercredi, les deux masses de manifestants se sont dangereusement croisées autour du Boulevard Félix Houphouët-Boigny. N'eût été la prompte intervention des forces de l'ordre, l'on aurait déploré un incalculable carnage, car de part et d'autre, ils étaient prêts à en découdre. C'est ce genre de tension et d'envie d'en découdre qui vient d'atteindre l'intérieur du pays, notamment dans la région du centre, la région maritime, dans la région des plateaux, dans les départements de Yoto, Vo, Kloto, Avé, Haho, Danvy, Agou…où des affrontements entre partisans de l'opposition et les forces de l'ordre sont courants. De fait, la violence a atteint l'intérieur du pays et les Togolais retiennent leur souffle. Dans la Capitale, on ne sait pas quand ça va se gâter à nouveau. Tous les indices montrent bien que c'est un calme précaire qui prévaut. En attendant, Lomé se vide, répare les dégâts, colmate les brèches, soigne les blessés, enterre les tués.

Le week-end dernier, la CEDEAO a envoyé une mission de médiation à Lomé qui a réussi à rappeler tout le monde à l'ordre. L'opposition radicale ne rejette plus catégoriquement Faure Gnassingbé, mais se bat pour un gouvernement d'union qui lui ferait la part belle. Toutefois, des mouvements humains dans tous les sens sont perceptibles un peu partout sur le territoire national. Des indiscrétions font même état de ce que des mercenaires auraient commencé à faire leur entrée sur le sol togolais, tant par la frontière ouest que par l'est et le nord.

Le Président Faure Eyadema prêtera serment ce mercredi devant la cour constitutionnelle du Togo qui a confirmé hier mardi les résultats donnés par la CENI une semaine plus tôt. Cette prestation de serment finira donc de clore l'élection présidentielle la plus tumultueuse de l'histoire togolaise. Peu à peu Lomé la capitale renaît à la vie, les commerces et autres bureaux ouvrent à nouveau, mais la psychose demeure.

Le calme à Lomé est donc comme une accalmie avant l'orage. Nul ne sait en effet ce que la prestation de Faure et les élections législatives réservent encore.

Eddy PEHE

Envoyé Spécial à Lomé