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La page va-t-elle être tournée?

Politique
 La plupart des organisations internationales dont le Togo est membre ont pris position, fermement contre le coup d'Etat militaire (pas seulement constitutionnel) ayant porté au pouvoir le 7 février, Gnassingbé-fils. Je suppose que deux catégories de personnes au moins ne s'attendaient pas à cette condamnation: les auteurs du coup d'Etat d'une part et Chirac et son entourage d'autre part.
La première catégorie, à la tête desquels Zakari Nandja, chef d'Etat-major des armées togolaises et Gnassingbé-fils, mettra peut-être du temps à réaliser l'erreur monumentale qu'elle a commise en voulant brutalement violer la légalité, ou plutôt le semblant de légalité qui existait du temps de Gnassingbé-père. Peut-être que si les Gnassingbé et leur clique l'avaient su ou s'ils n'avaient pas cette hantise superstitieuse de voir un homme ne s'appelant pas Gnassingbé s'installer dans le fauteuil présidentiel, ils auraient laissé Natchaba assurer l'intérim du pouvoir apparent, somme toute protocolaire, tout en confisquant sa réalité. Tout le monde serait d'accord avec moi que ni Natchaba, ni aucun autre Togolais ne pourrait organiser des élections contre la volonté souterraine du clan Gnassingbé et de l'armée.

La seconde catégorie, Chirac et ses hommes, pouvait certes prévoir une réaction de l'opposition togolaise qui vit de près les atrocités d'Eyadema depuis le premier coup d'Etat au Togo en 1963, mais elle était loin d'imaginer l'ampleur de la condamnation dont l'investiture de Gnassingbé ferait l'objet. On a bien entendu Chirac déclarer qu'il perdait en Eyadema un ami de la France et un ami personnel. Ce que recouvre le terme d'ami nous est difficile à définir. En réalité, ce qui caractérise les rapports que Chirac entretient avec l'Afrique et en particulier avec les anciennes colonies françaises, c'est le mépris total qu'il éprouve pour l'homme africain. Je ne reviens plus sur sa déclaration selon laquelle la démocratie serait un luxe pour les Africains, propos qui deviendrait d'ailleurs le credo des dictateurs africains dont la préoccupation principale est de se maintenir au pouvoir à tout prix. Je ne commente pas ce "bonheur" inné et naturel qu'il prête aux Africains, bonheur qui leur ferait tout accepter, même l'esclavage, même la domination coloniale, même la tyrannie la plus cruelle, même la misère...; cela, bien sûr relève des clichés vieux du temps des premiers explorateurs blancs en Afrique et s'apparente dans le fond à la magnifique quiétude de l'imbécile, selon les philosophes. Je ne parlerai même pas du rôle de Chirac dans la crise ivoirienne, qui est loin de remporter des succès éclatants, parce que Chirac ne se comportait pas dans ce pays en véritable médiateur sincère, mais en partie prenante, ayant des intérêts à défendre, et surtout ayant une vision de "la grande France" qui forcément passe par la reconquête ouverte ou voilée des anciennes colonies.

Après les fusillades d'Abidjan le 9 décembre perpétrées par les soldats français (autre signe de mépris), Chirac ayant presque perdu la face et du coup tout crédit de médiateur, va s'employer à torpiller la médiation initiée par le sud-africain Tabo Mbeki et, par ses suppôts interposés que je ne nommerai pas, mais, qui, semble-t-il le pressent de maintenir ses troupes en Côte d'Ivoire, il va s'acharner à démontrer que le président sud-africain ne connaît pas l'âme des peuples de Afrique de l'Ouest (nouveau signe de mépris et nouveau cliché), ce qui suppose une intelligence politique supérieure que personne, à part les politiciens français ne possède. Nous attendons que Chirac nous en fasse la démonstration par A plus B en commençant d'abord par définir ce qu'est la fameuse âme des peuples ouest-africains.

Á la mort d'Eyadema, Chirac a dû se dire que cela va se passer comme d'habitude chez ces "gens-là" (parce que ça ne se passe jamais chez eux comme ça se passe en France). Ceux d'entre eux qui veulent crier au scandale et s'agiter vont le faire, mais cela ne va pas durer. Il vaut mieux prendre le soin de rassurer, non seulement le fils de Gnassingbé Eyadema (cela m'étonnerait que Chirac n'ait pas été mis au courant du scénario prévu en cas de décès du dictateur togolais), mais aussi les autres dictateurs africains, fortement tentés de faire installer leur descendance au pouvoir après eux. La déclaration de Chirac à l'annonce du décès d'Eyadema est donc très significative de cette intention. Mais, voilà que les instances africaines réagissent autrement, prônant le respect strict de la constitution. Mais quelle constitution? J'avais écrit que l'armée togolaise et le fils d'Eyadema n'ont fait que respecter la logique instaurée par le père. Si quelqu'un dans ce contexte a cessé d'être cohérent avec lui-même, de suivre sa propre logique, c'est bien Chirac, lui qui sait très bien ce que vaut cette constitution, depuis qu'il assistait à sa violation répétée par Eyadema, et le soutenait dans cet acte... lui qui savait qu'Eyadema trichait aux élections et l'en félicitait, lui qui défendait toujours son ami personnel et l'ami de la France lorsque ce dernier commettait tous ses crimes. Le refrain des autorités françaises répété à grand renfort médiatique est maintenant que la France se range sur la position de la CEDEAO, sur celle de l'Union Africaine etc..., la France réclame un retour à l'ordre constitutionnel... sans nous dire de quelle constitution il s'agit, car avant le fils Gnassingbé, le père avait violé plusieurs fois la constitution de 1992, celle de l'ère du multipartisme instaurée depuis la Conférence Nationale Souveraine dont Eyadema n'a jamais voulu.

Voici certainement le scénario que le clan Gnassingbé et son allié de toujours, la France seraient en train de concocter en ce moment ( en fait, c'est ce qu'ils auraient fait tranquillement, s'ils n'avaient pas péché par précipitation en investissant le fils Gnassingbé ): le pouvoir togolais illégal actuel organise rapidement des élections truquées; l'opposition togolaise les boycotte ou les perd. En fait, s'il y a une chose qui demeure monnaie courante en Afrique ou va le demeurer longtemps, ce sont les fraudes électorales. Là, il n'est pas sûr que ces chefs d'Etat qui sont eux-mêmes partisans de cette pratique puissent continuer à boycotter le régime togolais certainement présidé par le fils Gnassingbé. La France, alors, forte de leur prise de position, va aussi reconnaître le régime.

Notre opposition, à mon avis, n'a qu'une chance: celle de réussir une grande mobilisation, suffisamment forte pour exiger des élections organisées vraiment dans des conditions de transparence. Pour y parvenir, elle doit momentanément faire taire ses divisions. Il nous faut un leader, un seul pour le moment et cela ne peut se réaliser sans un minimum de renoncement aux intérêts partisans et personnels. Si ceux qui parlaient d'opposition modérée par rapport à une opposition radicale, ou autre chose de ce genre, n'ont pas compris aujourd'hui qu'ils ont tort, qu'on ne peut composer avec le clan Gnassingbé à moins de servir ses intérêts, c'est qu'ils sont aveuglés par des arrière-pensées inavouables. Il n'y a qu'un seul peuple qui a été tyrannisé pendant 42 ans et qui aujourd'hui pousse un seul cri: liberté. Si ceux qui parlaient de parti-charnière ne reconnaissent pas aujourd'hui qu'il n'y a aucun lien à établir avec les Gnassingbé, sauf lorsque ce lien sert ces derniers totalement, alors c'est qu'ils ne luttent pas pour la libération du peuple, mais pour des postes à la cour des Gnassingbé. Nous avons à nous prononcer entre les avantages personnels et la libération du peuple. C'est au cri unique de liberté poussé par le peuple qu'il faut répondre d'abord, par l'intermédiaire d'un seul leader. Si d'ici deux mois nous n'avons pas ce leader unique, nous pouvons considérer la nouvelle bataille comme perdue d'avance, le nouvel espoir comme une pure illusion, le rêve de liberté et de démocratie comme un leurre. Alors, ce serait en vain que nous aurions encore tenté de combattre Gnassingné, en vain que nos concitoyens mourraient encore, en vain que nous aurions manifesté, fait grève, consenti des sacrifices. Que l'on se rappelle toute la bataille de 90 à 93..., perdue finalement.

Déjà, la journée "ville morte" du lundi 14 février n'a pas remporté tout le succès escompté, malgré la mort d'un concitoyen, le passage à tabac de plusieurs Togolais par des militaires ayant violé leurs domiciles. Les Togolais n'ont pas la mémoire courte. Ils se rappellent les luttes passées et leurs maigres résultats. Ils savent aussi tous d'où provenaient les échecs: les ambitions personnelles des dirigeants de l'opposition et leurs divisions internes. Les gens ont faim et croupissent dans la misère et on leur demande d'observer une journée ville morte. Ils voudraient bien, à condition qu'ils sachent que cela va aboutir. Ne nous cachons pas la face: il n'y a qu'un homme qui réunisse sous son nom la majorité de la population togolaise. C'est Gilchrist Olympio. Au point où nous en sommes, il n'est plus question de savoir si cet homme plaît ou pas à la France, s'il sera accepté par l'armée clanique des Gnassingbé ou non. L'expérience nous a appris où de telles spéculations nous avaient conduits. De toute façon, nous savons que l'armée familiale des Gnassingbé a déclaré la guerre au peuple togolais depuis longtemps et ne manque pas une seule occasion de le narguer. Nous savons aussi que la France de Chirac se moque de la volonté du peuple togolais. Lorsqu'un œil se crève, dit-on chez nous, il va jusqu'au fond du cerveau. Allons jusqu'au fond des choses qui nous concernent en tant que Togolais. Nous pouvons, bien sûr, faire confiance à la CEDEAO, à l'Union Africaine etc... Mais, il y a des choses que ces organisations ne peuvent obtenir pour nous: d'abord notre unité autour d'un leader, et ensuite la transparence des élections. Il est même possible que les pressions internationales obtiennent du clan Gnassingbé l'organisation d'élections. Mais que ferons-nous si des fraudes massives permettent au clan Gnassingbé de les gagner?

La page peut donc être tournée, si les Togolais le veulent, et ce sera un exemple pour toute l'Afrique. Mais si jamais nous manquons cette belle occasion de la tourner, ce sera une grande responsabilité envers l'Afrique. Et nous devons être conscients que des gens comme Chirac ne nous aideront pas à la tourner, n'ont aucun intérêt à nous voir la tourner.

Sénouvo Agbota ZINSOU