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Gnassingbé Eyadéma : Une sombre légende

Politique
 Gnassingbé Eyadéma, président du Togo

Lemonde.fr
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 08.02.05


Le président du Togo, Gnassingbé Eyadéma, est mort samedi 5 février d'une crise cardiaque. Il était âgé de 69 ans.

Carrure de lutteur - qu'il fut dans sa jeunesse -, le regard toujours caché derrière d'épaisses lunettes de soleil, le physique du président Eyadéma collait à l'image qui était la sienne à l'extérieur de son pays : celle d'un "dictateur de brousse" qui ne devait qu'à un mélange de chance, de brutalité et de soutiens extérieurs de conserver le pouvoir.

De fait, ce pouvoir il l'a gardé trente-huit années, ce qui faisait de lui le doyen des chefs d'Etat africains. Les monarques mis à part, le Cubain Fidel Castro est le seul à afficher une longévité supérieure.

Que Gnassingbé Eyadéma se soit maintenu aussi longtemps à la tête du Togo est une sorte d'exploit tant l'homme semblait peu fait pour diriger aussi longtemps un pays, même dénué d'intérêt stratégique (la population atteint près de 5 millions d'habitants).

Né en 1935 et issu d'une famille de petits paysans du nord du pays, il s'engage, encore adolescent, dans l'armée française avec la bénédiction de son protecteur, le pasteur protestant du village.

Il y demeurera une dizaine d'années, servant dans ce qui était alors le Dahomey (le Bénin aujourd'hui), l'Indochine, l'Algérie et le Niger avant de regagner le Togo au début des années 1960 avec le grade de sergent-chef.

Trois ans plus tard, il est l'auteur du premier coup d'Etat en Afrique, qui va voir l'assassinat du président du Togo, Sylvanus Olympio. Encore quatre ans, et le militaire Eyadéma prend le pouvoir. Il ne le lâchera plus.

BARAKA ET ABSENCE DE SCRUPULE

L'homme est servi par une chance inouïe. En Algérie, il avait manqué d'être abattu par les nationalistes du Front de libération nationale (FLN) dans le massif des Aurès. D'autres rendez-vous mortels l'attendent dont il réchappera comme par miracle : une fois c'est un soldat qui lui tire dessus à bout portant ; plus tard, il sort indemne d'un accident d'avion, puis d'attaques de commandos de mercenaires.

Cette baraka se double d'une absence totale de scrupule pour conserver le pouvoir. Ses adversaires politiques l'apprendront à leurs dépens. A Lomé, à plusieurs reprises, des émeutes ont été réprimées dans le sang et les dirigeants de l'opposition contraints à l'exil.

La communauté internationale condamne mais mollement, sans sévir : l'époque est à la guerre froide et la France, l'ancien colonisateur auquel Gnassingbé Eyadéma restera d'une fidélité absolue, a besoin de la voix du Togo aux Nations unies.

Il faudra attendre la chute de l'Union soviétique et le début des années 1990 pour que Paris se montre un peu plus exigeant à l'égard de son allié Eyadéma contraint à ouvrir son pays au multipartisme. Une ouverture en trompe l'œil.

Elu une première fois à la tête du pays en 1993, réélu cinq ans plus tard, au terme d'un scrutin tellement peu démocratique qu'il allait conduire l'Union européenne à suspendre son aide, le président Eyadéma a pu briguer en 2003 un troisième mandat au prix d'une modification de la Constitution.

C'est sans risque - son principal opposant ayant été écarté - qu'il fut réélu avec près de 58 % des suffrages. Depuis, il tentait de s'acheter une conduite, à l'intérieur, en annonçant la tenue d'élections législatives avant la fin du premier semestre 2005, à l'extérieur en jouant l'entremetteur dans le conflit en Côte d'Ivoire.

A la mi-janvier 2005, alors que Lomé célébrait par un imposant défilé le 38e anniversaire de l'accession au pouvoir du président Eyadéma, le site officiel du Togo sur Internet dressait du chef de l'Etat un portrait inattendu et, par certains aspects, burlesque. Celui d'un "homme simple", vivant dans une maison de style colonial installée à l'intérieur d'un camp militaire, en plein cœur de la capitale, Lomé, couché à minuit, levé à quatre heures, connu pour ses "terribles colères - de celles - qui font trembler les murs".

Gnassingbé Eyadéma "ne fume pas, n'abuse pas de l'alcool", pouvait-on lire. Son plaisir favori était la chasse : "Poursuivre en jeep, en hélicoptère ou à pied, un sanglier, un cerf ou une antilope, constitue sa passion favorite." Il est "une légende du Togo et de l'Afrique", concluait le portrait. Une sombre légende.

Jean-Pierre Tuquoi

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 08.02.05