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ABLODE: Mot de passe mythificateur, mythe et mystificateur (Première partie)

 Nous débutons l’année avec ce texte instructif du militant Alex A. Gomez que, nous reprenons afin d’en assurer une large diffusion.

Je pars du principe élémentaire que la vérité jaillit du choc des idées perçues dans leur synchronie. Encore faut-il correctement conceptualiser cette vérité pour la soustraire à toute gangue mythologique qui lui impose une historicité. Le mot, en tant qu'il est ici habillage d'un concept (représentation intellectuelle d'un objet conçu par l'esprit) lui est parfois assimilable puisque, disaient les linguistes, nos pensées naissent toujours habillées. Mais une fois existant ou créé, le mot échappe (on lui fait échapper) au cadre étroit de sa naissance (fonction dénotative) pour devenir par et pour lui-même producteur d'idées, de sens, de «réalité» avec toute la panoplie de subjectivité; conséquence d'un environnement évolutif. Le mot devient donc fluctuant, insaisissable et se gonfle de mythe s'il ne l'est pas tout simplement.

LE MOT: MYTHE ET MYTHIFICATEUR
Le mythe selon le Dictionnaire Encyclopédique, est «représentation amplifiée et déformée par la tradition populaire. De personnages ou de faits historiques, qui prennent force de légende dans l'imaginaire collective». Cette définition à le mérite d'interpeller la cité en tant qu'il est espace et donc cadre politique d'où «la tradition»; l'histoire. Grâce à son don de parole, Adam le premier homme reçut de Dieu l'ordre de nommer les choses et les animaux autrement dit de coller un mot au réel, au déjà- existant «l'Éternel Dieu forma de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et Il les fût venir vers l'homme, pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant portât le nom que lui donnera l'homme». (Genèse2:19, 20. La Sainte Bible traduction Louis Second) Ce qui m'intéresse ici ce n'est pas le récit pris lui-même pour un mythe; c'est plutôt le rapport mot / réel dont il rend compte sur le plan diachronique donc de la successivité. Adam ne pouvait pas nommer ce qui n'existait pas et qu'il ne concevait pas d'où la nécessité de lui «montrer» les choses. Nous sommes à l'origine de l'humanité telle qu'il a été rapporté par la Bible. Par la suite «serpent» par exemple n'est plus seulement cet animal rampant c'est aussi l'incarnation du mal; un être dangereux. Si au mot «serpent» on associe «mordre», on peut valablement tout aussi associer «fusil», «couteau» ou tout autre instrument dangereux; ou encore apparaît dans l'esprit une face grimaçante et menaçante. Dans ce dernier cas l'esprit construit dans une logique onirique une histoire qui n'a de réalité que dans et pour l'esprit. Comme on le voit, le mot se vide de sa substance originelle pour devenir producteur de mythe(s) et mythe.

L'EXEMPLE DU MOT «ABLODÉ»
A) Sa majestueuse parturition : «Ablodé» littéralement veut dire «indépendance». Ce mot en lui-même est ordinaire et fait partie des milliers de mots dont est riche le vocabulaire éwé. Mais ce mot a connu une fortune particulière (cela n'a de sens que rapporté au contexte politique) et s'est investi d'une sémantique nouvelle et sans cesse renouvelée qui lui confère un contour fluctuant comme nous le montrerons par la suite.
«Ablodé» renvoie à une réalité historico politique stigmatisée par la date du 27 avril 1958. En effet eut lieu à cette date les élections qui ont vu la victoire des partisans de l'«ablodé» représentée alors par le C. U. T (Comité de l'Unité Togolaise) sous la houlette du charismatique Sylvanus Olympio sur ses adversaires de la coalition U. C. P. N (Union des Chefs et Population du Nord)-P. T. P (Parti Togolais du Progrès) respectivement de Meatchi et Grunitzky. En réalité le mot était déjà «opérationnel» avant cette date et a été même déterminant, selon certains observateurs, dans le renversement de la majorité alors détenue par U. C. P. N-P. T. P aux élections de 12 juin 1955. Ainsi «pour Sylvanus Olympio et ses amis du C. U. T, l'indépendance doit être réclamée et obtenue immédiatement, la puissance administrative dénoncée et l'Organisation des Nations Unies requise d'intervenir. Le mot «indépendance» (ablodé) sera transformé, par lui, en formule magique capable d'accomplir tous les miracles. Les «Nations Unies» deviendront dans l'opinion de la masse un paradis lointain où se forge l'avenir du Togo. » (LIVRE BLANC sur les événements survenus au Togo entre le 27avril 1958 et le 13 janvier 1963, Gouvernement de la République du Togo 1963, page 6) «Ablodé» ainsi chargé opère comme le mot de ralliement par excellence qui distingue ceux-ci de ceux-là (les progressistes).
L'histoire politique des nations a connu beaucoup de mots aux destins voisins. Je cite en vrac «révolution» de la France de Danton, «résistance» de celle de de Gaulles «Lebensraum» ou espace vital de l'Allemagne hitlérienne. Plus proche de nous «sopi» ou changement d'Abdoulaye Wade du Sénégal, «éhuzu» ou changement de Kérékou des années 70-80, «Rpt avant tout» d'Eyadéma d'hier et d'aujourd'hui. Même si nous remontons très loin dans l'histoire, au temps biblique par exemple, on trouvera de ces mots qui «opèrent» plus qu'ils ne «signifient». Le «maranata» des chrétiens persécutés participe de cette réalité. Mais très tôt, «ablodé» a été pour ainsi dire privatisé et marqué par la forte personnalité de Sylvanus Olympio. Fait significatif: le mot disparut, du moins dans le vocabulaire politique, en même temps que la disparition tragique du premier Président togolais le 13 janvier 1963. N'est-ce pas là la preuve post mortem que Sylvanus Olympio est une figure emblématique de la lutte pour l'indépendance du Togo? Aussi, il ne me parait pas exagéré de l'appeler le «leader de l'ablodé» dans l'exacte mesure où il était reconnu comme tel dans l'esprit même de ses adversaires politiques (colons inclus); bien contrairement à l'escroquerie langagière qui fait d'Olympio-fils le leader d'un ablodé qui reste à définir.

B°) Son évolution : La fin des années 80 début 90 voit resurgir le mot en même temps que les vieillards nostalgiques qui prirent faits et causes pour la nouvelle génération décidée à en découdre avec un gouvernement de brutes qui hypothéquaient dangereusement son avenir. Au fait depuis 1958 l'indépendance était déjà consommée, du moins théoriquement, en tout cas dans l'esprit des protagonistes. Il tombe donc sous le sens de revendiquer encore ce qu'on possédait déjà; c'est pourquoi j'estime que «ablodé» ne peut plus rigoureusement se définir comme «indépendance». Le recensement des définitions postiches du mot est sans intérêt ici. Néanmoins, pour saisir la vacuité de ce mot qui fonctionne magiquement il faut le surprendre à chaque début de son processus de mutation. Par exemple au moment où le F. A. R et peu avant lui le Collectif des étudiants se constituaient «ablodé» c'est la liberté, la libération selon Ablodéblibo.com, le multipartisme, la démocratie et chez l'élite la séparation du pouvoir. Djovi Gally avait saisi dans une formule percutante le sens même des revendications d'alors au rythme ablodé: la séparation des pouvoirs, «le législatif séparé de l'exécutif et le judiciaire totalement à part, il faut le marteler», et on le martela tel et si bien que notre «ablodé» passa lui-même sous le marteau, vola en morceau et finit par ne plus dire grand'chose. Désormais, «l'interrogation, pour prêter à Toulabor une remarque bien à propos, porte moins sur sa pertinence sémantique que sa fonctionnalité pragmatique». Le pas vers le mythe est définitivement franchi, d'ailleurs «il n'est de mythe, disait Barberis, qu'exprimant les besoins d'une humanité coincée».
Nous pouvons dire une humanité en lutte pour son identité. C'est cette lutte identitaire qu'avait traduit le mot d'ordre unitaire que réalisait «ablodé» à travers les grands regroupements (Collectif, F.A.R, F.O.R.D, C.O.D., etc.). Au bout de compte, il n'est devenu saisissable que comme un mot de passe; autrement dit «un signifiant motivé sans signifié.» (Michel Hausser, Pour une Poétique de la négritude, Tome1, Silex E page27). À SUIVRE…

Anani Alex Gomez, Hambourg