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TOGO – Qui a remporté la présidentielle ?

Togo -
N° 166-167 JUILLET-AOÛT 2003

A l’issue du scrutin présidentiel du 1er juin 2003, deux camps se disputent la victoire. D’une part, celui du président sortant, Gnassingbé Eyadéma, et de l’autre, la quasi-totalité de l’opposition qui, après avoir participé en rangs dispersés à l’élection, reconnaît et annonce la victoire d’Emmanuel Bob Akitani, soutenu par l’Union des forces de changement (UFC) de Gilchrist Olympio. Décidée cette fois à ne pas se laisser voler sa victoire, l’opposition en appelle à la “libération nationale”.
Qui a remporté la présidentielle ?
PAR JESSE ANANSI

Le général président Gnassingbé Eyadéma vient donc de conclure “sa” réélection, après avoir fait modifier la Constitution – transgression tant redoutée par ses adversaires–, qui lui permet désormais de se représenter indéfiniment à toute élection présidentielle. Les opérations électorales n’étant qu’une simple formalité, une mise en scène de mauvais aloi, l’on aurait pu faire l’économie des sommes engagées pour cette douteuse kermesse dont la trame était d’avance verrouillée. Une farce sinistre qui déroute l’observateur le plus assidu. Face à ce que l’on observe au Togo, l’indignation est devenue bien vaine. On atteint au surréel. Le régime Eyadéma devrait se contenter de se maintenir au pouvoir, sans, par-dessus le marché, s’obliger à organiser des élections. Ne serait-ce que pour éviter aux Togolais de se prendre à rêver inutilement d’une alternance. Pour leur éviter aussi de compter des morts, ceux qui tombent à chaque épisode électoral sous les balles de la soldatesque. De plus, pour préserver son amour-propre, le pouvoir devrait éviter ces mauvaises plaisanteries, car, à force de vouloir donner à l’on ne sait quels observateurs les apparences “démocratiques”, les tenants du pouvoir s’exposent à chaque fois à constater leur rejet par les électeurs.
En effet, malgré les fraudes, les bourrages d’urnes, les manipulations des cartes d’électeurs, les campagnes d’intimidation et les arrestations d’opposants, le verdict des urnes est sans appel. Car le besoin de changement des Togolais est incommensurable. On se souvient qu’après l’élection présidentielle de 1998, la victoire de l’opposant Gilchrist Olympio était une évidence démontrée. Ce qui n’avait nullement empêché Eyadéma de s’autoproclamer “vainqueur”. Le 1er juin dernier, on a sans doute assisté au même scénario. Malgré l’exclusion de la compétition d’Olympio, le candidat “de secours” de ce dernier, Emmanuel Bob Akitani (1) a sans doute remporté le scrutin. En désespoir de cause, le pouvoir lui a “accordé” le score de 34 % des suffrages, en deuxième position derrière le “vainqueur” officiel, Gnassingbé Eyadéma (57 %). Le seul fait d’entendre ce pouvoir annoncer un score en soi honorable pour un homme jusqu’ici inconnu dans le cercle des ténors de la politique, est en soi édifiant. Comme la reconnaissance involontaire par ce pouvoir de la mesure de sa perte de légitimité…
Comme en 1998, les vrais chiffres de ce scrutin collectés par tous les partis politiques donnent vainqueur le candidat Bob Akitani qui portait les couleurs – les électeurs ne s’y sont pas trompés – de Gilchrist Olympio et de son parti, l’UFC. Au lendemain du scrutin, Bob Akitani, en tant que “président élu”, lance un appel aux Togolais : “Aujourd’hui comme en 1998, le régime en place veut vous voler votre victoire acquise au prix de mille sacrifices. Je voudrais vous assurer avec la plus grande fermeté que nous ne nous laisserons plus confisquer notre victoire par ceux qui vous ont réduits à la misère. Nous devons mettre un terme au règne du gangstérisme et de la raison du plus fort, dans notre pays….”
Selon les résultats collectés dans 95 % des bureaux de vote par l’UFC de Gilchrist Olympio (en l’absence des procès-verbaux d’une dizaine de sous-préfectures constituant des fiefs d’Eyadéma), le candidat Bob Akitani aurait remporté l’élection. Pour sa part, la Concertation nationale de la société civile du Togo (CNSC), s’appuyant sur les conclusions de résultats du Conseil national de surveillance des élections (Conel), déclare : “En dépit des conditions défavorables pour un scrutin libre et transparent, et les fraudes organisées à son profit, le candidat Gnassingé Eyadéma n’a pas remporté l’élection du 1er juin 2003. Il arrive en troisième position (22,27 %, selon les résultats crédibles du Conel, derrière Akitani Bob Emmanuel (36,31 %), Péré Maurice (22,96 %) Ces résultats sont les seuls à prendre en compte.”
Aujourd’hui, bien plus qu’un contentieux électoral, une partie des protagonistes d’une élection proclame, preuves à l’appui, ses résultats et entend bien camper sur ses positions. La CNSC, en annonçant solennellement le 14 juin dernier “ne plus reconnaître Eyadéma comme président du Togo”, lance un appel à l’Organisation des nations unies “en vue de l’envoi diligent au Togo d’une Commission d’experts, pour arbitrer les résultats divergents sortis des urnes, écouter les témoignages des membres des bureaux de vote, des fonctionnaires de préfectures, des agents du ministère de l’Intérieur, des citoyens électeurs de bonne foi et des membres de la Ceni…”
Au lendemain de l’élection, le candidat Bob Akitani et ses plus proches collaborateurs de l’UFC, craignant pour leur sécurité, sont entrés dans la clandestinité et sont devenus pratiquement injoignables. Les arrestations se sont multipliées dans les milieux dits “proches de l’opposition”, et dans la société civile, notamment des personnes soupçonnées d’amitié avec la CNSC. Le pouvoir poursuit sa fuite en avant. Parce qu’il se situe dans une autre dimension, projeté vers une destination que l’élection du 1er juin avait pour but de consacrer définitivement : la présidence à vie.
Eu égard au drame togolais et à ses multiples péripéties, on s’étonne, à tout le moins, de la singulière attitude du pouvoir français, “partenaire historique” du Togo. Après avoir déploré l’absence d’une mission d’observation de l’Union européenne dans le cadre des élections togolaises, le président français Jacques Chirac – dont l’amitié avec son homologue togolais est désormais légendaire – a été le premier chef d’Etat à exprimer ses félicitations au général Eyadéma, avant même la proclamation officielle des résultats. On reste par ailleurs pantois, quand le ministre français de la Coopération, Pierre-André Wiltzer, déclare sur Radio France internationale, le 15 juin – en comparant la situation créée au Zimbabwe par le président Robert Mugabe et celle qui prévaut au Togo – que “dans le cas du Togo, nous n’avons pas affaire à une dictature, mais plutôt à une divergence sur des textes institutionnels”.
En réaction à l’attitude ahurissante de Paris – massivement dénoncée par les Togolais de l’intérieur et de la diaspora, notamment sur des sites Internet – la Concertation nationale de la société civile, dans un document rendu public à la mi-juin, “demande à la France d’éviter dorénavant de se mêler des affaires du Togo, invite le gouvernement français à prendre les dispositions qu’il jugera utile afin d’évacuer ses ressortissants vivant sur le territoire togolais… Le peuple souverain du Togo n’admettra aucune ingérence indue dans sa nouvelle lutte pour la libération nationale.”

(1) Après le rejet par la Commission électorale de la candidature de Gilchrist Olympio pour cause d’absence de “certificat de domiciliation” au Togo, son parti, l’UFC, a soutenu la candidature de son premier vice-président, Emmanuel Bob Akitani, sous la bannière PFC (Parti des Forces du changement)/UFC.

A quoi servent les élections ?
Le caractère répétitif des mascarades électorales au Togo finit par faire froid dans le dos. Si l’on pousse juste un peu le raisonnement, on pourrait se demander, dans un tel contexte, à quoi servent les Constitutions, les lois électorales, les institutions censées veiller sur ces lois, et, a fortiori les élections, quand on sait que les résultats sont d’avance décidés par le pouvoir en place. Les institutions – et les actes désespérés des adversaires du pouvoir – ne sont alors que le décorum et le faire-valoir de ce qui est et demeure un pouvoir privé, un règne absolu où il n’y a nulle place pour la compétition et où toute évocation d’une alternance apparaît comme extravagante. A ces divers égards, on n’a pas affaire à un Etat, mais à un domaine privé, usurpé. C’est pour cela qu’au Togo, bien plus qu’ailleurs, les opposants au régime se trompent d’histoire politique, de bonne foi ou en toute connaissance de cause. Et les actes républicains qu’ils déploient à chaque scrutin, en pensant que le pire n’est jamais sûr, sont définitivement inutiles et vains.

Le cas Fodé Sylla
En mars dernier, un forum sur “la démocratie et les élections en Afrique” avait été organisé par le pouvoir à Lomé. Une de ces manifestations dont le régime du général Gnassingbé Eyadéma est coutumier et dont le but est de faire bonne figure en direction de ses partenaires étrangers, surtout à la veille d’une nouvelle farce électorale. Très remarqué lors de ce forum, le député européen (communiste), le Franco-Sénégalais Fodé Sylla, ancien président de l’association française SOS Racisme. Qui, outre qu’il s’est prêté de bonne grâce à cette pantalonnade, s’est découvert à cette occasion une nouvelle vocation : la promotion des “bonnes intentions” et de l’image du régime Eyadéma. Lors de la présidentielle du 1er juin, revoilà Fodé Sylla à Lomé, en tant qu’observateur européen, alors même que l’Union européenne avait décidé de ne pas dépêcher sur place de mission d’observation des opérations électorales. Le bouillant Fodé Sylla, parallèlement à sa mission d’observateur volontaire, n’a pas ménagé ses efforts pour faire du lobbying en faveur du pouvoir togolais, faisant feu de tout bois pour exhorter les opposants à accepter de former un “gouvernement d’union nationale” proposé par Gnassingbé Eyadéma. Un gouvernement attrape-nigaud, argument éculé des dictatures à bout de souffle… Que pensent l’association SOS Racisme et le Parti communiste français de leur ami Fodé Sylla et de sa sulfureuse conversion?

Cette troublante “puissance”…
Le régime Eyadéma peut tout se permettre. En sachant qu’il peut compter sur l’absolution, l’impuissance, l’indulgence ou la complicité de tous ceux qui, de près ou de loin, sont concernés par le cas du Togo. Dans l’histoire de l’Afrique d’après les indépendances, aucun régime n’aura fait montre de tant d’audace, de cynisme. Le mélange de terreur systémique, de coups de force à répétition, d’autoritarisme et de stratégies maffieuses atteint ici tous les sommets, aux confins de l’absurde. Tout a été fait pour dénoncer ce régime : pressions internationales, sanctions économiques, marginalisation politique, campagne d’informations, rapports d’organisation des droits de l’homme, manifestations populaires réprimées dans le sang… Il se trouve toujours des gens, y compris des chefs d’Etat, pour défendre ce régime ou différer la logique de son inéluctable décomposition. Après l’élection présidentielle du 1er juin, le rapport d’Amnesty International sur les atteintes aux droits humains qui ont émaillé la période, n’a pas soulevé les réactions escomptées en pareil cas de la part de la communauté internationale. La troublante “puissance” du régime d’Eyadéma s’est aussi imposée à l’Organisation internationale de la Francophonie qui, après avoir émis de “sérieuses réserves” sur les conditions du déroulement du scrutin, publiera quelques jours plus tard un communiqué dans lequel elle se félicite de la bonne tenue générale de la présidentielle. En totale contradiction avec ses premières déclarations.

http://www.afrique-asie.com/archives/2003/166juilaout/166togo.htm