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Un calvaire sans fin

Afrique-Asie - Juin 2003
A la veille de l’élection présidentielle du 1er juin 2003, le pouvoir impose à nouveau ses règles. Une nouvelle “élection”, programmée pour le président Gnassingbé Eyadéma, précédée de l’exclusion préméditée de la compétition du principal opposant Gilchrist Olympio. Le système Eyadéma s’épanouit, comme au temps du parti unique, et impose son autorité exclusive à une population tétanisée.

Trente-six ans de pouvoir Eyadéma et un bilan parmi les plus sombres du continent. Un pays ruiné et sans boussole, une part de la population contrainte à l’exil, l’embargo économique décrété depuis plus de dix ans par les principaux partenaires extérieurs pour sanctionner un pouvoir expert en fraudes électorales à répétition et atteintes aux droits de l’homme, des citoyens réduits à la précarité et soumis à un régime de terreur rationalisé. Dans un pays où la peur et la méfiance se confondent avec l’air que l’on respire, les observateurs internationaux sont attentifs aux réactions de la population, depuis la grotesque exclusion par le pouvoir de l’opposant Gilchrist Olympio de la course à la présidentielle annoncée pour le 1er juin 2003.

A l’heure où nous mettons sous presse, l’explosion n’a pas eu lieu, mis à part quelques manifestations de “jeunes” durant la première semaine de mai, qui furent très vite découragées par l’intervention déterminée des forces de l’ordre. Il faut dire que l’on a rarement vu une population contenir à ce point une colère et un ras-le-bol pourtant perceptibles dans les regards, dans les confidences que l’on vous fait, souvent sous l’empire omniprésent de la peur, voire de la résignation. Peut-être qu’en fin de compte, on n’assistera pas, contrairement aux prévisions, à une expression populaire du rejet du régime. Parce que ce dernier a choisi la forme la plus primaire du contrôle et de la domination d’une population : chaque citoyen togolais semble avoir en permanence le canon d’une arme pointé sur sa tempe. Ici, en effet, on ne fait pas dans la dentelle.

En 1991, on a vu le chef de l’Etat ordonner l’envoi de chars d’assaut et d’unités suréquipées pour aller mettre fin prématurément aux assises d’une Conférence nationale destinée, comme on l’a vu ailleurs sur le continent, à résoudre une crise récurrente et tenter d’inventer un ordre nouveau et surtout démocratique. Le pouvoir avait tout fait pour empêcher cette Conférence, à coups de massacres et d’abominations variées perpétrées contre la population. En 1993, reproduisant en quelque sorte un scénario dramatique qui s’était déjà produit dans la capitale Lomé, la soldatesque présidentielle a ouvert le feu sur des manifestants aux mains nues qui réclamaient simplement l’instauration d’un système démocratique.

L’histoire du régime du Général Gnassingbé Eyadéma est jalonnée de ce type d’horreurs qui, il est vrai, ont atteint leur point culminant au début des années quatre-vingt-dix, à l’heure où les peuples d’Afrique sub-saharienne ont entrepris de rompre avec les partis uniques et autoritaires, pour engager un processus de démocratisation. C’est au Togo qu’en 1993, lors d’une campagne électorale pour la présidentielle – la tenue de cette élection avait été obtenue de haute lutte par l’opposition –, le principal adversaire du régime, Gilchrist Olympio, a failli passer de vie à trépas, après une agression par armes à feu, imputée aux membres de la milice d’Eyadéma. C’est toujours au Togo qu’en 1998, alors que tous les chiffres d’une nouvelle élection présidentielle donnaient Gilchrist Olympio victorieux, qu’un ministre de l’Intérieur, après avoir ordonné aux membres de la Commission électorale indépendante de surseoir au dépouillement des bulletins de vote, déclara sans ambages Eyadéma vainqueur. Cela se passe ainsi au Togo.
Depuis une dizaine d’années, le régime pourtant crépusculaire de Gnassingbé Eyadéma n’a cessé, à travers moult coups de force et autres formes d’intimidations, d’imposer son message : ce pouvoir-là n’est pas soluble dans la démocratie, et ne reculera devant rien pour imposer ses privautés. La violence confirmée comme principal instrument de pouvoir…

Après avoir mis en place un système policier de la pire espèce et consolidé une culture politique qui emprunte au fascisme ordinaire, il restait ensuite à ce pouvoir à tisser, sur le plan international, un réseau de complicités et d’obligés de tous acabits, capables, en cas de besoin, d’avaliser ou de relayer ses pires errements, soit par le soutien explicite, soit par le silence approbateur. Ce qui fut fait, avec méthode, à coups de finances, à tel point que l’on dira que “pour son pouvoir, Eyadéma sait dépenser sans compter”. S’il n’y avait quelques partenaires extérieurs pour rappeler certains principes élémentaires, le régime d’Eyadéma – frappé depuis 1993 par un embargo – serait devenu, au bout de quatre décennies, le plus parfait des mondes de la terreur ordinaire. Il n’empêche : ce système, structuré quatre décennies durant, ne doute nullement de sa puissance. Surtout parce qu’elle s’est appliquée à ne jamais accorder le moindre espace d’activité à une conception alternative de la vie politique.

La manipulation et l’instrumentalisation – réussies – de quelques “opposants” devenus les cautions “démocratiques” d’une élection d’avance discréditée, renvoient à cette unique réalité : le régime Eyadéma est le plus grand résistant au changement démocratique. Les circonstances actuelles viennent simplement consacrer un désir initial, celui d’une présidence à vie. Et, prisonnier de fâcheuses pulsions régressives, le régime restaure tous les ingrédients d’un pouvoir autoritaire, dans une “démocratie” où les libertés publiques et les règles démocratiques ne sont qu’une vue de l’esprit. Eu égard au caractère ubuesque de l’organisation de cette “élection” du 1er juin 2003, s’agissant surtout de l’exclusion de Gilchrist Olympio de la compétition, les manœuvres de ce pouvoir apparaissent comme une très mauvaise plaisanterie, d’autant plus inquiétante que la politique se confond ici avec une forme de délinquance.

Après environ quarante ans d’un règne à tout le moins sinistre, le régime a donc choisi la fuite en avant. Peut-être parce qu’au fond, la peur s’est peu à peu déplacée, pour se nicher dans le camp d’un pouvoir effrayé par ses propres fantômes. Aujourd’hui, replié dans un périmètre qui ne représente même plus ce pays douloureux, Gnassingbé Eyadéma, entouré de ses affidés, apparaît plutôt, non plus comme le chef d’un Etat, mais comme celui d’un village entouré de barbelés. C’est ce seul espace que défend bec et ongles le pouvoir. Et ses fidèles, juchés sur les miradors, tiennent l’arme pointée sur les Togolais qui n’en peuvent mais. Si les opinions internationales se contentent de prendre acte de cette situation, elles se rendraient complices d’un drame annoncé dont elles ne sauraient prétendre ignorer les racines, les ressorts et les acteurs.


PAR JESSE ANANSI