Le métier de zémidjan, le canot de sauvetage d’une jeunesse désœuvrée
Ils sont des milliers de Togolais à embrasser la carrière de conducteurs de taxi-moto. Dans la capitale Lomé et les principales villes du pays, les zémidjan remorquent les hommes et femmes qui se rendent soit à leur lieu de travail, leur maison ou chez des connaissances, amis ou parents. Les Togolais ont aujourd’hui adopté le zémidjan.
Le métier est apparu dans les années 90 avec les troubles socio-politiques qu’a connus le pays. C’est du Bénin voisin qu’il a été importé. A la faveur des grèves successives des conducteurs de taxis, qui étaient victimes des vols et de rapts à cause de l’insécurité qui prévalait à l’époque et certains ont sorti leur moto pour remorquer contre rémunération de leurs concitoyens. Et comme l’initiative leur procurait de l’argent, certains en ont fait un métier. « J’ai été licencié d’une entreprise en 1991 à cause de la situation difficile qu’elle traversait en ce moment. Un matin alors que je me rendais avec ma moto vespa chez un ami, j’ai constaté que des gens m’interpelaient et me suppliaient de les remorquer. J’ai remorqué une femme qui allait dans le quartier où j’allais et elle me remit un billet de 500 FCFA. Je me suis dit si ça peut me donner le pain quotidien, pourquoi ne pas le faire. C’est ainsi que je suis devenu un conducteur de taxi-moto » rapporte Francis, un jeune Togolais.
Comme le métier procure de quoi assurer la pitance quotidienne, des milliers de chômeurs togolais s’y ont aussi lancé. Aujourd’hui on compte parmi les conducteurs de taxi-motos, des diplômés des universités et autres écoles de commerce, des artisans dont le métier ne leur assure plus grand-chose, des exclus du système éducatif, des paysans qui ont migré des villages vers les villes. La situation socio-économique du pays n’est plus reluisante. Le marché de l’emploi est trop exigu et n’arrive plus à absorber les centaines de milliers de diplômés ou d’actifs que compte le pays. Les entreprises publiques et privées, à cause de l’étroitesse du marché des consommateurs et du climat des affaires peu serein, n’emploient pas grand monde. L’industrialisation n’est qu’à l’étape embryonnaire dans le pays. Essoufflée, la jeunesse togolaise s’est rabattue sur le zémidjan.
Les zémidjan souvent mis en cause dans les accidents de circulation
Tous les jours, on déplore sur les routes de la capitale togolaise et des autres localités du pays, de nombreux accidents de circulation. Les conducteurs de taxi-moto sont impliqués dans la plupart de ces accidents de la route. Selon les statistiques recueillies au Centre Hospitalier Universitaire de Tokoin, au cours de l’année 2010, 70 % des accidents de la circulation impliquent les Zémidjan. Cette situation résulte de nombreux facteurs.
Plus de 90 % des conducteurs de motos n’ont pas le permis de conduire au Togo. Ils ignorent aussi les principes élémentaires du code de la route. L’essentiel est de savoir faire rouler une moto pour circuler librement, la connaissance du code de la route n’est pas une nécessité pour beaucoup d’entre eux. « Ce n’est pas de gaité de cœur que nous faisons ce métier. Qu’on ne vienne pas nous dire de passer l’examen du permis », s’indigne Sélom un conducteur de taxi-moto.
L’exode rural est aussi pour beaucoup dans les accidents de la route dans lesquels sont impliqués les zémidjan. La vie au village est aujourd’hui précaire. La baisse du pouvoir d’achat des paysans togolais a atteint des proportions exponentielles. La terre semble ingrate pour celui qui la cultive et n’arrive plus à vivre des fruits de son travail. Certains paysans ont donc décidé d’émigrer vers les villes et surtout dans la capitale. Il leur suffit d’implorer un parent citadin qui retourne au village pour qu’il accepte de les héberger pour un temps dans sa résidence en ville. Le parent quand il a les moyens achète une moto qu’il confie au nouveau venu ou lui facilite l’accès à un engin d’un tiers et voilà notre néo-citadin devenu en l’espace d’une semaine, un « zémidjan ». Ignorant tout du code de la route, ces zémidjan font des manœuvres dangereuses sur les artères des villes et causent souvent les accidents de la route.
La majorité des conducteurs de taxi-moto, compte tenu de la pénibilité du travail, sont abonnés à l’alcool et aux substances dopantes. Un tour les matins de bonne heure dans les échoppes de vente de Sodabi – la boisson alcoolisée locale- montre la réalité de la situation. Ce sont les conducteurs de taxi-motos qui constituent la majorité des clients qui s’attroupent au comptoir des vendeurs de sodabi. « Chaque matin, je dois boire mon huitième de litre de sodabi pour bien travailler. Cela m’évite la fatigue. J’apprécie beaucoup le sodabi au gingembre parce qu’il guérit les plaies internes au corps. Mes camarades dans le métier sont aussi abonnés de sodabi à cause des conditions de notre travail. Et puis il y a certains jeunes qui poussent plus loin en fumant la marijuana ou le cannabis. Ce sont eux qui sont dangereux. Ce sont eux qui filent à vive allure sur les routes », témoigne Azé, un conducteur de taxi-moto d’une quarantaine d’années.
Ce sont aussi ces zémidjan qui provoquent des incidents sur la route. Ils sont pour la plupart du temps les premiers à proférer des injures au moindre accrochage ou incident avec un autre conducteur ou piéton. Il faut dire que la plupart de ces zémidjan sont des aigris qui trouvent toutes les occasions propices pour déverser leur trop-plein de colère. Et leur préoccupation est de faire le plus vite possible des recettes. La prudence n’est pas leur tasse de thé.
Les autorités appelées à se pencher sur la situation
Le problème des accidents de la route nécessite l’attention des autorités du pays. Il urge que les autorités mettent en place des stratégies pour l’endiguer. Elles doivent, en collaboration avec les syndicats de conducteurs de taxi-moto, sensibiliser les zémidjan sur le code de la route. Il y va de la sécurité de tous citoyens.
Sam Gagnon
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