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Enquête dans le secteur de carburant frelaté à Hilla-condji

CHRONIQUE - Autres
Il y a de cela quelques mois, le ministre de la Sécurité et de la protection civile, le Général de brigade Atcha Titikpina avait réactivé l’opération entonnoir II dont le but est de lutter contre la vente illicite de l'essence frelatée au Togo. Pour connaître l’ampleur de cette vente illicite de carburant au Togo et les raisons pour lesquelles la population, malgré les mises en garde des autorités, persistent dans cette activité commerciale, un reporter du site mo5-togo s’est rendu ces derniers jours à Aného plus précisément à Hilla-Condji, une bourg qui jouxte la frontière du Togo et du Bénin pour enquêter sur le trafic.

 A Hilla-condji, à première vue, ce qui frappe ce sont les tables disposées avec des bouteilles vides ou remplies de carburant communément appelé ‘’boudè’’ aux bords de la nationale. Malgré l’interdiction, la vente du carburant frelaté ou du ‘‘boudè’’ reste la principale activité commerciale des habitants. Elle est si florissante qu’elle nourrit plusieurs familles. Dans presque toutes les concessions de la localité on y trouve une personne qui se livre à ce commerce de contrebande. Pour la plupart des jeunes chômeurs, mais on y rencontre également des élèves et des femmes au foyer. A la question de savoir pourquoi ils persistent dans cette activité malgré l’opposition des autorités, tous nos interlocuteurs répondent en chœur : « qu’elles nous montrent les entreprises qu’elles ont construites à Aného. Elles auront raison de l’interdire si elles nous proposent une activité de rechange».

Même si beaucoup reconnaissent que le secteur n’est plus rentable comme au début des années 1990, ils ne sont cependant pas prêts à l’abandonner pour rien au monde. Toute ma vie est dans ce commerce, raconte un jeune, la quarantaine bien sonnée. « Avec cette activité j’assume l’éducation de mes enfants, j’ai une maison en location et bien d’autre chose encore », dit-il. N’avez-vous pas peur d’être arrêté un jour pour trafic illicite, réponse de notre interlocuteur « Vivre au Togo, c’est déjà risquer alors pourquoi ne pas risquer une seconde fois pour survivre ?»

Les raisons de la survivance de cette activité tiennent beaucoup plus à la proximité avec le Bénin et le Nigéria, pourvoyeurs du Togo en ce carburant, la traversée de la nationale N°2 de la ville et surtout le fort taux de chômage dans la ville d’Aného avec l’absence de débouché qui pourra engloutir les mains d’œuvres.

Chacun y trouve pour son compte.

Les principales frontières togolaises connaissent d'intenses activités commerciales de gros ou de détail. À côté du commerce transfrontalier formel, se développent des marchés parallèles où la plupart des produits commercialisés sont, soit non-enregistrés, soit faiblement enregistrés. Outre la contrebande de divers articles tels que les produits pharmaceutiques, les textiles et les accessoires de véhicules, celle des produits pétroliers ne cesse de prendre de l'ampleur malgré les mesures dissuasives prises par les gouvernements du Togo et des pays limitrophes. Face à cette situation, il est impérieux d'une part, de s'interroger sur les différents circuits d'approvisionnement et de distribution de ces produits et la mission de régulation des agents de douanes sans cesse présent sur les différents axes frontaliers et d'autre part, de connaître les motivations du développement de cette contrebande active et son impact sur l'économie togolaise.

Les agents de douane sont principalement investis d'une triple mission : fiscale, économique et sociale. Les missions économique et fiscale sont les fonctions régaliennes connues et dévolues à la douane qui a obligation de faire des recettes. La mission sociale résulte des accords de transit avec les pays sans littoral comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

A Hilla-condji, à quelques mètres de la frontière officielle se dresse un poste de passage « fictif » disons officieux mais connu des trafiquants. A ce poste, des rotations des femmes avec des bidons jaunes sur la tête ou des bidons juchés sur des taxi-motos sont quasi ininterrompues toute la journée mais se décuplent pendant la nuit. Au lieu de réprimer ce trafic, les douaniers laissent-faire préférant plutôt racketter. Il s’établie alors une complicité entre les trafiquants et les douaniers. Ceci se justifie non seulement par la cupidité et l'appât du gain facile pour ces derniers mais aussi, par l'impuissance des agents de douane craignant des soulèvements de la population pour qui, ce commerce représente l'activité principale.

On raconte que les douaniers affectés à ce poste acceptent difficilement repartir car ce qu’ils gagnent mensuellement via ce trafic dépasse largement leur salaire. Tous possèdent des grosses motos venues des pays asiatiques. « Nous avons le pognon et nous allons prendre toutes vos copines », nous lance fièrement l’un d’entre eux, qui nous a pris pour des étudiants préparant des mémoires.

Les produits pétroliers, stockés dans des bidons et tonneaux de 25 à 1 000 litres, sont transportés, par pirogues, des côtes béninoises vers le Togo. Ensuite, ils sont livrés aux contrebandiers togolais dans un petit village avec la complicité de ces agents de douane qui perçoivent, à tout bout de champ, des rackets à chaque traversée de ce poste de passage officieux établie à l'entrée du village des contrebandiers, un véritable « no man’s land ». Pour le transport d'un bidon de 25 litres de carburant, le commerçant paie une somme forfaitaire de 500 F CFA à raison de 200 F CFA pour le transporteur et 300 F CFA à titre de rançon aux douaniers.

Méfiantes et très peu bavardes, ces femmes communiquent peu sur leurs activités. De là, l’approvisionnement des autres points de la ville est assurée par des femmes portefaix venues des petites agglomérations de la ville d’Aného telles que Anfoin, Aklakou et Attitongon . Ces dernières transportent à longueur de journée des bidons de 25 litres vides ou pleins pour le compte des commerçants semi-grossistes et détaillants qui s'approvisionnent fréquemment.

Néanmoins l’une d’entre elles nous a confié qu’elle ne tire pas moins de 18.000 F CFA par semaine de ce commerce. Des chiffres qu’il est difficile de vérifier. Si ces femmes à la recherche de quoi nourrir leur progéniture peuvent se targuer de se tirer d’affaire grâce à cette activité, il n’est pas exclu en revanche les risques de dislocation de ménage que peut engendrer cette activité. Car elles quittent leur village en début de semaine et n’y retournent souvent qu’en fin de semaine. Elle se livrent parfois à la prostitution, nous a confié un agent. Quelques unes décident d'assouvir simplement des besoins physiologiques, loin de leur mari.

Dormant sous des hangars et parfois à la belle étoile, ces femmes portefaix de carburant, résistent rarement à des propositions indécentes.

Environ 200 à 500 bidons par personne passent quotidiennement et clandestinement par la frontière de Hilla-condji, grâce à leurs soins, générant d'énormes pertes aux compagnies pétrolières nationales. En 2010, selon le ministère en charge du commerce et de la promotion du secteur privé, cette contrebande engendrerait une perte de plus de 60 milliards de FCFA aux compagnies pétrolières nationales créant des écarts fréquents entre les recettes et les prévisions budgétaires annuelles.

Le no man’s land

Au Sud-est de la frontière de Sanvee-condji en bordure de l'océan Atlantique, se trouve un petit village de contrebandiers de produits pétroliers, véritable marché noir et principale source d'approvisionnement des semi-grossistes et détaillants togolais qui s'y rendent à tout moment de la journée surtout la nuit.

Le carburant venu du Bénin par pirogue est jeté en haute mer dans des bidons. Il sera ramené à ce village par les maîtres des lieux.

L’accès à cette zone est difficile mais il est connu des trafiquants. Il est déconseillé de s’y aventurer même les douaniers en poste ne nous ont pas conseillé d'y aller. Mais voulant toucher du doigt cette réalité nous avons décidés de franchir le pas. Pour y accéder, il faut passer par un cimetière. A ce niveau, notre 1ère surprise sera le nombre de bidon qui s’offre à nos yeux. Ce que nous avons vu ici ne représente rien par rapport au « no man’s land ». Là, également le carburant est superposé dans plusieurs polytanks et bidons.

Disons que cette localité n’est remplie que de carburant. Il est souvent transvasé d’un bidon à un autre sans précaution particulière. Il est malséant de poser des questions et de prendre des vues au risque d’être pris pour des ‘’espions ‘’et traités comme tel. D’ailleurs tout visiteur étranger est suspecté. Qu’adviendra-t-il si, un jour par inadvertance, une bûchette d’allumette prenait feu ? Ont-ils conscience des risques qu’ils encourent en se livrant à ce trafic ? Sommes-nous demandé. Mais visiblement on a l’impression que les acteurs n’y songent même pas. Ce qui les intéresse c’est l’argent. Des millions sont quotidiennement brassés, selon des confidences. Les principaux acteurs sont des togolais mais on y rencontre des ressortissants de la sous région notamment des Ghanéens, Béninois et des Nigérians.

La vente du carburant comme solution au chômage.

Si malgré les multiples actions menées par les autorités, ce trafic persiste, les raisons sont nombreuses.

Au Togo, les jeunes représentent près de 60% de la population totale. Et, l'un des objectifs sociaux de tout pays en développement consiste à trouver des emplois pour les jeunes sans cesse plus nombreux. Cependant, la majeure partie de cette jeunesse est aujourd'hui confrontée aux problèmes de chômage. Par conséquent, elle est vulnérable et prête à s'adonner à toute activité, surtout les activités de contrebande qui bien que risquées, restent suffisamment rentables et constituent une porte de sortie des affres de la misère.

Aussi, la différence de prix entre les pays producteurs dont les subventions sont plus importantes et les autres pays dont le nôtre, dépourvus d'or noir, constitue la principale cause de cette contrebande transfrontalière.

Mais, quoiqu'on dise, la contrebande de produits pétroliers constitue une source de revenus incontestable pour un grand nombre d'individus : grossistes, grossistes-détaillants, détaillants, agents de change, transporteurs ou portefaix, tout le monde y trouve son compte. La plupart des commerçants engagés dans ce commerce, emploient une ou deux personnes et font vivre en moyenne, cinq à sept personnes à charge. Toutefois, du fait de son impact négatif sur la balance des paiements, de ses implications budgétaires nocives, et de son impact sur la sécurité publique, il est nécessaire, voire impératif de formuler des politiques adéquates visant à la neutraliser ou tout au moins à la réduire en vue d'un développement économique durable. Selon des statistiques, au moins quinze ménages sont partis en fumée courant 2009, à cause de ce trafic. Un triste bilan de 16 décès et 67 blessés graves a été également enregistré.

Mais avant tout, pour l’interdire ou du moins le réduire, il faudra surtout intensifier des programmes de lutte contre le chômage des jeunes afin de décourager cette pratique de la contrebande transfrontalière du carburant, sans quoi ces mesures d’interdiction ne seront que des tonneaux des Danaïdes ou de l’eau jetée sur un canard.