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Les Éperviers, victimes de deux arbitraires. Par Sénouvo Agbota ZINSOU

 Un peu avant l’ouverture et un peu avant la clôture de la CAN 2010, les joueurs de l’équipe nationale du Togo et nous avec eux, sommes victimes de deux décisions qui, non seulement nous affligent, mais aussi ne nous font pas honneur en tant que Togolais et Africains, et ce, après cinquante ans d’indépendance et à la 27e édition de ce grand rendez-vous de la jeunesse africaine, ce qui devrait être une fête de la fraternité de nos peuples. À l’heure où on devrait parler de la maturité de nos États, nous en sommes malheureusement encore là, je veux dire à ces bêtises, comme au temps où les militaires dirigeaient nos pays et se croyaient tout permis, selon leur humeur, voulant se servir de tout pour manifester et justifier leur existence en tant que centres de prise de décision, ces bêtises comme au temps où feu le général Robert Guéi, par exemple, faisait cueillir les footballeurs ivoiriens à l’aéroport d’Abidjan et les faisait conduire manu militari au camp, ayant décidé de les mettre aux arrêts de rigueur pour raison de match perdu.

Ce ne sont pas seulement nos sportifs qui sont ainsi symboliquement prisonniers de décisions stupides, mais c’est également tous nos peuples, et particulièrement concernant les Éperviers, tous les Togolais pour qui leurs joueurs sont des emblèmes, des héros nationaux, qui leur offrent le rêve d’une nation qui possède des valeurs, l’idée que malgré l’incurie des dirigeants politiques, en dépit d’une situation politique et économique des plus misérables, quelque chose marche bien au Togo, le football, et que sur ce plan, nous n’avons rien à envier aux grandes nations, étant capables de disputer des matchs avec elles, sans complexe, comme au dernier Mondial en Allemagne.

Il y a quelques jours seulement, le 20 janvier, je publiais sur Togocity et sur Icilomé un article sous le titre „ Sont-ils capables?“ dans lequel je dénonçais ceux qui semblent à l’affût des moindres faux pas comme des plus grandes tragédies, même survenues sans une volonté humaine pour faire semblant de se demander et nous demander en fait si nous étions capables de quoi que ce soit de bon, ceux pour qui tous les malheurs ne sont que l’effet d’une malédiction qui pèserait sur nous depuis...Depuis quand? Sans balayer plus proprement leurs propres maisons d’abord.

Et précisément, comment défendre l’idée que ce qui arrive aux Éperviers, et donc à nous qui nous identifions à notre équipe nationale est simplement l’oeuvre d’une poignée d’hommes qui ont pris des décisions imbéciles?

En sanctionnant le Togo, en privant nos joueurs des deux prochaines CAN en 2012 et en 2014, les responsables de la Confédération Africaine de Football ont agi comme si les Éperviers avaient eux-mêmes, volontairement, délibérément, commandité l’attentat contre leur bus, aux fins de justifier leur retrait de la compétition. Ces responsables ont agi comme si les joueurs n’étaient pas des hommes, capables d’émotion qui, ayant subi un choc, le traumatisme de leur bus criblé de balles, des morts tombés sous leurs yeux, des personnes atteintes et baignant dans le sang, pouvaient, comme si de rien n’était, se rendre au stade le lendemain pour y livrer tranquillement le match prévu.

Bien sûr que le règlement existe et doit être respecté. Mais, les personnes chargées de l’appliquer, pour garantir ce même respect, ne doivent-elles pas être réfléchies dans leurs décisions, tenir compte des circonstances dans lesquelles ce règlement a été enfreint, s’assurer que si sanction il doit y avoir, la sanction ne frappe que les vrais fautifs et non des innocents, pour ne pas donner à ces derniers le sentiment amer d’être plutôt des victimes?

Les voilà sanctionnés, frappés, assommés, ceux qui dans les douloureuses circonstances que nous connaissons, après le drame, avaient juste demandé trois jours pour faire le deuil des personnes qui leur sont chères, ou simplement des humains qui, avant la fusillade, causaient tranquillement ou même chantaient avec eux comme cela peut arriver quand on voyage ensemble, des gens qui souriaient ou mangeaient...que sais-je, sous leurs yeux, avant que les assaillants rebelles ne tirent sur eux.

Et quelle hypocrisie de la part de Issa Hayatou, le président de la CAF, quand il affirmait qu’il comprenait et soutenait les nôtres dans leur douleur! Ne serait-on pas tenté de croire que c’était de pure forme et donc toujours par hypocrisie de la part des organisateurs, qu’une minute de silence a été observée à la mémoire des victimes à l’ouverture de chaque match, le premier jour de la compétition?

Ce que l’on est en droit d’attendre des responsables de la CAF, ce n’est nullement de la compassion, mais simplement de la justice pour nos représentants à la Coupe africaine, justice d’autant plus que malgré le drame, ils étaient prêts à s’engager dans la compétition. On ne peut pas trouver une attitude plus digne, plus noble, plus courageuse, plus responsable.

Mais alors, il y a eu, au contraire, cette montée au créneau de Gilbert Houngbo qui, sur commande, sûrement, voulant justifier son rôle de premier ministre, intimait l’ordre aux joueurs de rentrer au pays, menaçant de ne plus considérer qu’ils représentaient le Togo, s’ils persistaient à vouloir à tout prix livrer les matchs.

Il est bien sûr, du devoir de l’État de répondre de la sécurité de ses citoyens où qu’ils soient. Mais, la sécurité, c’est avant, pendant et après la compétition. C’est surtout et d’abord avant leur départ de Lomé que Hounbgo devait s’assurer que les conditions étaient réunies pour qu’aucun mal ne leur arrive au cours du voyage ou en Angola. Mais Houngbo vociférant son ordre à la télévision, avec la mimique d’un homme en colère qui se veut intransigeant, donc Houngbo en images et sons répercutés dans le monde entier, sous le prétexte de donner l’ordre de rapatriement, ne faisait qu’étaler aux yeux de tous une situation de désordre que nous n’avons cessé de dénoncer depuis des années : le non-respect des citoyens concernés par les conséquences d’une décision avant de la prendre et le non-respect des instances appropriées. Ce n’est pas l’équipe gouvernementale qui joue ou ne joue pas en Angola et, tout premier ministre qu’il est, Houngbo ne devait pas se substituer à la Fédération Togolaise de Football, encore moins aux joueurs. À la rigueur, la diplomatie togolaise, si elle était efficace et compétente, aurait oeuvré discrètement, par l’intermédiaire de la Fédération Togolaise de Football pour proposer une révision du calendrier des matchs, de manière à permettre aux joueurs togolais de se remettre d’abord de leur état de choc. Cette démarche aurait quelques chances d’aboutir, d’autant que les joueurs ivoiriens avaient manifesté l’intention de se retirer eux aussi, par solidarité avec les Togolais éprouvés. En tout cas, il aurait fallu la tenter, à tête reposée, plutôt que d’agir sous le coup de l’émotion. À quoi servent nos regroupements sous-régionaux comme la CEDAO dans ces circonstances tragiques, d’autant plus qu’il y avait en Angola, en même temps que l’équipe togolaise, celles du Bénin, du Ghana, du Nigeria, du Burkina et du Mali qui, même étant en compétition sur le plan sportif, ne devraient pas être moins fraternelles et solidaires sur le plan humain? La CAF aurait-elle pu sanctionner ces cinq autres pays avec le Togo?

Au lieu d’une démarche réfléchie, discrète et responsable, le pouvoir togolais a préféré une intervention intempestive, sûrement sous le coup de l’humeur, pour la raison que la CAF n’aurait pas présenté ses condoléances à l’État togolais après l’attaque du bus et la mort de l’entraîneur adjoint Abalo Amélété et du journaliste Stanislas Occloo. Ou encore, décision dictée par des raisons politiques, pour montrer qu’il y a un pouvoir au Togo et qu’il se soucie de la protection de ses citoyens. Se soucier de la protection de ses citoyens ne signifie pas pour le gouvernement de s’ériger en État paternaliste et tout-puissant.

Et voilà, par les bêtises conjuguées de la CAF et du pouvoir togolais, nos joueurs meurtris dans l’âme et dans le coeur, après que l’un d’eux, le gardien Kodjovi Obilalé a été blessé physiquement ; des joueurs dont certains, à cause de leur âge, doivent désormais oublier toute participation à la CAN.

Et nous voilà, nous aussi, punis, frustrés, amers...parce que des hommes irréfléchis règnent en maîtres absolus en Afrique, sur le plan politique comme sur le plan sportif.

Voilà notre rêve déchiré en morceaux que nous mettrons du temps à recoller. Voilà la fête des peuples africains qui nous laisse dans la bouche un goût amer, même si tous les matchs, hormis ceux du Togo ont pu se dérouler.

Et si au coup tordu de Houngbo, Hayatou avait juste répondu par un coup du même genre, également imbécile, dicté par l’humeur ?

Sénouvo Agbota ZINSOU