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L’Afrique face à la crise économique et financière mondiale

CHRONIQUE - Finances et Economie
Par Obiageli Ezekwesili*
 Réunis la semaine dernière à Addis-Abeba, les dirigeants des pays africains ont convenu de la nécessité de développer et d’améliorer leurs infrastructures. Qu’il soit question d’eau, de transport ou d’électricité, de meilleures infrastructures peuvent se traduire en Afrique par un relèvement de la croissance de plus de 2 %, un surcroît de productivité de 40 %, et des créations d’emplois pour une population jeune en constante augmentation. Mais ce sommet a aussi été l’occasion pour ces dirigeants de discuter de leurs préoccupations croissantes quant à l’impact sur leurs populations de l’effondrement de la situation financière mondiale, venant si peu de temps après la crise des prix alimentaires et énergétiques.

Il y a un an seulement, les perspectives de l’Afrique subsaharienne semblaient des plus prometteuses. Pour la première fois depuis 20 ans, cette région affichait un taux de croissance identique à celui du reste des pays en développement, abstraction faite de la Chine et de l’Inde. Elle commençait enfin à récolter les dividendes, y compris sous forme de revenus croissants, des difficiles choix opérés depuis des années, que ce soit pour mobiliser plus de ressources au plan intérieur, réorienter des dépenses malavisées, investir dans l’éducation et la santé de base, réformer les services publics, réduire les politiques protectionnistes, assouplir les régimes de taux d’intérêt et de change, ou encourager la concurrence. Elle bénéficiait d’apports de capitaux privés de près de 55 milliards de dollars. Son PIB avait progressé de 5,7 % en 2006 et de 6,1 % en 2007. Et elle faisait l’objet d’une aide extérieure croissante, sous forme de nouveaux capitaux et de remises de dette.

C’est alors qu’est survenue la crise financière, et que l’économie mondiale est tombée en chute libre. Il n’a pas fallu longtemps pour que les pressions se fassent sentir en Afrique. Celle-ci a vu ses revenus du tourisme fléchir, de même que les envois de fonds reçus de l’étranger et ses recettes d’exportation. Les investissements étrangers ont vite commencé à se tarir. Les bourses africaines, comme celle de l’Ouganda, ont reculé de plus de 40 %. Le Ghana et le Kenya ont dû reporter pour plus de 800 millions de dollars d’émissions d’obligations souveraines, retardant la mise en œuvre de projets de routes à péages et de gazoducs. Pour les pays exportateurs de pétrole, la baisse des prix pétroliers a soulevé le spectre d’une perte de PIB de 15 % en 2009.

Ces évolutions majeures sont lourdes de conséquences sur le plan humain. Du fait de l’aggravation des résultats économiques, la mortalité infantile et juvénile est destinée à augmenter, et les taux d’achèvement scolaire dans le primaire à baisser. Dans leur majorité, les pays africains étaient déjà en passe de ne pas pouvoir atteindre les objectifs de développement pour le Millénaire, notamment celui consistant à réduire de moitié la pauvreté d’ici 2015. La crise actuelle ne va rendre que plus difficile la réalisation des ODM. Mais les pays plus avancés du continent souffrent eux aussi : en Afrique du Sud, ce sont environ 64 000 emplois qui, selon les estimations, viennent d’être perdus en quelques mois seulement dans le secteur minier.

La crise économique mondiale porte en elle le risque de devenir une crise politique et sociale pure et simple. On en est à un moment où il appartient aux États africains d’ouvrir le dialogue avec leurs citoyens sur les défis à venir et les choix difficiles à opérer pour y faire face. Les citoyens feront partie de la solution, quelle qu’elle soit. Maintenant, que peut-on et que doit-on faire ?

Une gestion avisée des finances publiques sera déterminante pour qu’il y ait un redressement plus rapide au sortir de la crise. Les dirigeants africains doivent éviter les options à caractère populiste qui ne feraient que rendre leurs populations encore plus vulnérables à longue échéance. Il faut que les subventions et filets de protection sociale visent en priorité les catégories de population vulnérables qui en ont le plus besoin. En faire bénéficier ceux qui auraient les moyens de se procurer les services correspondants ne fera qu’aggraver la situation des finances publiques, rendant l’État moins à même d’investir dans les domaines d’une importance capitale pour les pauvres.

Dans le même temps, des programmes de relance budgétaire bien gérés, et financés au moyen de ressources extérieures, permettraient d’éviter une forte baisse de croissance dans les pays africains. Un investissement dans les filets de sécurité et des dépenses dans le domaine des infrastructures (en matière d’entretien, notamment) permettront d’amortir la chute et de mettre ces pays en position de tirer parti du rebond de l’économie mondiale, lorsqu’il se produira. C’est sur cette idée que repose la proposition avancée récemment par le Président du Groupe de la Banque mondiale, M. Zoellick, pour que chaque pays développé s’engage à consacrer 0,7 % du montant de son plan de relance à un fonds d’aide aux pays vulnérables, en vue d’aider les pays en développement à surmonter la crise.

Les principes de l’économie de marché ont permis à 64 % des Africains de bénéficier d’un niveau de croissance économique de l’ordre de 5,9 à 8,1 % par an durant la période de 1997 à 2007. La révolution que beaucoup de pays de la région ont connue dans leur secteur des télécommunications n’est qu’un exemple de la façon dont ces principes ont changé pour le mieux l’existence de leurs habitants. Il ne faut pas qu’ils reviennent sur les changements opérés sur la base de ces principes de marché, car il ne saurait y avoir de réduction durable de la pauvreté sans croissance. Mais il faut que les pays s’y prennent mieux pour réglementer de manière effective ces marchés, établir des règles du jeu égales pour tous les acteurs économiques, se tenir au fait des approches financières novatrices et de leurs risques inhérents, et puiser dans l’immense réservoir d’ingéniosité et de créativité que représentent leurs propres habitants. Cela ne pourra se faire qu’au prix d’un gros effort de renforcement des capacités de leurs institutions.

S’agissant des investisseurs étrangers, ils reviendront une fois calmée la crise. Mais ils se montreront prudents, et recommenceront d’abord à investir dans les pays qui auront maintenu le cap des réformes engagées, en se montrant prêts à renforcer la gouvernance, à affirmer le principe de primauté du droit, et à moderniser leurs marchés des capitaux.

Pour ce qui est des pays richement dotés en ressources minérales, la crise a valeur de rappel à l’ordre pour qu’ils redoublent d’efforts en vue d’établir des systèmes propres à assurer une gestion transparente de ces ressources, et à faire en sorte qu’elles génèrent des gains tangibles pour les segments pauvres de leur population.

En dépit des incertitudes, les pays africains se doivent de maintenir l’élan dans le sens d’une mutation qui porte en elle la promesse d’une amélioration de l’existence quotidienne de leurs citoyens.

* Obiageli Ezekwesili est vice-présidente de la Banque mondiale pour la Région Afrique.